L’environnement terrestre primitif
THOMASSOT Emilie - CRPG-CNRS, 15 Rue Notre Dame des Pauvres, BP20, 54501 Vandoeuvre-les-Nancy - emilie@crpg.cnrs-nancy.fr

Résumé de la présentation fourni par la conférencière : Etudier et comprendre l’environnement de surface terrestre aux époques les plus anciennes auxquelles l’enregistrement géologique nous permet d’accéder, soit possiblement aussi loin que 4,28 milliards d’années (Ga)…
L’objet de cet exposé est de dresser l’état des connaissances sur l’environnement de surface de la jeune Terre, c’est-à-dire sur la physico-chimie de ses enveloppes externes et sur les interactions entre ces différentes enveloppes. Dans la perspective de notre discipline scientifique qu’est l’exobiologie, cette connaissance est une étape nécessaire pour analyser et comprendre les conditions environnementale qui ont permis l’émergence de la vie et assuré son développement. L’étude directe des archives géologiques terrestres permet potentiellement d’apporter un grand nombre d’informations. Elle est cependant fortement conditionnée par la préservation des terrains les plus anciens et notamment par celle des ensembles volcano-sédimentaires supracrustaux (i.e. reliquats de la partie externe de la surface terrestre), formés en interaction directe avec l’hydrosphère, l’atmosphère et éventuellement la biosphère. A l’Archéen, quelques portions supracrustales sont connues notamment à Barberton, Afrique du Sud, Pilbara, Australie (3,5 Ga) ou au Groënland (Isua à 3,8 Ga). Leur étude a permis de préciser à la fois l’existence d’un océan, d’étudier sa physico-chimie et sa température (enregistrée nous le verrons dans les sédiments chimiques), mais aussi d’utiliser la composition isotopique des sédiments pour tracer des portions de la chimie atmosphérique ou l’interaction avec la biosphère. Pour l’Hadéen en revanche, la vaste majorité des connaissances est issue de l’étude de minéraux détritiques (les zircons) ayant cristallisé dans une roche ancienne aujourd’hui disparue. La découverte récente d’une ceinture supracrustale vieille de 4,3 Ga, à Nuvvuagittuq, dans le nord du Québec, a permis d’étendre l’enregistrement géologique de plus de 0,5 Ga. L’étude géochimique des sédiments de Nuvvuagittuq sera présentée et je discuterai en particulier de la gamme de chimie atmosphérique restreinte qu’ils indiquent. Cette gamme, similaire à celle connue tout au long de l’Archéen semble indiquer une stabilité très précoce des enveloppes externes de la jeune planète. Photo : Lave en coussins à Nuvvuagittuq (Québec)... Un plancher océanique vieux de 4,3 Ga ? -

2/ Après cet exposé de Sean Raymond sur la formation du système solaire, la jeune et pétulante géologue Emilie Thomassot évoque ses recherches sur l’environnement terrestre primitif. Quelles conditions régnaient lorsque la vie est apparue ? Les géologues interrogent les plus vieilles roches encore présentes à la surface de la Terre. Celles-ci ne remontent pas toutefois à sa naissance même, car elle s’est formée dans la violence, les chocs répétés, jusqu'à cet épisode terrible où un planétoïde de la taille de Mars s'écrasa contre elle, faisant jaillir une masse de décombres qui finirent par s'unir et former notre Lune. La Terre pansa ses blessures qui disparurent dans l'océan de magma. En refroidissant, la surface forma une croûte craquelée en de très nombreuses plaques continentales où apparut la vie (?). Une dernière chute intense de météorites mit fin à cette période de 700 millions d’années, qui se déroula entre 4,56 et 3,85 Ga (giga ou milliards d’années), que l'on appelle l’ère hadéenne, longtemps considérée comme insondable.

