Origine des macromolécules
du vivant
Robert PASCAL - robert.pascal@univ-montp2.fr
1) Institut des Biomolécules Max Mousseron UMR5247, CNRS - Universités
Montpellier 1 & 2 Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier
Cedex 5
Résumé de la présentation fourni par le conférencier : L'évolution des êtres vivants utilise la variabilité liée au choix de monomères particuliers pris dans un ensemble fini (acides aminés, nucléotides) pour constituer la séquence bien définie de macromolécules (acides nucléiques ou protéines). Ces macromolécules sont l'objet de la sélection naturelle qui s'exerce sur les organismes qui les portent, soit directement, par leurs propriétés, soit indirectement, par le résultat de leurs fonctions. La reproduction d'informations épigénétiques (non-codées) ne joue en apparence, tout au moins aujourd'hui, qu'un rôle relativement limité. La question de la formation de ces polymères se pose donc dès l'origine de la vie si l'on considère que leur activité est nécessaire pour assurer l'émergence d'un être vivant, mais aussi pour assurer l'auto-entretien des générations suivantes. Il est donc difficile de séparer d'une part les voies abiotiques initiales de formation de ces macromolécules et d'autre part le métabolisme ultérieur assurant leur reproduction au sein des premiers organismes vivants, qui ont très probablement continué d'exploiter des voies abiotiques disponibles dans l'environnement durant les premiers stades de l'évolution. L'action de la sélection naturelle sur les fonctions codées présentes chez ces organismes n'exclut en aucune manière la participation additionnelle d'autres espèces de petites tailles fournies par l'environnement, qui s'intégreraient comme métabolites ou catalyseurs pouvant constituer des cycles métaboliques (éventuellement autocatalytiques). Des polymères aléatoires (petits peptides par exemple) peuvent également jouer un rôle. Toutes ces molécules peuvent être l'objet d'une sélection, mais à la différence des macromolécules de séquence définies, leur rôle ne peut être transmis de manière codée. Nous aborderons les progrès faits ces dernières années dans la compréhension des voies abiotiques de synthèse des monomères, des voies proto-métaboliques disponibles et de l'apport énergétique nécessaire à la polymérisation. - Schéma : Comparaison des génomes de 185 organismes et mise en évidence des éléments communs relativement aux protéines. La fléchette à l'intersection des trois est la racine vers LUCA. -
7/ Préambule : Ayant eu les plus grandes difficultés à comprendre l'exposé très technique de Robert Pascal durant le colloque, j'ai fait des recherches à partir du diaporama qu'il a présenté et des quelques notes que j'ai prises, et je présente ici une compilation de diverses sources, cours, diaporamas, articles, publiés sur Internet, dont le sujet se rapproche le plus de celui qui a été traité au colloque.
Sur la centaine d'atomes que l'on trouve dans l'univers, 24 sont nécessaires aux êtres vivants pour former des molécules de très grande taille constituées de l'enchaînement de molécules plus petites, les monomères, et agencées en une structure de base unique, la cellule. Les trois branches du vivant, archaea, bactéries et eucaryotes, ont des éléments en commun, il est donc impossible de déterminer une chronologie d'apparition en arborescence comme on l'imaginait autrefois. L'évolution a dû procéder en 'buisson' dont les trois branches maîtresses émaneraient d'un tronc commun qui prendrait son origine en un ancêtre hypothétique, LUCA, "Last Universal Common Ancestor" (le dernier ancêtre commun universel).
Toutefois, quel que soit ce LUCA, il est peu à peu devenu évident qu'il ne pouvait pas avoir été le premier être vivant sur Terre, car la réunion de ces caractéristiques communes formaient un organisme déjà très complexe. Il devait donc très certainement avoir été lui-même aussi le résultat d'une évolution préalable, le problème étant de savoir selon quel processus. Pour l'analyser, les scientifiques oeuvrent de deux manières différentes. D'une part, ils poursuivent l'étude de toutes les sortes de cellules existantes, et s'intéressent tout particulièrement à leurs composants, qui ont pu être des organismes primitifs intégrés plus tard dans ces organismes plus complexes. D'autre part, ils mettent en présence en laboratoire des matériaux qu'ils supposent avoir été disponibles dans les premiers temps de la Terre, en essayant de reconstituer l'environnement qui prévalait alors (température, composition de l'atmosphère et des océans, etc.). C'est cette seconde voie qu'a choisie Robert Pascal. - Schéma : Cellule animale. -
Il cherche à comprendre les étapes qui ont permis à la matière de passer du non-vivant au vivant, ou plus exactement à la cellule (les scientifiques considèrent généralement que les virus ne sont pas pleinement vivants, puisqu'ils n'ont pas de capacité de reproduction autonome). En préalable, dans un exposé-bilan, il définit le vivant comme un ensemble confiné, possédant un contenu informationnel réplicable, doté d'un métabolisme et soumis à une évolution darwinienne, ce qui l'amène à se poser la question suivante. Qu'est-ce qui est d'abord apparu, le métabolisme, l'information génétique, la membrane, ou bien y a-t-il eu une coévolution de ces éléments ? L'alternative classique, 'Le métabolisme d'abord !', 'Le porteur d'information génétique d'abord !', lui semble une vision très réductrice. S'appuyant sur les travaux d'Iris Fry, il prône l'idée d'un 'métabolisme préparatoire' à la voie 'gène d'abord'. Selon lui, il est difficile de séparer les premières voies (métaboliques) de reproduction des macromolécules de la formation initiale des premières d'entre elles. Par conséquent, il s'agit de déterminer les processus chimiques les plus anciens, sachant que la Terre disposait de molécules biologiques déjà pré-assemblées, soit en provenance de l'espace et transportées par les micro-météorites, météorites et comètes, soit générées par son atmosphère, et, accessoirement peut-être, dans les fumeurs noirs au fond des mers et dans les sources hydrothermales. La seule certitude, c'est que les premières traces de vie sur Terre remontent à la période 3,5 - 3 Ga (giga ou milliards d'années), et que celle-ci a fort bien pu émerger plus tôt, entre 4,4 et 3,8 Ga.
