L'expérience de Keratos
confirme que les personnes qui présentent des pathologies graves de la
cornée ne font que se battre et sont abandonnées par tous et notamment
par le monde du travail. Il s’agit souvent de maladies orphelines que
les services sociaux liés au travail ignorent totalement. Ce sont des
malades à qui les médecins demandent d’éviter la climatisation, la
fumée, la poussière, le vent, les produits volatiles, les parfums et
diffuseurs, le chauffage, les atmosphères sèches, la pollution, les
allergènes et pollens, les écrans d’ordinateur, les ventilateurs, etc., de
façon à préserver ce qui reste de leur vue. Ce sont des malades qui
souffrent le martyr car rappelons-le, la cornée est le tissu humain le
plus sensible (pour les personnes saines, le moindre grain de sable peut
être insupportable alors imaginez une
ulcération - un véritable "trou"
dans l’œil) et la seule lumière devient insupportable. Mais rappelons-le,
pour la COTOREP et les tribunaux de l'invalidité, l’absence de larmes
est un problème qui n’existe pas puisqu’il n’est pas prévu dans le
barème, et que la douleur ne peut indemnisée. Ainsi, il dit à ces
malades qu’ils souffrent de maladies qui n’existent pas
administrativement tant qu'ils ne perdent pas leur vue.
Il existe de plus le problème
de la malvoyance, car le barème pousse l’absurdité à vouloir trancher
très nettement à
un 1/20 quasiment entre les personnes totalement aveugles et les personnes
saines. Ainsi, des personnes ayant une vision basse ne permettant pas de
mener un quotidien normal seraient gentiment classées par la COTOREP
comme des personnes normales qui pourraient faire face à la concurrence
sur le marché du travail! Faire croire que des personnes avec un ou deux
dixièmes de vue, ayant des douleurs intenses aux yeux et qui les risquent
au quotidien au travail vont pouvoir se battre dans un marché du travail
normalement, est non seulement une injustice, mais un abandon grave.
Car bien entendu, il est connu que les employeurs raffolent
de personnes qui ne peuvent pas fixer un écran d’ordinateur durablement,
ne peuvent pas lire longuement, ne peuvent faire ci ou cela et qui demandent
des conditions de travail aussi spécifiques que les nôtres! D'autre
part, les pathologies liées à la vue font particulièrement peur aux
employeurs, d'autant plus que les dysfonctionnements lacrymaux restent
totalement méconnus de la société en général.
Pourtant, même si travailler
dans des conditions normales comportant des facteurs aggravants
présentés ci-dessus représente pour ces patients de perdre
progressivement la vue, de souffrir le martyr, certains s’y "obstinent"
encore ou en sont forcés par la « société ».
Pour un patient souffrant des
pathologies dont Keratos s’occupe, le monde du travail débute par
l’entretien d’embauche impossible à réussir dans des conditions
normales. L’employeur ne cessera de remarquer que le porteur d’un
syndrome sec sévère doit mettre des gouttes dans les yeux toutes les 5
minutes. Cacher un tel état se révèle absolument impossible.
Habituellement, l’expérience professionnelle de nos membres s’arrête à
ce stade depuis qu’ils souffrent de l’ « œil sec sévère ». Si d’aventure
l’ « aventure » se poursuit, il s’agit alors de devoir faire accepter à
son employeur et ses collègues d’éliminer tous les facteurs aggravants
(bis repetita non placent: la climatisation, la fumée, la poussière, le vent, les
produits volatiles, les parfums et diffuseurs, le chauffage, les
atmosphères sèches, la pollution, les allergènes et pollens, les écrans
d’ordinateur, les ventilateurs, etc.). Si par chance personne ne fume
dans les locaux (ce qu’il est désormais permis d’espérer), il faut alors
espérer qu’il soit possible pour ces collègues d’accepter de faire un
usage limité ou très modéré (parfois juste raisonnable!) de la
climatisation et du chauffage. Ce qui est devenu assez rare.
Pour autant, le travail reste
possible: soit en télétravail pour les cas les plus graves (ainsi à la
maison, la personne pourra créer l’environnement favorable à son état et
selon ses sensibilités spécifiques) soit en bureau individuel,
voire encore avec des aménagements peu coûteux –
tels que l’achat d’un humidificateur et d'un
écran adapté. En prime, il pourrait y avoir un
peu de compréhension des employeurs... qui sait?
Autrement, travailler en
l’état signifie aussi aggraver la pathologie initiale, ce qui est encore souvent
le cas. La plupart des membres de l’association ont essayé de cacher leur
pathologie et de privilégier leur travail, pour aboutir inévitablement à
l’échec dans les deux domaines: professionnel et thérapeutique.
Le résultat de ce décalage est l’aggravation des
maladies et le plus souvent encore du maintien au RMI des personnes
touchées par ces pathologies de la surface oculaire. Mais nous sommes sûrs que cet exemple est valable pour de nombreux handicapés dès
lors qu’il s’agit de maladies orphelines et handicaps méconnus. Cette
situation comporte le risque évident de retrouver ces personnes dans
des situations de handicap encore plus graves et donc plus coûteuses au
final pour la société. A la fin tout le monde y perd.
