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Sommaire Musique
tableau historique 
tableau des 16 paradoxes
avant :   
l'école de Notre Dame
suite :   
l'Ars Nova

 l'Ars Antiqua
(le manuscrit de Montpellier)
 
 
 
 
 
 
 
         En architecture, nous sommes à l'époque du gothique dit "rayonnant". Pour la musique, c'est celle que l'Ars Nova a rétrospectivement appelée, afin de s'en démarquer, l'Ars Antiqua. L'Ars Nova remplacera l'Ars Antiqua vers 1320, en même temps approximativement que dans l'architecture le premier style flamboyant remplacera le style rayonnant.
         Les auteurs de l'Ars Antiqua ne nous sont pas connus, et leurs oeuvres sont transcrites anonymement dans des manuscrits. Les principaux de ces manuscrits sont celui de Bamberg, celui de Turin et celui de Montpellier. C'est un motet extrait du Manuscrit de Montpellier daté du 13ème siècle que nous donnons en exemple. Il est intitulé "On doit fin(e) Amor" et il est interprété par l'ensemble Anonymous 4.
         [édité chez Harmonia Mundi dans un disque intitulé "Love's illusion - Montpellier Codex". Numéro de catalogue  HMU 907109  accès à sa présentation sur le site d'Harmonia Mundi]
         [piste 19 du disque 4 du coffret "Les Très Riches Heures", piste 27 du disque complet, minutage 0 à 1,27]
 
         À défaut d'en disposer, vous pouvez écouter l'extrait  ici  ou  là 
 
         Cet exemple est un "motet" double, c'est-à-dire qu'au-dessus d'une voix en teneur en valeurs très longues comme dans les exemples précédents, mais ici dépourvue de parole, sont superposées deux mélodies avec paroles. De la même époque il existe des exemples de motets triples, où une troisième voix vient encore s'ajouter. Doubles ou triples, l'étonnant est que ces voix différentes ne disent pas le même texte, qui parfois ne sont même pas dits dans une même langue, et souvent ne parlent pas du même sujet, mélangeant par exemple un thème religieux pour l'un et un thème sur l'amour profane pour l'autre. Ici les deux mélodies superposées sont dites en français, mais elles ont des textes différents, l'un honorant "la beauté de ma dame" et la tendresse qu'elle inspire, et l'autre vantant de manière plus générale les plaisirs de l'amour.

         Les quatre effets paradoxaux que l'on trouve dans ce motet du Manuscrit de Montpellier sont :  "relié / détaché", "le centre à la périphérie", "entraîné / retenu", "mouvement d'ensemble / autonomie" [voir le tableau qui les regroupe].
         La "diagonale de la musique" nous apprend par ailleurs que l'essence de son fonctionnement est résumée par le paradoxe "homogène/ hétérogène" et ce que cela implique pour la façon d'écouter cette musique.
 
 
 
 

 
Le paradoxe du centre à la périphérie dans le style de l'Ars Antiqua
(en musique ce paradoxe signifie : partout du semblable)

         Si l'on ne considère que les deux mélodies parlées, on note combien, même différentes et faisant des choses différentes, elles sont cependant un couple de voix que l'on peut dire en position semblable ou ayant un statut semblable : elles ne font pas des choses complètement différentes comme à l'époque de l'École de Notre-Dame, et l'une n'est pas nettement subordonnée dans un rôle d'accompagnement de l'autre comme à l'époque de l'École de Saint-Martial. Ce sont deux voix qui font des choses différentes, mais ce sont deux voix à égalité côte à côte. Une voix avec une ou plusieurs semblables autour d'elle, c'est l'effet de choeur à plusieurs voix qui correspond souvent au paradoxe du centre à la périphérie. L'intitulé de ce paradoxe a été donné pour le repérage des effets en architecture et il est peu évocateur pour la musique, mais on sait qu'il correspond à la situation d'un réseau cristallin où un atome est entouré d'atomes semblables à lui.
         Par moments les deux voix font presque la même chose et l'on a affaire à un choeur de deux voix distinctes qui chantent ensemble. C'est ici la notion : du semblable à nos côtés.
 

 
effet synthétique du paradoxe du centre à la périphérie :
deux voix au statut semblable chantent en choeur
 
       Le plus souvent l'une des voix ondule faiblement, et l'autre semble l'envelopper de ses circonvolutions par le jeu des croisements et des recroisements des deux mélodies. C'est cette fois la notion : tout autour de nous, du semblable à nous.
 
 
 
autre effet synthétique du paradoxe du centre à la périphérie :
l'une des voix enveloppe l'autre grâce aux entrecroisements de leurs mélodies
 
 
         L'effet analytique a trait à la structure régulière de la musique, à sa trame qui se répète de façon très uniforme. On peut dire que l'effet synthétique souligne que "c'est du semblable tout autour", alors que l'effet analytique souligne que "c'est du semblable pendant toute la durée du trajet de la musique".
 
 
 
effets analytique du paradoxe du centre à la périphérie :
la musique possède une trame régulière qui se répète de façon semblable au fur et à mesure que son fil musical se déroule
 

 
 

 
Le paradoxe relié / détaché dans le style de l'Ars Antiqua
(en musique ce paradoxe signifie : pulsation ondulante ou symétrique)

         Les évolutions des deux voix ne sont pas indépendantes, mais en se liant et en se déliant l'une de l'autre en cadence, elles donnent au contraire l'impression d'une pulsation commune, d'une alternance bien synchronisée qui a donc très précisément ici pour fonction de les relier / détacher en cadence. Ce paradoxe relié / détaché s'exprime également dans les phénomènes physiques sous la forme d'une pulsation de deux formes symétriques imbriquées, qui se nouent et qui se dénouent l'une de l'autre en cadence.
 