Les processus qui se déroulent dans les cellules sont très élaborés et certains scientifiques se demandent s'il n'y a pas pu avoir un stade préliminaire où l'ADN (acide désoxyribonucléique), porteur de l'information génétique, n'existait pas encore. En effet, celui-ci, dont on connaît la structure depuis 1953, est formé d'un enchaînement de 4 nucléotides désignés chacun en abrégé par l’une des 4 lettres désignant leurs composants appelés « bases » : A, T, G ou C (adénine, thymine, guanine, cytosine). Leur enchaînement, comme s’il s’agissait d’un alphabet, peut générer de très nombreuses combinaisons, plus ou moins longues et complexes : cette façon de coder l’information à transmettre est la première caractéristique de l’ADN. C'est une molécule en forme de double hélice qui lui permet de se dupliquer à l’identique lors de la division des cellules, et donc d’assurer la pérennité de l’information, ce qui est sa deuxième caractéristique. - Schéma : ADN. -
Une partie de notre ADN constitue les gènes au sein desquels les combinaisons des 4 lettres correspondent au codage d’une information génétique, nécessaire, après traduction dans les cellules, à la production de l’ensemble des protéines, enzymes, hormones, récepteurs etc. qui constituent notre corps. C’est l’organisation chromosomique, notamment l’ordre des gènes, qui est spécifique d’une espèce. L’ADN d'une cellule humaine pèse 7 millionièmes de millionième de gramme (picogramme), chaque brin est constitué de 3 milliards de paires de bases, recouvre 1 m si l’on déroule la molécule, et plus de 90 % de l’ADN est non codant et ne correspond donc pas aux gènes eux-mêmes qui sont au nombre de 50 000 environ (soit "seulement" 300 millions de paires de bases !). - Schéma : Protéine : assemblage d’un ou plusieurs polypeptides ayant subi des modifications post-traductionnelles et un repliement protéinique. Peptide : polymère d’acides aminés reliés entre eux par des liaisons peptidiques. Polypeptide : polymère comprenant un grand nombre d’acides aminés. -
L'ADN est donc le support de nos gènes et contient les instructions de production des protéines qui ont des fonctions de catalyse et de reconnaissance. Leur activité est liée à leur structure 3D (en 3 dimensions, conséquence d'une séquence déterminée et de son repliement) ; elle nécessite un système de traduction et l'homochiralité (pour qu'il y ait un ajustement possible de type clé/serrure). La réplication de l'ADN est assurée par des protéines, les ADN polymérases. Il en résulte un paradoxe 'de l'œuf et de la poule' si on se pose la question de savoir qui, des protéines ou de l'ADN, est apparu le premier au cours de l'émergence de la vie telle que nous la connaissons aujourd'hui. La difficulté provient du fait que ce ne sont pas les mêmes polymères qui portent l'information génétique (ADN) et les fonctions catalytiques nécessaires à la réplication (protéines). Ces deux sortes de polymères étant très complexes et chimiquement très différents, il était difficile d'imaginer comment ils avaient pu apparaître simultanément et indépendamment.
Ces chercheurs font alors l'hypothèse d'un Monde d'ARN (acide ribonucléique), très proche chimiquement de l'ADN dont il est généralement une copie partielle sur un simple brin qui remplit diverses fonctions dans la cellule. Dans les années 1980, Tom Cech et Sidney Altman découvrent indépendamment que certains ARN, ensuite appelés ribozymes (contraction de acide ribonucléique et enzymes), peuvent avoir un rôle de catalyseur, comme les protéines. Cette découverte inattendue leur vaut le prix Nobel de chimie en 1989. Les ribozymes étant capables d'assurer à la fois le rôle de support de l'information génétique et de catalyseur, cela permet de s'affranchir du paradoxe, en proposant que l'ARN soit le précurseur unique, ce qui a été proposé en 1986 par Walter Gilbert, le co-inventeur du séquençage de l'ADN. Toutefois l'idée d'une vie à base d'ARN est plus ancienne et remonte à Carl Woese dans 'The Genetic Code' (1967). Il est aussi le découvreur des archaea comme troisième branche de l'évolution et il va encore plus loin qu'un Monde d'ARN puisqu'il conteste l'idée darwinienne d'un ancêtre unique pour toutes les formes de vie. Il pense au contraire qu'un réseau d'êtres vivants a fréquemment procédé à des échanges d'ADN, ce qui signifierait qu'il y aurait plutôt de nombreuses 'racines' à l'origine du vivant. - Schémas : ARN. -
Certains scientifiques (comme le virologiste Patrick Forterre de l'institut de génétique et microbiologie, à Orsay) pensent que ce sont les virus qui seraient les "inventeurs" de l'ADN. L'apparition de l'ADN viral dans un monde d'ARN serait une solution de ces parasites pour déjouer les défenses cellulaires. L'ADN présente plusieurs avantages évolutifs par rapport à l'ARN, notamment une plus grande stabilité et la possibilité de détecter les désaminations (génératrices de mutations) de C (cytosine) en U (uracile), U n'étant pas normalement présent dans l'ADN, mais seulement dans l'ARN. Toutefois, l'ARN est une molécule complexe et fragile. Pour que l'hypothèse du "Monde d'ARN" soit crédible, il faut imaginer qu'un précurseur ARN suffisamment long, capable de se répliquer, ait pu émerger spontanément dans la soupe prébiotique. Cet événement semble très improbable à un certain nombre de scientifiques. Pour contourner cette difficulté, il a été proposé qu'un précurseur plus simple que l'ARN ait précédé celui-ci. Des phénomènes aussi fondamentaux et anciens sont très difficiles à étayer, la longue évolution ayant effacé en grande partie leurs éventuelles traces. - Photo : Virus. -
Il a été également émis comme hypothèse l’émergence et le développement de la vie dans des milieux glacés, l’ARN se développant plus facilement dans la glace que dans des températures élevées (les nucléotides s’assemblent naturellement pour former des brins d’ARN lorsqu’ils sont dans un environnement gelé). A ce propos, de nouvelles recherches sur la météorite de Murchison tombée en Australie en 1969 ont révélé qu'elle abriterait des millions de molécules organiques différentes. En 2010, plus de 14 000 molécules organiques différentes ont été détectées, impliquant les 6 éléments principaux associés à la Vie, C, H, O, N, S et P (carbone, hydrogène, oxygène, azote, soufre, phosphore). Elle contient notamment des purines (les bases A, G de l'ADN appartiennent à cette catégorie de molécules), des pyrimidines (les bases T, C de l'ADN appartiennent à cette catégorie de molécules) et plus de 70 acides aminés, dont certains n’existent pas dans le monde vivant sur Terre.