Peut-on déterminer les paramètres d'habitabilité (susceptibilité d'accueillir l’émergence et la présence de la vie) et les tester pour cette époque de l'Hadéen ? Deux méthodes sont employées en parallèle, une approche indirecte par l’étude d’analogues, comme la planète Titan qui gravite autour de Saturne, et l’étude directe des roches les plus anciennes sur Terre. Il existe par exemple des laves en coussins qui sont antérieures à 3,9 Ga, ainsi que des échantillons de roches extraterrestres (les météorites). - Photo : Titan derrière les anneaux de Saturne. -

Au tout début, à proximité du centre de la nébuleuse solaire, les températures étaient très élevées et seuls les éléments réfractaires (notamment le silicium et le fer) ont pu former les premières poussières solides, germes des planètes, à la composition voisine de celle que l’on trouve actuellement dans les météorites appelées chondrites. Ces inclusions de quelques millimètres de diamètre, appelées des chondres, se sont condensées dans les premiers dix millions d’années. Leur forme sphérique prouve qu’ils ont été liquides et ont rapidement cristallisé en état d’apesanteur en se refroidissant.

La Proto-Terre grossit pendant 6 à 12 millions d’années par accrétion des chondrites. Lorsque sa masse devient importante, elle entre en fusion, car sa température augmente sous la triple action des impacts météoritiques, de la compression gravitationnelle et de la présence d’éléments radioactifs. Les éléments chimiques qui la composent s'organisent alors en sphères concentriques : les plus denses et les plus réfractaires plongent au centre de la planète, tandis que les plus légers et les plus volatiles se retrouvent à la périphérie. Alors qu’il ne s’est pas écoulé 50 millions d’années, la Terre est percutée par un objet de la taille de Mars qui provoque l’éjection d’une grosse quantité de roches dans l'espace qui finissent par s’agglomérer et former la Lune. Dès que la Terre a atteint une taille suffisante pour que sa surface dissipe par rayonnement thermique l’énergie due aux impacts, sa température superficielle se stabilise puis commence à baisser. A partir de ce moment, l’eau et les gaz qui migrent depuis l’intérieur du globe peuvent s’accumuler à sa périphérie et constituer l’hydrosphère et l’atmosphère primitives (la croûte et le manteau terrestre contiennent encore aujourd’hui 20 fois plus d’eau liée sous forme d’hydroxydes que n’en contiennent les océans actuels - cf. Océanographie). De 100 millions d’années jusqu’à 2 Ga, une nouvelle atmosphère apparaît, qui ne contient pas d’oxygène. - Photo : Les chondres sont constitués d'olivines et de pyroxènes, minéraux riches en fer et magnésium. -

Le magma refroidit lentement et les roches en profondeur cristallisent sous l’effet de la pression. Parmi ces roches plutoniques, les plus courantes sont les granites et les plus anciennes, les orthogneiss. Durant ce processus se forme le zircon, un minéral fort intéressant de formule chimique ZrSiO4, du silicate de zirconium naturel, qui a la particularité de contenir à l’état de traces du hafnium, du thorium et de l’uranium dont les isotopes radioactifs à très longue demi-vie permettent une datation absolue. On a ainsi pu retrouver des grains de zircon qui remontent au tout début de la formation de la croûte terrestre parmi les roches détritiques des Jack Hills, au sein de la formation Narryer Gneiss Terrane du craton Yilgarn, en Australie occidentale. Leur âge a été estimé à 4,404 milliards d'années (Ga), soit 156 millions d'années après le début de la formation du système solaire. Ces zircons constituent donc la preuve de l'apparition précoce d’une croûte terrestre. - Photo : Affleurement du plus ancien échantillon connu de la croûte terrestre, un zircon détritique de 4,.4 Ga dans les métaconglomerats Jack Hills, Eranondoo Hill, Australie occidentale. - Schéma : Emplacements des roches les plus anciennes. -

Par ailleurs, si les zircons offrent une forte résistance à l’altération thermique, ils gardent la trace de l’altération provoquée par la présence de l’eau.

