Cela est a
priori un avantage: visuellement il est parfois impossible de "voir"
qu'une personne souffre d'un handicap visuel ou physique (du fait de la
maladie et/ou des souffrances physiques qu'elle provoque). Alors que
l'on constate vite un handicap d'une personne sur une chaise roulante,
portant une prothèse visible ou même aveugle, la malvoyance ou la
douleur oculaire constante ne se perçoit pas aisément.
Ce n'est pas pour rien que le
panneau
Handicap ne présente pas le cas d'handicapés sensoriels (voir le
panneau ci-contre par exemple, il
représente un handicapé en chaise roulante alors que ceux-ci ne
représentent que 3% des handicapés).
Ainsi, la
discrimination au premier regard (possible voire certaine face à une
chaise roulante et canne blanche) n'a pas lieu sauf quand les atteintes
deviennent plus perceptibles... et que l’on perçoit que la personne met
des collyres dans les yeux toutes les 5 minutes.
Cela comporte
tout de même un revers important: il est parfois difficile de faire
comprendre aux autres que l'apparence, en quelque sorte "normale" que
peuvent présenter les personnes atteintes de pathologies oculaires que
nous avons traité auparavant, est très trompeuse. Cette absence de
perception de la maladie est souvent source d'incompréhension parfois
même de la part des personnes les plus proches. C'est le lot d'ailleurs
de toutes les maladies chroniques qui ne sont pas perceptibles par les
autres (le handicap visuel, la douleur et la souffrance psychologique ne
sont bien souvent perçus que par leur porteur). C'est particulièrement vrai dans un
monde aux interprétations binaires (voyant vs. aveugle, alors que la
malvoyance existe à divers degrés; douleur constatable par les
praticiens vs. somatisation, alors que la douleur est un handicap en soi
mais qui n'est appréciable que subjectivement... or le malade n'est pas
coupable de cet état de fait). La plupart des pathologies abordées
concernent justement des cas qui combinent un déficit visuel à des
douleurs bien physiques, sans exclure toutefois la douleur morale
...
Cela revient
très souvent à un "renversement de la charge de la preuve" pour utiliser
une analogie juridique. Ainsi, la personne souffrante doit souvent se
justifier du fait de s'être mis à l'écart, de limiter ses activités,
d'éviter certains lieux et situations susceptibles d'aggraver son état.
Un exemple fréquent: la
fumée de cigarette dans le milieu social du
malade (mais cela pourrait tout aussi bien être le chauffage ou la
climatisation). Même un proche qui fume prend souvent comme une
agression le fait qu'on lui demande d'arrêter de fumer en présence d'une
personne atteinte d'une affection oculaire. Cela est d'autant plus
difficile dans les situations courantes de la vie avec des personnes que
l'on ne connaît pas; par exemple au travail,, au restaurant ou dans
les transports. C'est encore vrai dans le milieu professionnel ou
simplement à l'intérieur de bâtiments où le seul fait de porter des
lunettes de soleil sera plutôt interprété comme une provocation "à
l'aspect touriste ou de star" alors que c'est le seul moyen de limiter
la photophobie pour beaucoup d'entre nous. Ce sont des pathologies qui
rendent les personnes asociales, bien malgré elles, à plusieurs titres. La méconnaissance de
ces pathologies parmi la société fait le reste et conduit à la
culpabilisation des malades pour couronner le tout.
Même dans le
milieu médical ou face aux ophtalmologistes et services sociaux,
cela peut s'avérer compliqué de faire état de la douleur ou de la portée
réelle du handicap oculaire (pas simplement visuel). Cela s'explique
assez aisément sachant que ni la douleur ni la photophobie sont
objectivement mesurables par les praticiens et que très peu de médecins
en France sont formés à la douleur. C'est particulièrement vrai
dans une société qui commence à peine à s'intéresser à la prise en
charge de la douleur et où les théories minorant celles-ci abondent (ou
tout est psychologique, psychosomatique, etc.). Force est de constater
que la médecine est souvent revenue sur ces appréciations subjectives
des souffrances d'autrui... tous ceux ayant souffert de névralgies, de
douleurs "fantômes", maladies rhumatismales et certains troubles
neurologiques en savent quelque chose. Pour ceux qui souffrent de
ce type de pathologie oculaire, il est difficilement compréhensible que
la douleur chronique oculaire, ainsi que la fatigue qu'elle induit, les
traitements lourds et constants qu'elle impose, ne soient pas mieux
reconnus alors que les yeux sont impliqués dans 80% de nos activités
quotidiennes et que la cornée est le tissu humain le plus sensible.
Alors que la plupart des individus font des crises au bord de l'hystérie
quand il s'agit d'instiller une goutte de collyre dans les yeux, quand
ils ont reçu un grain de sable dans l'œil voire une goutte de citron...