Qu’elle soit intégrée ou non à l’hypothèse d’un monde d’ARN, la synthèse d’un porteur d’information semble à ce jour une condition indispensable à l’émergence d’êtres vivants. Pour que le résultat de la sélection naturelle soit transmis aux générations suivantes, il est en effet indispensable que l’information sélectionnée puisse être répliquée. La synthèse d’un brin complémentaire à la séquence initiale d’un acide nucléique puis sa recopie sont les étapes déterminantes du processus. Le problème est de trouver le métabolisme préparatoire qui a permis la continuité évolutive entre chimie prébiotique et évolution précoce. L'origine de la vie date de l'émergence d'un polymère génétique à partir d'un réseau de réactions chimiques (protométabolisme) reposant sur l'activité de petites molécules ou de molécules ne portant pas d'information. Ce protométabolisme est considéré comme une "niche écologique" favorable au développement d'un réplicateur génétique. Si l'on s'intéresse à la transition, toute description d'un mode de formation des peptides/acides nucléiques doit inclure un métabolisme de ces composés sans faire la distinction entre les deux stades de formation des monomères et d'activation/polymérisation. Toutefois, si l'obtention d'acides aminés selon une voie abiotique semble aisée (1953, expérience de Miller), celle de nucléotides est plus problématique. L'ARN paraît indispensable, mais il est très difficile à synthétiser dans un contexte prébiotique : il nécessite une formation abiotique de nucléotides, suivie de leur polymérisation. - Schéma : Réplication de l'ADN. -
Robert Pascal fait part d'une découverte réalisée par John Sutherland et son groupe de Manchester qui démontrent que la formation de ribonucléotides activés (des briques de base de l’ARN) est possible à partir d’espèces très simples probablement présentes dans un monde prébiotique. Mais la voie utilisée est loin d’être une reproduction de la voie biochimique actuelle, les composants du nucléotide (base azotée, ribose, phosphate) ne sont pas des intermédiaires de la synthèse qui se déroule par un chemin totalement différent. L’avantage, c’est de court-circuiter le ribose, trop instable, et de rendre inutile la condensation base-sucre, trop difficile. Il est par ailleurs intéressant de noter que les phosphates jouent des rôles multiples dans cette voie de synthèse et pas seulement celui de pont entre les briques de base. En résumé, au lieu d’essayer de coupler sucre et base, ce que les chimistes n’ont pas réussi à faire en 50 ans d’efforts, l’idée ici est de partir des précurseurs des sucres et des bases, glycolaldéhyde, cyanamide, cyanoacétylène pour obtenir en présence de phosphate un nucléotide activé. Une irradiation avec des UV permet de plus de dégrader les sous-produits indésirables. - Schéma : Structure d'un brin d'ARN. Les atomes du ribose sont numérotés. La base représentée est l'uracile, qui n'est présente naturellement que dans l'ARN, à la place de la thymine, présente dans l'ADN. -
Il reste ensuite à comprendre comment peut s'effectuer une polymérisation spontanée de l'ARN. Un moyen d'y parvenir a été imaginé par Nicholas Hud et son équipe : en intercalant une molécule, le polymère en cours de synthèse n'a plus tendance à se replier en forme d'anneau, la structure rendue ainsi plus rigide peut s'allonger par l'intégration d'un grand nombre d'oligonucléotides. Le chercheur émet l'hypothèse que c'est cet intermédiaire (encore inconnu à ce jour) qui a permis la sélection des paires de bases contenues dans les acides nucléiques du vivant, parmi toutes les molécules possibles. - Schéma : En présence d'une molécule intercalaire (verte), l'oligonucléotide forme une longue chaîne de polymère, au lieu de s'arrêter à de petites molécules fermées (cyclisation). -
Parallèlement, Uwe Meierhenrich estime que la membrane qui enclôt la cellule a un rôle primordial car elle permet le développement contrôlé et la protection des réactions biologiques dans son enceinte. Ce chercheur se dédie à l'étude de la formation spontanée de vésicules «protocellulaires» à partir de molécules amphiphiles (qui possèdent à la fois un groupe hydrophile et un groupe hydrophobe), à la croissance et la division de ces vésicules primitives, à la dynamique des membranes permettant l’absorption des nutriments et pouvant conduire consécutivement à une élongation de chaîne de dérivés nucléotidiques. En ce qui concerne l'émergence de ce confinement, Robert Pascal souligne qu'il a fallu que les composants du système s'associent et qu'un lien se constitue entre phénotype (ensemble des caractères observables d'un individu, par exemple la couleur des yeux) et génotype (ensemble des informations génétiques d'un individu). Il s'interroge sur la formation des lipides (matière grasse du vivant) qui constituent ces membranes cellulaires et sont principalement composés de carbone, d’hydrogène et d’oxygène. A-t-elle eu lieu selon une réaction de type Fischer-Tropsch (*) ou bien grâce à la constitution de membranes minérales (**) ou encore au moyen d'un métabolisme de surface(***) ? Un aspect essentiel du vivant est qu'il transforme son environnement — c'est ce qu'on appelle un métabolisme, c'est-à-dire l'incorporation, la transformation et l'utilisation de certains produits de l'environnement. C'est aussi un processus de synthèse et de recyclage des composants de l'organisme qui assure l'auto-entretien. - Photo et schéma : Exemple de molécules amphiphiles, la bulle de savon. -
(*) A partir du charbon, du gaz ou de la biomasse, le procédé chimique industriel Fischer-Tropsch permet la synthèse d'hydrocarbures par la réaction du monoxyde de carbone avec de l'hydrogène grâce à l'effet catalytique du fer, du cobalt, du ruthénium ou du nickel, avec corrélativement un très fort rejet de gaz carbonique CO2 et donc un 'bilan carbone' très défavorable.