Définitions : L’atome est formé d’un noyau, composé de neutrons et de protons, et d’électrons orbitant autour. Le nombre de protons est égal au nombre d’électrons pour respecter la neutralité de l’atome, et ce nombre est appelé numéro atomique. Le nombre de protons détermine la nature du composé (propriétés physiques), le nombre d’électrons (qui est le même), les propriétés chimiques. Le nombre de neutrons influe peu sur ces caractéristiques. Il ne fait qu’augmenter la masse atomique de l’élément, en formant alors des isotopes, de mêmes propriétés, mais de masses atomiques différentes. Géologie isotopique : "Fruit de l'application des techniques de la physique nucléaire à la géologie, la géologie isotopique a révolutionné les sciences de la Terre. Au-delà de la stricte datation des roches, l'utilisation de traceurs isotopiques a en effet permis de reconstruire la dynamique du Globe, de mesurer les températures du passé - donnant naissance à la paléoclimatologie - et de comprendre l'histoire des éléments chimiques grâce à l'analyse des météorites."

L’oxygène possède trois isotopes stables. Leurs abondances moyennes sont égales à 99,76% pour 16O, 0,004% pour 17O et 0,2% pour 18O. La répartition des isotopes de l’oxygène est homogène dans le manteau terrestre, leur distribution est stable. Par contre, dans une croûte terrestre en contact avec de l’eau, l’oxygène migre dans les argiles, constituées de très fines particules de matière arrachées par l’érosion aux roches silicatées (granite -mica et feldspath-, gneiss). - Photo : Zircon -

La répartition de l'isotope de l'oxygène 18O passe ainsi d'un taux stable de 5,2 pour 1000 dans le manteau à une fourchette de 4 à 7,5 pour 1000 dans les zircons de Jack Hills. Les géologues expliquent ainsi cette anomalie : ces zircons se sont formés à partir de roches en contact avec des fluides à basse température. Cette interaction a altéré leur structure, c'est à dire que des isotopes de l'oxygène contenus dans ces fluides se sont alliés aux éléments solides qui ont ensuite fondu, puis ont cristallisé sous l'action du métamorphisme. Est-ce que ces roches formaient une croûte océanique qui aurait été soumise à la tectonique des plaques : elles seraient passées ainsi sous une autre plaque par subduction et auraient fondu en descendant dans les profondeurs chaudes du globe ? Cela signifierait qu'après l'accrétion de la Terre vers 4,568 Ga, l'eau liquide se soit condensée avant 4,4 Ga (l'âge des zircons), et que des continents - et des océans - aient existé il y a 4,4 Ga. - Si je comprends bien, cette observation apporterait une confirmation à la modélisation de Sean Raymond qui met en évidence une migration des astéroïdes emplis d'eau glacée vers l'intérieur du système solaire et leur chute précoce sur les planètes telluriques en formation. - Schéma : Structure de la Terre : 1. croûte continentale, 2. croûte océanique, 3. Manteau supérieur, 4. Manteau inférieur, 5. noyau externe, 6. noyau interne. -

Au Groënland, sur le site d'Isua, on trouve des roches plutoniques (granites...) fortement différenciées où le basalte (magma refroidi rapidement lors de son éjection vers la surface terrestre) s'est transformé sous l'action de la chaleur et en présence de l'eau en granitoïdes (appelés TTG : pour Tonalite-Trondhjemite-Granodiorite, granites gris très déformés - orthogneiss - qui constituent 95% des roches archéennes). Ces roches traduisent une tectonique précoce (déplacement et chevauchement des plaques formant la croûte terrestre) qui a recyclé l'écorce terrestre primitive. Les vestiges de cette proto-croûte hadéenne sont des ensembles supracrustaux appelés roches vertes ou ophiolites, Isua étant le site le plus connu. Elles se sont formées à partir de magmas épanchés lors de l'ouverture d'anciens fonds océaniques (on le sait car les laves se sont figées sous des formes caractéristiques "en coussins" : pillow-lavas). Toutefois, elles sont difficiles à identifier car elles ont subi plusieurs fois des fusions. Il faut avoir recours à des datations relatives qui font remonter les roches vertes d'Isua à 3,7 Ga au moins, c'est à dire qu'elles sont postérieures au Grand Bombardement Tardif (LHB, Late Heavy Bombardment) qui a eu lieu autour de 3,9 Ga. - Schémas : 1- Tectonique, formation de granitoïdes - 2- Pillow-lavas. -