Tout cela, nous l'avons tous vécu en famille et pourtant...
Se sont-ils seulement imaginés ce que pouvaient être ces
sensations à longueur de journée, toute l'année depuis de nombreuses
années de notre vie voire le restant de celle-ci? Ce sont-ils seulement demandés ce que l'on ressent
lorsque, du fait de la sécheresse, un simple passage de paupière sur
l'œil est douloureux car elle racle et "grignote" la cornée à longueur
de journée?
Et justement, en famille, parlons-en. Pourquoi (nous
demandent souvent des jeunes membres de l'association) des proches voire
la famille n'arrivent-ils pas à comprendre nos difficultés?
Pourquoi n'arrivent-ils pas à comprendre qu'avoir des
ulcérations, de douleurs fortes, les paupières qui raclent la cornée en
l'absence de larmes est un véritable handicap?
L'évidence l'est
peut-être moins
pour celui la nie volontairement ou involontairement car cela rend les
choses plus faciles pour lui ou elle.
Il n'y a pas de réponse ultime à cette question mais
quelques pistes intéressantes sont l'incapacité de certains individus à
ressentir l'empathie: ce sentiment qui permet de comprendre (ou du moins
essayer), voire d'imaginer ce que l'autre peut ressentir face à une
situation difficile sans en avoir fait l'expérience soi-même. Notre société
est de plus en plus souvent dénuée de véritable empathie, excepté certaines formes
d'empathie collectives, il n'y a aucune raison pour qu'il n'en soit pas de
même pour la famille (c'est juste plus dur à supporter ou à admettre).
Il est certain que certaines personnes n'arrivent qu'à ressentir un
sentiment se rapprochant de l'empathie, mais dans une version
collective, de préférence face à un talk-show larmoyant sur une maladie
invalidante bien reconnue par les médias (et touchant si possible une
célébrité pour laquelle le public a de la sympathie). En dehors de ces
situations, certaines personnes restent totalement perméables à la
souffrance des autres. Considérons-le comme un handicap émotionnel qu'il
faut accepter et pour lequel nous devons regarder avec un peu d'empathie
comme une forme d'incapacité intellectuelle!!!
D'autre part, il est parfois plus facile pour certaines personnes de nier la
maladie et l'handicap, évitant ainsi, de se confronter à certaines
obligations qui pourraient en découler voire de se remettre en cause
face à certains comportements. Les sujets liés à la souffrance et à
l'handicap restent souvent des tabous car ils renvoient à des
comportements coupables de certains d'entre nous (indifférence, malaise,
préjugés, absence de solidarité, discrimination pour n'en citer que quelques-uns). Les
syndromes secs oculaires ont également un facteur aggravant qui est la
chronicité et parfois la durée à vie de ces pathologies, qui pour être
véritablement comprises demandent beaucoup de patience et un véritable
engagement à long terme. A ce titre, les syndromes secs sévères et
ulcérations à répétition sont des handicaps sociaux mais également
familiaux.
En tous cas, il est certain que l'on supporte d'autant
mieux le malheur d'autrui dès lors qu'il ne nous affecte pas! Tout en s'assurant
que l'on ne met pas nos propres comportements en cause! Ainsi quoi de plus
facile et simple que de culpabiliser le malade de ne pouvoir surpasser
les conséquences de sa maladie! Il faut admettre aussi que les porteurs
de ces pathologies peuvent être agressifs comme toutes les personnes
soumises à la douleur et autant de difficultés chroniques et être moins
disponibles émotionnellement pour les autres. Beaucoup de personnes ont
du mal aussi à exprimer leurs émotions et volonté d'aider, certes, mais
il y a toujours un moyen de le faire... pour ceux qui n'abandonnent pas
à la première difficulté (ce qui n'est pas une caractéristique fréquente
à notre époque).
Tout cela montre
le défi auquel nous sommes confrontés pour faire reconnaître un handicap
qui n'est pas facilement perceptible par les autres de la façon usuelle.
Cela n'est pourtant pas totalement impossible. Ainsi, Keratos souhaite
faire connaître du grand public, des organismes sociaux et de la
communauté médicale, ces situations mixtes de malvoyance et de douleur,
et faire adopter des mesures permettant une meilleure prise en charge
(ex: études sur la qualité de vie, adapter le barème de la COTOREP, la
prise en charge par la SECU, inciter à la recherche hors des sentiers
battus du palliatif et de la cosmétique/confort). L'absence de prise en
compte d'une grande part de nos symptômes par le
Guide-barème de l'incapacité de la
COTOREP est l'exemple paradigmatique des difficultés de compréhension
auxquelles nous sommes confrontés.
Voir également nos Handicaps Invisibles sous l'angle
Professionnel et
Administratif
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