(**) Exemple des diatomées. Ce sont des algues brunes qui stockent la silice. Son incorporation se fait sous la forme d'acide monosilicique à travers la membrane à l'aide de la pompe Na-K (sodium-potassium). La silice se localise d'abord dans une toute petite vésicule au centre de la cellule puis va s'étendre dans le sens de la longueur suivant une voie tracée par une membrane, la silicalemme. Une première couche de matériel dense se dépose. Quand elle atteint une extrémité de la cellule elle revient vers le centre en formant un U, même chose pour l'autre moitié de la cellule simultanément ; enfin la silicalemme va fournir la trame de remplissage pour les futurs dépôts de silice de la cellule qui se fait le long des parois. - Photo : Diatomée lacustre du Miocène moyen de Hellin en Espagne, observée au microscope électronique à balayage à un grossissement de 4800 fois. Cette diatomée mesure environ 16 µm. Photo S. Servant, IRD. -
(***) Le métabolisme de surface (entretien sur France Culture avec Antoine Danchin). On a eu depuis longtemps l'idée que les êtres vivants sont nés dans une petite mare tiède (Darwin) et qu'il s'agissait pour eux de transformer des petites molécules au squelette carboné. Beaucoup se sont attachés à découvrir ces molécules dans l'environnement et ont cherché à démontrer l'existence de la vie et des possibilités d'un premier métabolisme à partir de ces molécules. Il semble en fait que l'idée d'une soupe, ce mélange dans lequel la vie serait née, est une idée inappropriée et que ce que l'on doit rechercher dans le métabolisme aujourd'hui est lié à une sélection de métabolites particuliers. Il faut donc trouver un processus capable de trier, parmi les différentes molécules organiques qui peuvent exister sur Terre, celles dont l'enchaînement va fonder la vie. De nos jours, les membranes jouent en partie ce rôle et c'est pour cette raison qu'elles sont si importantes dans la définition de l'individualité biologique ; mais on peut imaginer qu'initialement, le tri se soit fait surtout par les surfaces des pierres et des poussières : les molécules qui sont à l'origine du métabolisme auraient été triées par leurs charges électriques, en particulier par leurs charges négatives, qui leur permettaient de s'associer aux surfaces les plus courantes de la croûte terrestre. Si l'on se pose la question de l'origine en ces termes, on est ramené à un problème qui est très différent de celui de la soupe prébiotique puisqu'il s'agit de regarder ce qui se passe à la surface de solides, et non en solution.
Or, ce qui se passe en surface est extrêmement différent de ce qui se passe en solution ; en particulier, les propriétés de désagrégation des gros édifices moléculaires, très importantes en solution, disparaissent en surface et, dans ce cas, c'est non pas la désagrégation mais la polymérisation qui se trouve favorisée. L' idée de base est donc de rechercher s'il existe aujourd'hui des traces de ce qui aurait pu être initialement un métabolisme de surface utilisant des molécules chargées. Gunther Wächtershaüser s'est attaché à regarder ce qui, dans la partie constructive du métabolisme actuel, est créateur de formes vivantes. Il s'est rendu compte que cette partie constructive appelée anabolisme est constituée essentiellement de molécules soit porteuses d'un groupe phosphate, soit porteuses de groupes carboxylates. Ce sont dans les deux cas des groupes chargés négativement dont on pourrait penser qu'ils servent de pattes pour s’attacher à des surfaces solides. Cette observation est très frappante, car lorsqu'on regarde les transformations métaboliques et la chimie organique qui s'y rattache, on se rend compte qu'aucun chimiste organicien ne procèderait de la manière (apparemment farfelue !) dont les choses se passent dans une cellule vivante. Au contraire, on s'aperçoit que ces molécules sont parfaitement bien constituées pour fonctionner et réagir les unes avec les autres à la surface d'un solide. - Schéma : Métabolisme de surface selon Gunther Wächtershaüser. -
La question qui se pose alors est évidemment la création de la deuxième structure mentionnée tout au début, à savoir la membrane. La création d'une membrane est ce qui permet le passage en solution en empêchant la dilution à l'infini dans le milieu. Il est donc essentiel de regarder si, dans le métabolisme actuel, on peut imaginer un métabolisme de surface qui ait produit des molécules créant des membranes. Or, on observe quelque chose de très remarquable, c'est que la formation des lipides, qui sont des constituants essentiels des membranes, se fait à partir de précurseurs phosphorylés, ce qui est tout à fait étrange en dehors de l'hypothèse d'un métabolisme de surface. La polymérisation de ces molécules phosphorylées permettant la fabrication de lipides, on peut tout à fait imaginer qu'un métabolisme de surface ait produit des lipides, créant ainsi, autour des petites particules sur lesquelles ce métabolisme de surface est apparu, une membrane qui effectuera la sélection entre l'intérieur et l'extérieur et donc autorisera le passage en solution du métabolisme. Mais il faudra ensuite qu'intervienne un nouveau processus, tout à fait essentiel, à l'issue duquel la surface solide modifiée formera une matrice susceptible de passer en milieu liquide : il s'agit de trouver le substitut de la matrice solide.