- Je fais un aparté sur un exposé de Hervé Martin, du Laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand, qui explique que la découverte de TTG (et de komatiites) donne la confirmation que la Terre était alors bien plus chaude que maintenant (quatre fois plus il y a 4 Ga). Comme la Terre n'était pas entièrement fondue, puisque on a retrouvé des vestiges de sa croûte, cela implique qu'elle évacuait la chaleur de façon très efficace. Aujourd'hui, l'essentiel de la chaleur terrestre est évacué par les rides océaniques (magmatisme, hydrothermalisme). Le refroidissement devait être assuré par une longueur de rides beaucoup plus importante, ce qui signifie que la croûte était toute morcelée en petites plaques qui se déplaçaient plus rapidement que les grandes plaques actuelles, les plaques subductées fondant au lieu de se déshydrater puisque le magma du manteau était beaucoup plus chaud. L'hydrothermalisme en était aussi facilité. - 3 schémas issus de sa présentation : Ride, grandes plaques, petites plaques continentales. -

Est-ce que le LHB aurait éliminé toute trace antérieure de la croûte terrestre ? Non, car on vient de découvrir près de la baie d'Hudson, à Nuvvuagittuq au Québec, des affleurements de roches blanc et rouge, basaltes altérés par l'eau (amphibolite et gabbros) qui sont des vestiges de la croûte océanique formée il y a 4,3 Ga (260 millions d'années après le début d'accrétion terrestre). Cette ceinture supracrustale comprend des roches volcaniques et des métasédiments (roches sédimentaires ayant subi un métamorphisme lors d'une subduction de plaque terrestre). Ces roches volcaniques ont une composition mafique (contraction de "magnésium-ferrique" - exemples : basalte, gabbros) et présentent des indices d'altération hydrothermale. Leur analyse confirme celle des zircons d'Australie évoquée plus haut. Nuvvuagittuq est la première ceinture de roches de surface hadéenne. On y trouve des laves en coussins (pillow-lavas) qui sont la preuve qu'elles ont été produites lors d'éruptions au fond d'un océan.

Ces laves représentent des morphologies fossiles de l'océan : leur analyse pourrait permettre de déduire la température et la salinité de cet océan primordial. Elles se trouvent associées à des cherts (proches du silex) archéens (époque postérieure à l'Hadéen), roche sédimentaire siliceuse constituée de quartz (SiO2) crypto à micro-cristallin plus ou moins recristallisé durant le métamorphisme. On en trouve par exemple à Marble Bar (Pilbara, Australie) âgés de 3,47 Ga, ou à Nuvvuagittuq (Québec) remontant à 3,9 Ga. Ces cherts sont un constituant mineur mais omniprésent des ensembles supracrustaux, et qui résistent à l'altération dissolution/recristallisation. Pourquoi sont-ils là et comment se sont-ils formés ?

Pour répondre à ces questions, il faut comprendre la diagenèse de la silice, c'est à dire sa transformation depuis le stade de sédiment jusqu'à celui de roche sédimentaire, à faible profondeur, à des conditions de température et de pression peu élevées. La silice est extraite des roches par l'eau dans laquelle elle se dissout sous la forme Si(OH)4. Puis elle précipite sous une forme amorphe ou en opale (silice hydratée : SiO2, nH2O), elle passe éventuellement par le stade de quartz fibreux, cristallise (quartz microcristallin) puis recristallise sous l'action du métamorphisme (chaleur et pression) pour donner du mégaquartz ou du quartz filonien. Est-ce que la composition en isotopes de l'oxygène du chert peut donner une indication sur la température de cet océan primordial, sachant que, à concentration en 16O égale, il y a 1,6 % moins d'18O à 80 °C qu'à 20 °C ? - Photo : Opale -