 

 
effet analytique du paradoxe relié / détaché :
pulsation équilibrée des deux voix, qui se lient et se détachent
l'une de l'autre en cadence toujours synchronisée
 

         L'effet alterné de rapprochement puis d'écartement correspond à l'aspect analytique du paradoxe, puisqu'il se perçoit grâce à notre mémoire de ce qui se passait l'instant d'avant. Son aspect synthétique concerne cette fois la façon dont la pulsation nous fait entendre une partie de la musique monter vers l'aigu en même temps qu'une autre partie descend. Sous cet aspect, l'effet de symétrie n'est pas exprimé par une alternance dans le temps (un temps pour la séparation, puis un temps pour le rapprochement), mais par des mouvements contradictoires simultanés (ça part dans les deux sens opposés en même temps).
         Cet effet rappelle le "déchant" du style de Saint-Martial.
 
 

 
effet synthétique du paradoxe relié / détaché :
montées et descentes symétriques simultanées de la musique
 
 
 
 

 
Le paradoxe entraîné / retenu dans le style de l'Ars Antiqua
(en musique ce paradoxe signifie que cela bouge sur place)

         L'une des voix est très mobile en hauteur, et comme la voix de sa chanteuse est plus forte que les autres, ses circonvolutions se détachent sur le fond des deux autres voix. Ces deux autres au contraire bougent très peu en hauteur, notamment pour la troisième qui est difficilement audible.
         Au total on perçoit donc l'opposition de quelque chose qui reste à peu près fixe sur une note, et de quelque chose qui bouge sans arrêt. Donc cela bouge, et en même temps cela ne bouge pas.
 
 

 
effet synthétique du paradoxe entraîné / retenu :
une voix bouge énormément en hauteur, tandis que les deux autres ne bougent pas ou presque
 

         Cette voix la plus mobile repasse régulièrement par une position médiane où elle rencontre les deux autres pour un bref chemin ensemble. Elle y passe et repasse, mais ne s'y arrête jamais, sauf furtivement. Cette position centrale autour de laquelle on ne cesse d'évoluer sans jamais s'y arrêter, rappelle la situation d'un atome qui s'agite autour de sa place fixe dans un réseau cristallin, mais sans pourtant jamais réussir à s'y maintenir.
 
 

 
effet analytique du paradoxe entraîné / retenu :
une voix s'écarte et revient sans arrêt sur une position médiane à laquelle elle ne s'arrête jamais
 
 
 
 


Le paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie dans le style de l'Ars Antiqua
(en musique ce paradoxe signifie : libres agitations coordonnées)

         Bien que les deux voix chantées se retrouvent à intervalles réguliers, elles ne vont pas au même rythme entre ces retours, car l'une débite les paroles plus rapidement que l'autre. Mais ce n'est pas seulement le débit des paroles qui est différent : comme on l'a indiqué plus haut, les textes des paroles sont également différents, et différents les sujets qu'ils traitent. Ce n'est pas le cas ici, mais parfois ce sont même les langues utilisées qui sont différentes. Dans ces conditions, il est clair que l'on ne peut pas suivre en même temps ce que font les deux voix, car ce qu'elles font est trop différent, ce qui est encore aggravé lorsqu'il s'agit d'un motet triple.
         Dans cette impossibilité de suivre en même temps tout ce qui se passe, on retrouve le même type d'effet que celui produit par une musique en canon, où l'on ne peut pas non plus suivre en même temps les deux voix qui font au même moment des choses trop différentes.
         Ces deux voix que l'on ne peut pas suivre en même temps, sont une expression du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie, qui correspond par exemple à la situation des atomes à l'approche du point de fusion : tous ensembles ils font la même chose, ils bougent, mais ils bougent vers des directions indépendantes les unes des autres, des directions déterminées seulement par le hasard qui fait qu'à tel ou tel endroit une lacune se libère, et ouvre localement une possibilité de déplacement.
 
 

 
effet synthétique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
les deux voix disent des textes incohérents entre eux, et elles ont
des rythmes d'évolution impossibles à saisir simultanément
 

         À l'occasion de leurs périodiques moments synchronisés, les trois voix qui évoluent de façon différente et font des choses différentes, montrent qu'elles n'oublient pas qu'elles font ensemble une même musique. Notamment, elles s'arrêtent périodiquement très exactement ensembles. Par moment ensembles, et par moment autonomes, c'est là par conséquent l'expression analytique du paradoxe "ensembles / autonomes".
 
 

 
effet analytique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
les trois voix font à certain moment des évolutions autonomes,
et à d'autres moments font toutes ensembles la même chose
 

Mise à jour d'octobre 2001 :
Ces quelques remarques permettent de compléter cette analyse. Elles sont extraites de la partie du site intitulée "une histoire de l'art" qui traite spécialement de la musique. Mises à part ces quelques remarques que je conseille de consulter, le reste de ce texte est très abstrait et il n'est pas conseillé pour une première approche. 
 

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