Or, on a de véritables raisons de penser que ce sont des acides ribonucléiques, des ARN, qui ont été les substituts des surfaces, car ces molécules sont justement un peu comme les surfaces argileuses, par exemple, des polyanions qui attirent à leur surface des charges positives, et peuvent ainsi servir de supports à d'autres charges négatives ; ce sont donc éventuellement des intermédiaires obligés. Or, parmi ces molécules il y a une classe, celle des ARN de transfert, qui est justement au cœur du passage du programme génétique à son expression, et ces molécules sont très impliquées dans le métabolisme actuel ; elles sont d'ailleurs fortement affectées par de petites modifications semblables à celles qui se déroulent dans le métabolisme intermédiaire, et on les découvre aujourd'hui dans un grand nombre de réactions qui n'ont rien à voir avec la réaction de fabrication des protéines qui est leur lieu normal de fonctionnement. On peut les trouver, par exemple, associées à la fabrication de liens peptidiques (entre acides aminés — le cœur de la synthèse des protéines), et l'on peut donc très bien les imaginer comme étant des ancêtres de cette réaction, auquel cas la formation de liens peptidiques à partir de molécules comme les ARN de transfert aurait été antérieure à l'utilisation de cette formation de liens peptidiques dans la synthèse des protéines comme on la connaît aujourd'hui. Voici donc des objets bien réels qui ont pu jouer ce rôle de support métabolique, ce qu'on peut essayer de mettre en évidence dans un certain nombre d'organismes. - Schéma : Formation d'une liaison peptidique entre deux amino-acides adénylates pris "en sandwich" entre deux feuillets d'argile. -
Robert Pascal poursuit ses questionnements. Est-ce que ce métabolisme s'est organisé selon l'hypothèse d'Oparin et Haldane (hétérotrophie) ou autour d'une source minérale d'énergie (autotrophie) ? L’hétérotrophie est la nécessité pour un organisme vivant de se nourrir de constituants organiques préexistants. L’autotrophie désigne la capacité de certains organismes vivants à produire de la matière organique en procédant à la réduction de matière inorganique, par exemple le carbone (le dioxyde de carbone) ou encore l’azote (sous forme de NO3, nitrate, ou de N2, diazote). Cela s’accompagne d’un prélèvement de sels minéraux dans le milieu (ions nitrate, phosphate…). Les organismes autotrophes sont donc capables de se développer dans un milieu ne contenant que du carbone minéral, contrairement à un organisme hétérotrophe qui devra se procurer des molécules organiques (idem pour l’azote). Ce mode de nutrition caractérise les végétaux chlorophylliens (verts), les cyanobactéries, les bactéries sulfureuses. L’énergie nécessaire à cette synthèse provient, soit de la lumière grâce à la photosynthèse dans les cellules chlorophylliennes, soit des liaisons chimiques, grâce à la chimiosynthèse des bactéries sulfureuses, par exemple. - Photo : Algue bleue, Cyanobactérie, Anabaena sperica. -
Partant de l'hypothèse d'une continuité évolutive entre la chimie prébiotique et la chimie biologique, Robert Pascal postule que l'origine de la vie remonte à l'émergence d'un polymère génétique à partir d'un réseau de réactions chimiques (protométabolisme) reposant sur l'activité de petites molécules ou de molécules ne portant pas d'information. Ce protométabolisme a dû constituer une "niche écologique" favorable au développement d'un réplicateur génétique. Il analyse donc la vie comme une propriété émergente (Cf. The Emergence of Life on Earth: A Historical and Scientific Overview by Iris Fry), et suppose qu'une transition a eu lieu à partir d'une chimie prébiotique en évolution. Cette transition s'analyse comme une auto-organisation où l'entropie (le désordre) du système a diminué. A ce stade, la formation des peptides/acides nucléiques a dû se produire au sein d'un métabolisme de ces composés. On ne peut pas distinguer le stade de formation des monomères de celui de leur activation/polymérisation. Toutefois, bien que l'ARN semble incontournable, Robert Pascal est conscient de la très grande difficulté de le synthétiser dans un contexte prébiotique, avec d'abord la formation abiotique de nucléotides, puis leur polymérisation. Selon Hud et son équipe (PNAS 2010), la polymérisation spontanée de l'ARN a nécessité deux processus distincts, celui de la régiosélectivité et celui de la cyclisation des brins. Robert Pascal s'interroge sur le fait de savoir comment un monde d'ARN a pu exister et évoluer sans protéines codées, et si l'ARN a eu un prédécesseur qui n'a pas laissé de trace dans l'évolution.