Effectivement, ce critère indique que l'océan primordial a eu une température comprise entre 50 et 85°C à la date de 3,5 Ga ! Toutefois, une évaluation plus précise nécessite l'émission d'hypothèses sur la composition de l'océan et elle ne donnera que la température locale, celle de l'endroit où le chert s'est formé. Cette paléothermométrie est insuffisante pour évaluer la température moyenne de l'océan. On obtient une information plus précise en étudiant dans le chert le rapport entre les deux isotopes stables les plus abondants du silicium, le 30Si et le 28Si. L'eau ne pouvant contenir que très peu de silicium sous forme dissoute, il semble peu vraisemblable qu'elle modifie la composition isotopique du silicium en percolant à travers le silex. Par ailleurs, la solubilité de la silice décroît en même temps que la température. Elle est d'environ 100 parties par million (ppm) à 60 °C et de 50 ppm à 20 °C. Par cette technique, on évalue que l'océan archéen devait être à 70°C il y a 3,5 Ga ! L'étude préliminaire des métacherts (cherts transformés par métamorphisme) hadéens de Nuvvuagittuq (âgés de 4,3 Ga) confirme la tendance de la courbe de température déduite pour l'Archéen. Il n'y a pas eu de modification radicale de l'hydrosphère d'une période à l'autre : l'océan était aussi chaud (très chaud !) à cette époque reculée. - Nota : Sachant que l'hydrothermalisme était omniprésent, comment les scientifiques peuvent-ils être sûrs qu'il s'agit bien de la température de l'océan et non de ces émanations d'eaux chaudes chargées de minéraux provenant de l'intérieur du globe ? - Photo : Marble Bar cherts (Pilbara, Australie) : Brèche hydrothermale de cherts lités dans une matrice de cherts gris. Towers formation (ca. 3,46 Ga). -

Une autre roche présente de l'intérêt pour cette étude des conditions initiales sur Terre. Il s'agit des BIF (Banded Iron Formations, formations sédimentaires de fer rubannées, riches en fer et silice, quartz, magnétite, oxyde de fer). Ces formations montrent une alternance de quartz et d'oxyde de fer (FeOFe2O3). Les BIF sont une indication de la chimie de l'océan, dominée par l'activité hydrothermale qui enrichit sa composition, et qui montre un état redox (d'oxydo-réduction) permettant la divalence du fer, c'est à dire un atome de fer qui a perdu deux électrons et qui est donc transformé en ion à charge électrique positive (un cation). Les BIF se sont formés à partir de ce fer réduit (Fe2+) en solution dans un océan ferrugineux, avec une oxydation locale et cyclique (Fe3+), selon un processus inconnu (photosynthèse -par des organismes chlorophylliens- ou photo-oxydation -oxydation par le rayonnement lumineux- ?), car le fer est un tampon important entre l'hydrosphère et l'atmosphère. Ces dépôts de silice pure suivis de dépôts d'oxydes de fer et de magnétite montrent qu'il y a eu des changements environnementaux, avec des conditions parfois plus oxydantes : ces variations se sont produites durant 3 milliards d'années. Il est possible que pour des conditions chimiques identiques dans l'océan, des bactéries aient eu une action plus ou moins oxydante en fonction des variations de température. Quel que soit le processus de formation des BIF, il est actif tout au long de l'histoire de la Terre, y compris pendant l'Archéen (de 3,8 Ga à 2,5 Ga) et les grandes glaciations phanérozoïques (de 542 Ma à nos jours). - Photo : BIF (Banded Iron Formation), ou quartzite ferrifère Coppin Gap. Roches appartenant au George Creek Group (âge mal contraint, ca. 3 Ga) - Schéma : Répartition des BIF dans le temps. -

Enfin, pour terminer ce petit tour d'horizon des recherches actuelles, les scientifiques s'interrogent sur le "paradoxe du Soleil jeune". Lorsque les gaz et poussières de la nébuleuse primordiale se concentrent et que le Soleil "s'allume", la luminosité est très grande et elle s'accompagne d'un très fort vent solaire accompagné d'émissions de rayons X et UV en grande quantité par rapport à aujourd'hui. Cette activité décroît très vite (en 10 Ma, millions d'années) pour ensuite remonter avec une pointe de luminosité vers 20 ou 30 Ma et se stabiliser à partir de 50 Ma à un niveau bas, où le Soleil est "froid" car il "brûle" préférentiellement de l'hydrogène. Pourquoi alors la Terre n'est-elle pas gelée ? Sa température clémente est peut-être due à la présence de gaz à effet de serre dans son atmosphère qui compenseraient la faible luminosité du Soleil. Pour une meilleure compréhension du paragraphe suivant, je recommande la lecture du dossier élaboré par J-F Moyen sur l'Histoire de l'atmosphère.