L’Etat a le devoir de trouver des solutions professionnelles adaptées à
de tels handicaps (télétravail, poste adaptés et réservés) et d’insérer
l’handicapé dans ce rude « monde du travail » inadapté et non
sensibilisé à ces pathologies. A certaines personnes bien pensantes
(nous le disons sans ironie mais comme simple constat) qui affirment que
le télétravail renforceraient l'exclusion sociale des handicapés, nous
aimerions rappeler ceci: premièrement, le télétravail est en principe
réalisé sur la base du volontariat; deuxièmement c'est bien la seule
solution (alors volontariat ou pas?) pour certains handicaps lourds, handicaps liés à
l'environnement du travail, comme les nôtres et les pathologies imposant
des soins constants. Ceci d'autant plus qu'il serait possible de prévoir des
rencontres spécifiques pour le caractère "social" du travail, et surtout qu'actuellement, notre exclusion d'ores et déjà sociale, professionnelle et
financière reste le principe. N'est-il pas préférable pour un handicapé
d'avoir un emploi, même si dans son quotidien professionnel il reste
isolé, que d'être isolé (comme il l'est déjà actuellement) mais surtout
sans travail, sans avoir de quoi et vivre et se loger? Les nouvelles
technologies pourront limiter cet isolement notamment par l'usage de webcams et autres moyens de visioconférence. D'autre part, comme dans
beaucoup de pathologies chroniques, le recours au télétravail pourrait ne
pas être systématique, mais une possibilité ouverte au salarié pendant
les périodes où sa pathologie l'impose, ou alors entrecoupé de réunions
périodiques. Rejeter le télétravail est une grande erreur française...
A l'heure où certains s'offusquent de la discrimination positive et
d'autres défendent la méritocratie, les handicapés (visibles et invisibles) ont
beaucoup de raisons de douter. Nous, nous savons que la discrimination
négative existe, nous la vivons. Par ailleurs, le constant reste le même: sans sanctions
financières, le principe de l'embauche de 6% de travailleurs handicapés
n'est toujours pas respecté. Espérons qu'aux alentours de 2009, quand la
loi imposera le triplement de la cotisation AGEFIPH à tout employeur ne
respectant pas son obligation de 6%, la situation s'améliorera. Force est
de constater que le secteur public, qui s'est longtemps écarté de cette
règle, donne le plus mauvais des exemples avec son taux d'emploi des
handicapés... Quand à la question du mérite, en tant bien même si peu de
personnes sont aussi méritantes que les handicapés et malades quand il
s'agit de se battre pour survivre (dans tous les domaines), ils ont des
raisons de craindre une méritocratie qui s'empresse d'assimiler mérite
à réussite. Or, nous les handicapés, savons bien que
le mérite n'est pas sanctionné par la réussite dès lors que tout le
système est fait pour maintenir certaines personnes (et là, toutes
discriminations confondues) hors du parcours professionnel et système politique.
Les suédois de leur côté considèrent que toute instance, n'ayant pas un
handicapé parmi 20 autres personnes est forcément discriminante. Cette
règle transposée donnerait en France lieu des constats aussi
navrants...que salutaires.
Ainsi, sur 577, combien d'handicapés au Parlement*? Que peuvent penser les handicapés de la représentation
nationale dans un tel contexte?
La plus grande des injustices est de traiter également
des situations inégales (Aristote). C'est pour cela que l'équité existe;
c'est pour cela que la discrimination positive ou des systèmes de parité
ont été créés pour "lancer" le processus. Ceux qui croient à l'autorégulation
des institutions et de la société... ne sont pas des Handicapés. Une
simple déduction devrait permettre à n'importe qui d'arriver à cette
conclusion.
Comment s'offusquer d'une discrimination positive qui ne
parvient même pas à atteindre ces maigres objectifs d'équité voire le
respect de la loi?
Quand à la méritocratie qui se mesure à l'aune de la
réussite et au détriment de l'effort des autres, nous en voyons tous les
jours le résultat. Une rapide étude des taux de "réussite sociale"
devrait permettre de clarifier la question en un rien de temps. A moins,
bien sûr, que ces "groupes défavorisés" soient taxés d'absence de
volonté. Qui peut croire encore à l'absence de volonté des handicapés? A
quand la méritocratie fondée sur l'effort? Qui s'est donné la peine de
mesurer l'effort d'un handicapé au quotidien? Comment des groupes
favorisés peuvent-ils se rendre compte du mérite de ceux qu'ils ne
côtoient jamais professionnellement? Quel est le taux de chômage des
handicapés? Quel est le taux de chômage des déficients visuels?
Nous n'avons rien à craindre de la méritocratie et
cependant tout à craindre de la façon dont on la mesure! La
discrimination positive accentuée ne serait que justice, face à une
discrimination négative déjà existante! A Keratos, nous n'avons aucune
opposition de principe à l'application de ces principes, mais seulement à
certaines
méthodes d'évaluation de ces principes.
Nous vous suggérons de lire le site de nos partenaires
sur les pathologies chroniques et le travail:
http://www.pathologies-et-travail.org/.
* Le Parlement (Assemblée Nationale et Sénat) ne contient presqu'aucun élu
handicapé, la question se voulait surtout rhétorique. Bien sûr, l'on pourra dire que ce sont les électeurs qui
élisent. Mais ce sont les partis qui choisissent en premier ceux qui
seront éventuellement élus et dans quelles circonscriptions ils pourront
se présenter... ne l'oublions pas!
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Keratos 2007