Il se demande également si cette émergence s'est faite au cours d'un processus ponctué de plusieurs étapes : Briques du vivant, Polymères, Interactions supramoléculaires ? Jean-Marie Lehn (Prix Nobel 1987 de Chimie) formalise ce dernier concept. Au-delà de la chimie moléculaire, fondée sur la liaison covalente, s'étend un domaine qu'on peut nommer supramoléculaire. Des briques moléculaires, une fois mélangées en solution dans des conditions contrôlées, s'autoassemblent pour donner des édifices plus complexes. Bien que le nouveau système puisse acquérir des propriétés qu'il ne possédait pas avant l'établissement desdites liaisons non covalentes, chacune des molécules prenant part à la nouvelle "supermolécule" ne voit en rien son intégrité chimique modifiée. Cependant, l'architecture de l'assemblage supramoléculaire peut faire en sorte que certaines molécules soient rendues plus réactives par perturbation de leur nuage électronique ou déformation de leurs angles de liaison. Le rapprochement au sein de l'entité supramoléculaire de deux molécules naturellement enclines à réagir ensemble peut aussi les pousser à réagir plus facilement que si elles avaient été libres dans un solvant. On parle alors de catalyse supramoléculaire (les enzymes sont l'exemple le plus connu de catalyseur supramoléculaire biologique). - Schéma : Enzyme. -
Quelle a été la force motrice de cette émergence ? Il existe diverses positions philosophiques possibles vis-à-vis de la transition du non vivant au vivant, celle de dire qu'il s'agit de la conséquence d'une volonté extérieure, ou alors d'un (ou de plusieurs) événement(s) hautement improbable(s), ou encore d'un (ou de) principe(s) inconnu(s) restant à découvrir et enfin des lois connues de la physique et de la chimie dans un contexte environnemental favorable. L'exobiologie se situe dans ce dernier cas de figure. Robert Pascal cite la position du chimiste israélien Addy Pross qui suggère que la spécificité du vivant soit en fait liée à la stabilité des systèmes capables de se répliquer. Comprise comme la capacité de tels systèmes à occuper l’espace disponible et à se maintenir dans le temps, cette acception n’a que peu de rapports avec la stabilité thermodynamique (*) qui conduit inéluctablement les systèmes chimiques usuels vers l’état d’équilibre. Au contraire, les lois de la cinétique (vitesse des réactions chimiques) conduisent les réplicateurs vers un état de plus grande stabilité cinétique, sélectionnant les variantes les plus à même à se répliquer et tirant parti des modifications de leur propre nature (que l’on appelle les mutations dans un contexte biologique). Une telle description présente l’avantage de proposer qu’une force motrice unique ait gouverné tant l’émergence du vivant que son évolution ultérieure décrite par la théorie darwinienne qui ne devient en quelque sorte qu’une formulation particulière des règles plus générales gouvernant les propriétés des réplicateurs. Ne fournirait-elle pas une base physicochimique à ce que les conceptions vitalistes ont cherché à identifier comme une force vitale spécifique à la matière vivante ?
(*) L'ordre biologique et la thermodynamique. Si l'on considère le vivant comme un système ouvert pouvant échanger à la fois énergie et matière avec le milieu extérieur, celui-ci peut tendre vers un régime constant autre que celui d'équilibre. C'est un état stationnaire de non-équilibre associé à des structures dissipatives qui comportent un principe d'ordre entièrement différent, un "ordre par fluctuation". En ce qui concerne les stades prébiologiques, les travaux d'Eigen montrent que, pour un système formé de protéines et de polynucléotides, les interactions permettraient au système d'atteindre un état final caractérisé par un code génétique et une stabilité remarquable. Le rôle possible des structures dissipatives dans la synthèse abiotique des polypeptides par condensation sur des surfaces catalytiques a été souligné par Katchalsky et al.. Mais le problème le plus fondamental est certainement celui étudié par Eigen concernant l'évolution de populations de molécules d'intérêt biologique et la formation spontanée d'un "code génétique" par une succession d'instabilités qui ont permis de franchir le no man's land entre vie et non-vie.
Pour qu'il y ait eu émergence, il a fallu la réunion de plusieurs facteurs : des voies abiotiques de synthèse entre des molécules par assemblages, interactions covalentes/non covalentes jusqu'à obtenir des concentrations suffisantes, par le biais d'un flux d'énergie assuré par des transporteurs moléculaires. Les briques du vivant se sont construites avec les molécules organiques produites dans le milieu interstellaire, dans l'atmosphère et autour des sources hydrothermales. Si les acides aminés (constituants des protéines) semblent avoir été assez facilement disponibles, il n'en est pas de même pour les nucléotides (bases nucléiques, sucres, phosphorylation) susceptibles de s'assembler pour synthétiser l'ARN, et il a fallu aussi que se produisent des acides gras. A ce stade, la synthèse de l'ARN ne s'est probablement pas faite à partir des briques utilisées par les biochimistes. Il y a plutôt eu une synthèse prébiotique de nucléosides à partir de trois éléments simples et répandus, le cyanamide, le formaldéhyde et le cyanoacétylène. Robert Pascal évoque à ce sujet les travaux de Carole Anastasi, ainsi que l'intérêt de la réaction de formose. Elle permet d'obtenir à partir d'une molécule simple, le formaldéhyde, par polymérisation autocatalytique en milieu basique, un mélange de produits parmi lesquels on trouve des sucres complexes comme le ribose, qui constitue un pas important vers la synthèse de l'ARN. Dans une expérience simulant les conditions de la Terre primitive, des pentoses ont été obtenus à partir d'un mélange de formaldéhyde, de glycéraldéhyde et de borates comme la colémanite Ca2B6O115H2O ou la kernite Na2B4O7. L'intérêt pour la réaction de formose s'est encore accru lorsque les recherches en astrochimie ont confirmé la présence de formaldéhyde et de glycolaldéhyde dans le milieu interstellaire.