Etait-elle due à la présence de méthane (CH4) ? Si oui, de quelle origine ? A la présence de gaz carbonique (CO2) ? Issu du dégazage du manteau ? Mais il devrait y avoir cent fois la pression atmosphérique actuelle pour obtenir une chaleur suffisante. Un mélange de méthane et de gaz carbonique, dont les abondances sont liées et déterminent la formation des brumes organiques ? Mais c'est difficile à étudier. Avec de l'hydrogène qui aurait été extrait très tôt et favoriserait la formation de brumes organiques ? Ou bien un échappement hydrodynamique ? Mais il y aurait absorption d'oxygène et l'échappement n'est pas si important. L'étude des roches indique une fourchette avec des limites minimale et maximale de quantité de gaz carbonique. Les sédiments archéens contiennent tous de la magnétite. La divalence du fer (II et III) est incompatible avec la pression de CO2 requise pour compenser la faible activité solaire. Par ailleurs, une surface océanique plus étendue par rapport à la surface des continents émergés aurait procuré à la Terre durant l'archéen un albédo plus faible, l'eau absorbant la chaleur provenant des rayons solaires bien mieux que les roches. Et avec moins de nuages, l'atmosphère plus transparente aurait mieux laissé passer le rayonnement. Il n'existe aucun consensus sur la composition de l'atmosphère primitive et les observations géologiques ne soutiennent aucun des modèles climatiques. Il faut donc trouver un traceur géologique robuste de l'atmosphère primitive : des informations complémentaires pourraient provenir de l'étude de la géochimie du soufre.

Historique : (HULSTON and THODE, 1965b) furent les premiers à proposer l’analyse systématique des différents isotopes d’un élément pour différencier les propriétés nucléaires des processus purement chimiques. Ils suggérèrent que puisque les processus chimiques ou physiques produisent uniquement des fractionnements dépendant de la masse, toute déviation de cette propriété serait l’empreinte d’un processus nucléaire. Ils ont mesuré les abondances des 4 isotopes du soufre dans des météorites ferriques et ont détecté des enrichissements en 33S et 36S qui ne suivaient pas un fractionnement dépendant de la masse. Ils ont interprété ces résultats en faisant l'hypothèse que des rayonnements cosmiques de haute énergie ont interagi avec le métal pendant des milliards d’années d’exposition. Cette découverte a par la suite ouvert un vaste champ d’investigation allant de la compréhension de l’origine du système solaire à l’oxygénation de l’atmosphère lors de l’ère Précambrienne, ainsi que les réactions chimiques qui régissent l’atmosphère actuelle, que ce soit au niveau de la troposphère, stratosphère ou de la mésosphère. - Photo : Météorite coupée. -

Origine de l’anomalie isotopique du soufre
Suite à ces travaux, (FARQUHAR et al., 2000b) trouvèrent également des anomalies isotopiques en soufre dans des météorites martiennes. Dans les matériaux terrestres, l’anomalie isotopique du soufre a été mesurée dans les roches archéennes âgées de plus de 2 Ga (FARQUHAR et al., 2000a; FARQUHAR and WING, 2003), puis elle disparaît dans les roches plus récentes, suggérant un changement radical dans le cycle du soufre. (FARQUHAR et al., 2000a) ont émis l’hypothèse que la disparition de l’anomalie isotopique était liée à l’oxygénation de l’atmosphère. L’augmentation des concentrations d’oxygène dans l’atmosphère et la formation de la couche d’ozone bloquant les rayonnements UV et par conséquent les réactions photochimiques sur les molécules soufrées ont été proposés pour expliquer le changement brutal du cycle du soufre dans l’archéen (FARQUHAR et al., 2000a; FARQUHAR and WING, 2003). - Photo : Concrétion d'hématite. -