En 2009, Powner et Sutherland sont parvenus à établir une voie de synthèse des nucléotides à base pyrimidique, l'acide uridylique et l'acide cytidylique. Les chercheurs butaient sur cette voie de synthèse pré-biotique depuis 40 ans en raison de la difficulté de trouver la bonne façon de lier le ribose à la base azotée. La clé de cette voie a été de passer par un précurseur commun au ribose et la base azotée. Ce précurseur, le 2-aminooxazol, est obtenu à partir de molécules organiques élémentaires : le glycéraldéhyde, le cyanimide, le cyanoacétaldéhyde, le cyanoacétylène et le phosphate inorganique. Le mélange réactionnel alimenté par de l'azote gazeux est soumis à un cycle de chauffage-refroidissement afin de simuler le cycle d'évaporation d'une mare par le rayonnement solaire et l'alimentation par la pluie. Après une semaine le 2-aminooxazol s'accumule dans le réacteur. Le précurseur se transforme ensuite en ribose et cytosine liés ensemble. Le phosphate, qui permet l'isomérisation, est ensuite ajouté au milieu réactionnel en présence d'UV durant trois jours (l'absence d'ozone dans les conditions pré-biotiques engendrait un bombardement intense d'UV). L'acide cytidylique se synthétise sous l'effet du rayonnement UV et quelques nucléotides portant une cytosine se transforment en acide uridylique. Pour les deux autres nucléotides, l'équipe de Sutherland travaille sur un précurseur commun aux acides nucléiques à base purique. On constate ici qu'à partir de petites molécules, on obtient de meilleurs résultats qu'à partir de grosses molécules. - Remarque : Le phosphore, indispensable à cette réaction, n'est pas observé dans le milieu interstellaire, mais il y en avait sur Terre. David Bryant et son équipe s'intéressent à l'oxydation du phosphore dans les météorites. - Schémas : ARN, un nombre énorme de combinaisons possibles. Conversion d'une forme physique d'énergie en une espèce chimique riche en énergie, une molécule activée transporteur d'énergie (Boiteau & Pascal, Orig. Life Evol. Biosph. 2010). -
Le système obtenu ne peut pas être isolé, car il nécessite une source d'énergie chimique proportionnée à la hauteur de la barrière cinétique déterminant la vitesse de réaction (Selon le chimiste Arrhénius, pour qu'une réaction chimique puisse se produire, il faut qu'il y ait une quantité d'énergie minimale pour «propulser» les molécules d'un état chimique à un autre). Par exemple, dans l'atmosphère, la photolyse, c'est à dire la dissociation de molécules, ne peut se produire que si les photons possèdent une énergie supérieure ou égale à la liaison covalente, qui est de 435 kJ/mol pour l'hydrogène gazeux H2, 532 kJ/mol pour le gaz carbonique CO2, et 945 kJ/mol pour l'azote gazeux N2. Les décharges électriques dépassent la température de 10 000 Kelvin. - Schéma : Les NCA, des transporteurs d'énergie potentiels (Biron, Parkes, Pascal, Sutherland, Angew. Chem. Int. Ed. 2005). -
Sachant que la catalyse et les températures élevées permettent d'évoluer plus rapidement vers l'état d'équilibre, mais ne permettent pas d'utiliser l'énergie chimique, la source d'énergie chimique se trouve donc dans des réactions couplées, constituant une boucle catalytique. La "pompe primaire" est constituée par le protométabolisme des acides aminés (Cf. 'L'environnement de la Terre primitive, p 372, Muriel Gargaud), où les N-carboxyanhydrides d'acides aminés (NCA) sont des transporteurs d'énergie potentiels. Robert Pascal montre les formules de synthèse d'acides aminés et de peptides, ainsi que les caractéristiques des acides alpha aminés dans la réaction de Strecker, celle de Bucherer-Bergs effectuée par l'équipe de Taillades, les acides alpha-aminés activés obtenus par l'équipe Commeyras qui étudie également la synthèse préalable des N-carboxyanhydrides d'acides aminés (NCA) et le système dynamique acide alpha-aminé-peptide. - Schéma : Protométabolisme des acides aminés. -
Il met en évidence le nombre immense de combinaisons possibles dans ces assemblages. Pour les protéines, composées d'acides aminés choisis parmi les 20 utilisés dans le vivant, il y en a 20 à la puissance 100, soit 10 à la puissance 130 ! L'ARN, lui, comporte 4 bases différentes, ce qui donne 4 à la puissance 100 ou 10 à la puissance 60. Cela fait plus de molécules possibles que d'atomes dans l'univers... Ce résultat est lié au fait qu'il s'agit de structures en trois dimensions, dont la diversité tient au nombre de molécules qu'elles comportent, à l'ordre dans lequel celles-ci sont agencées (les séquences), à la forme qu'elles prennent (car elles peuvent se replier sur elles-mêmes), et enfin à leur orientation (chiralité) 'droite' ou 'gauche' (comme les deux mains) qui induit des propriétés différentes. Parmi ces deux dernières formes, le vivant n'en utilise qu'une, droite ou gauche selon la catégorie de molécule. Dans un système dynamique (hors équilibre), l'état racémique qui existe à l'origine (c.a.d. comportant un nombre égal de molécules de formes 'droite' et 'gauche') peut devenir instable et il se produit alors une amplification autocatalytique de la chiralité étudiée par Plasson, Bersini, Commeyras (PNAS 2004) et Danger, Plasson, Pascal (Astrobiology 2010) : le système bascule en L (gauche) ou D (droite). - Les acides aminés L représentent la quasi totalité des acides aminés qui se trouvent dans les protéines. Les acides aminés D se rencontrent dans certaines protéines produites par des organismes exotiques au fond des océans, comme certains mollusques. Ce sont également des composants abondants des parois cellulaires des bactéries. - L'émergence de cette homochiralité, caractéristique du vivant, s'effectue selon le processus APED (Activation / Polymerisation / Epimerisation / Dépolymérisation). Ce système n'échappe pas aux lois de la thermodynamique, mais la thermodynamique est inapte à la description de son originalité qui est principalement de nature cinétique. Le réseau autocatalytique (réplicateur) se forme avec une compétition pour consommer l'énergie, ce qui fournit une "Sélection naturelle" du PLUS RAPIDE, du plus efficace à se reproduire. Un polymère, porteur d'information en interaction chimique, stabilise le réseau auto-catalytique. Si l'auto-organisation est gouvernée par un impératif cinétique, chercher à caractériser la transition par l'étude des produits stables est insuffisant. L'analyse cinétique est nécessaire et il faudra donc développer les études de cinétique en solution aqueuse et rechercher des réactions couplées.
Le processus d'évolution, abiotique ou biotique, se traduit par une sélection. Celle-ci peut s'effectuer à trois niveaux différents : tout d'abord l'organisme, ensuite la fonction ou la propriété (d'une macromolécule) que porte cet organisme, liée à la structure et à la séquence de la macromolécule dont la variabilité permet l'évolution. La sélection se produit enfin par des variations (mutations) au sein de la séquence d'une macromolécule qui offrent une source quasi-infinie de diversité. Reste à comprendre en fonction de quoi celles-ci sont sélectionnées.
Selon Biron, Parkes, Pascal, Sutherland, un lien entre les chimies des acides aminés et des nucléotides pourrait être à l’origine de la machinerie de traduction du code génétique. Pour comprendre les premiers stades du vivant, il faut imaginer un scénario d’apparition du mécanisme de traduction reposant non seulement sur une évolution non-déterministe mais aussi sur une force motrice ayant conduit à la sélection du système actuel sophistiqué. La détermination de la structure tridimensionnelle du ribosome montrant l’absence de toute protéine à proximité du site de formation de la liaison peptidique est souvent considérée comme un argument en faveur d’un rôle initial important pour les ARN (monde d'ARN) qui auraient alors servi simultanément de supports pour l’information et de catalyseurs indispensables au fonctionnement d’un système capable d’autoreproduction. Mais une matrice optimale pour porter l’information requiert une morphologie uniforme adaptée à une recopie linéaire tandis qu’une activité catalytique diversifiée nécessite un large éventail de structures possibles pour s’adapter aux besoins des réactions à catalyser. La vie n’a pu remplir ces deux exigences contradictoires simultanément et complètement que par le recours à deux catégories différentes de polymères, les acides nucléiques et les protéines, donc après l’apparition du code génétique et de son mécanisme de traduction. Cette émergence reste obscure dans un contexte où le moindre avantage sélectif suppose que plusieurs codons puissent déjà être traduits avec une fidélité raisonnable en acides aminés, ce qui nécessite même à ce stade un système très sophistiqué. - Schémas : Les précurseurs. -
Un premier pas vient d’être franchi par l’équipe «Dynamique des Systèmes Biomoléculaires Complexes» (DSBC) en collaboration avec une équipe de l’Université de Manchester. Ces travaux consistent dans la mise en évidence d'un mécanisme chimique original conduisant à la formation de liaisons covalentes entre acides aminés et nucléotides assez semblables à celles que l’on trouve aujourd’hui entre un acide aminé et l’ARNt. Cette possibilité repose sur la réactivité des N-carboxyanhydrides d’acides aminés (NCA) avec un groupement phosphate suivi par une réaction intramoléculaire très efficace. Des molécules, analogues simplifiés des aminoacyl-ARNt, peuvent ainsi être obtenues spontanément (sans nécessiter de catalyse) par interaction des NCA avec des nucléosides phosphorylés en positions 3’. Cette réaction pourrait avoir conduit simplement à des conjugués acides aminés-ARN ouvrant une possibilité d’évolution ultérieure vers les aminoacyl ARN de transfert. Cette réaction consolide l’hypothèse d’un rôle important à l’origine de la vie pour les NCA dont une voie de synthèse compatible avec les conditions de la Terre primitive a été proposée, il y a quelques années par l’équipe DSBC. D’autres arguments en faveur d’un rôle important des NCA aux premiers stades du vivant viennent également d’être avancés dans une revue récente sur la chimie prébiotique des acides aminés et des peptides (Pascal, Boiteau, Commeyras, 2005). Leur grande réactivité est associée à un contenu énergétique facilement transférable permettant de les considérer comme des transporteurs d’énergie. - Schéma : Les précurseurs. -
On constate la conversion d'une forme physique d'énergie en une espèce chimique riche en énergie, un transporteur d'énergie. Cette espèce est caractérisée par sa capacité à donner de l'énergie (pouvant être transformée en produit en libérant de l'énergie libre) et elle est préservée d'une dégradation spontanée par une barrière cinétique (liaison covalente). L'énergie peut aussi bien émaner d'une source thermale que de l'activation photochimique dans l'atmosphère. Elle induit la formation de composés organiques de faible poids moléculaire qui tendent à s'auto-organiser grâce à leur capacité à délivrer des quanta d'énergie correspondant aux premières réactions biochimiques et à la reproduction d'entités aptes à leur propre réplication.
Le mode d'activation dans l'atmosphère s'effectue par la photolyse (avec des photons d'énergie supérieure ou égale à celle d'une liaison covalente). Avec les précurseurs contenus dans la matière organique extraterrestre, les NCA peuvent produire beaucoup de nucléotides activés. On constate ainsi une continuité entre les petites molécules formées dans l'univers ou les atmosphères planétaires (comme celle de Titan par exemple), et les macro-molécules qui conduisent au vivant. - Tableau : Décharges électriques avec. -
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Société Française d'Exobiologie - Astronomie Côte Basque : Jean-Claude, Jean-Louis et Cathy | COLLOQUE D’EXOBIOLOGIE |
27 au 30 septembre 2010 |