La concentration d'isotope 33S résulte de la photolyse (décomposition par la lumière) UV des molécules soufrées gazeuses dans une atmosphère anoxique (sans protection par l'ozone O3). L'analyse des roches donne une césure radicale à compter de 2,5 Ga, avec l'apparition de l'oxygène dans l'atmosphère protégée par une couche d'ozone. Cette anomalie isotopique du soufre implique une distribution très particulière des gaz dans l'atmosphère : une pression de CO2 inférieure à 3 bars, un rapport des pressions de CH4 et CO2 inférieur à 0,1, une pression de SO2 minimale, au moins identique à l'actuelle pour assurer le flux de S8, une pression d'oxygène supérieure à 1/100 000 de la pression actuelle (?). Il faut également que la pression de O2 ne compromette pas la stabilité de S8 et de H2SO4, ainsi qu'un rapport des pressions CH4 sur CO2 qui garantisse la stabilité de S8. - Photo : Soufre. -

Les sédiments archéens (3,8 à 2,5 Ga) en Australie et en Afrique du Sud décrivent une corrélation 33S= 0,9 34S. Elle est attribuée à une photochimie stable au cours de la période. Elle suppose un cycle du soufre dynamique contrôlé par une sédimentation qui serait due à une activité biologique (?). La même corrélation est préservée dans les métasédiments hadéens. La photochimie paraît donc stable tout au long du précambrien. Est-ce qu'il en est de même pour la gamme de composition atmosphérique (pCO2, pCO2/pCH4, pSO2, pO2) depuis 4,3 Ga ? Y a-t-il eu une protection précoce permettant la vie sur Terre ? On constate la présence des BIF (Formation de fer rubanné) et de cherts, ainsi que des laves en coussin. Un océan existe donc à la surface de la jeune Terre. Durant le LHB, des roches de surface ont été préservées. On constate aussi la présence de l'isotope du soufre 33S, et les covariations 34S-33S impliquent une gamme de composition atmosphérique restreinte. Cette corrélation est étonnante, il n'y a pas de chamboulement apparent, l'atmosphère est stable ou bien la Terre a la capacité de réinitialiser sa composition. On ne repère pas le moment d'apparition de la biosphère. Deux facteurs sont donc nécessaires à l'apparition de la vie : la présence des ingrédients et une stabilité environnementale. - Photo : Desulfovibrio desulfuricans (bactéries sulforéductrices). -

En résumé, les enveloppes de surface à l'Hadéen comprennent la lithosphère qui comporte un volume de croûte continentale granitique important dès 4,4 Ga, une portion de plancher océanique épargnée par le bombardement tardif, une tectonique active dès l'Hadéen. En ce qui concerne l'hydrosphère, l'océan est stable avant et après le LHB, a priori plus chaud que 55°C, il y a des systèmes hydrothermaux actifs et pas de différence marquée entre les sédiments archéens et hadéens. Pour l'atmosphère, la covariation 34S-33S implique, soit une stabilité de la chimie de l'atmosphère, soit une capacité de la planète à réinitialiser cette composition après des événements perturbateurs tels que le LHB et l'apparition de la vie. - Photo : Sulfolobus (Archaea vivant dans les sources hydrothermales chaudes, acides et riches en soufre). -

Et la biosphère dans tout ça ? Les traces de vie les plus anciennes sont des fragments de matière organique (contenant du carbone) préservés dans des sédiments pélagiques (Isua, Groënland, Rosing et al. 1999). Au-delà, il y a des biosignatures indirectes (Rosing et al. 2006, Vernadski 1924). Quel est le rôle de la biosphère dans la transformation de l'énergie cosmique en matière organique ? - Photo E. Javaux : Microfossile à paroi organique de plus de 100 microns (1,1 mm) de diamètre préservé dans des shales et remontant à 3,2 Ga (Afrique du Sud) -

"Fossiles de traces" bactériens les plus anciens connus trouvés sous la forme de tubes minéralisés avec des résidus organiques dans du verre volcanique sous-marin remontant à 3,34 Ga, qui ont été rejetés par des bactéries "mangeuses de roche" le long de fentes - Grosch et al.

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Société Française d'Exobiologie - Astronomie Côte Basque : Jean-Claude, Jean-Louis et Cathy
COLLOQUE D’EXOBIOLOGIE
27 au 30 septembre 2010