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l'Ars Antiqua |
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la musique Renaissance |
L'Ars Antiqua ne nous
a laissé que des motets anonymes, l'Ars Nova lui nous a laissé
des noms. Parmi les plus connus on peut citer Philippe de Vitry (1291-1361),
évêque de Meaux qui fut le théoricien qui lança
le terme "Ars Nova", Guillaume de Machaut (1300-1377) qui, après
avoir suivi comme secrétaire le roi de Bohême à travers
toute l'Europe s'est fixé à Reims à partir de 1340,
et l'italien aveugle de Florence, Francisco Landini (1325-1397).
L'exemple que nous
donnons est cependant extrait d'un recueil anonyme, connu sous le nom de
Messe de Tournai car il fut découvert en 1862 dans la cathédrale
de cette ville. C'est la plus ancienne messe polyphonique complète
qui nous soit parvenue. Elle rassemble des pièces datant de 1330
à 1340 environ. L'extrait que nous analyserons est son Gloria, il
est interprété par l'Ensemble Organum sous la direction de
Marcel Pérès.
[édité
chez Harmonia Mundi dans un disque intitulé
"Messe de Tournai". Numéro de catalogue HMC
901353
accès à sa présentation sur le site d'Harmonia Mundi]
[piste 11 du disque 5
du coffret "Les Très Riches Heures", piste 3 du disque complet,
minutage préférentiel 3'20 ou 4'32 à 5'04, cette plage
permettant d'entendre les deux types de musique différents qui seront analysés]
À défaut d'en disposer, vous pouvez écouter l'extrait ici ou là
ou encore ici :
Une première
impression d'ensemble nous confirme le "décalage d'un cran" des
quatre paradoxes : par rapport au motet du manuscrit de Montpellier que
l'on a envisagé à l'étape précédente,
nous n'avons plus du tout cette pulsation régulière "d'entrelacement
/ séparation" des deux voix qui était tellement caractéristique
du "relié / détaché", mais nous retrouvons en échange
le "blocage du texte sur une voyelle / évolution
libre de la hauteur du son" que nous avions déjà rencontré
dans le chant Grégorien et qui est caractéristique d'une
situation "captive / libre", c'est-à-dire "fermée / ouverte".
Ce Gloria nous propose
deux types de musiques différentes : dans les deux premiers tiers,
un choeur continu dialogue avec une voix qui fait de légers écarts
par rapport à lui, et vers la fin, à plusieurs reprises,
entre des moments qui fonctionnent de façon similaire au début,
fusent des éclats qui partent en tous sens sans véritable
continuité de fil musical.
Nous examinerons l'un
et l'autre de ces deux fonctionnements distincts. Par simplification, nous
appellerons le premier "celui du début", et le second "celui vers
la fin".
Le
paradoxe du centre à la périphérie dans le style de
l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe
signifie : partout la même chose)
1/ Début du Gloria de la messe de Tournai :
Tout à la différence
du motet précédent de l'Ars
Antiqua, les différentes voix disent ici très clairement
le même texte, presque au même rythme, et en suivant grossièrement
la même évolution du chant. La voix haute ne fait que des
écarts modérés par rapport aux voix basses, et elle
les rejoint toujours très rapidement. Ce ne sont pas vraiment des
virevoltes qu'elle accomplit, mais plutôt des fronces ou des ondulations
qui sont perçues comme formant "un mouvement plus contourné
dans le détail" que celui des voix basses, mais jamais comme une
voix qui les contrarie ou qui fait des virevoltes indépendantes.
Cette communauté de parcours de l'ensemble des voix, fait que l'on
a toujours ainsi l'impression que toutes chantent en choeur. Or dans un
choeur, on n'est qu'une voix entourée de voix semblables : nous
avons donc affaire ici à l'aspect synthétique du paradoxe
du centre à la périphérie qui veut que l'on soit entouré
de semblables.
L'aspect analytique
de ce paradoxe provient, comme dans le motet
du manuscrit de Montpellier, de la structure régulière de
la musique, ou si l'on veut de sa "monotonie" : c'est toujours pareil,
c'est toujours du semblable que l'on rencontre au fur et à mesure
que le temps passe.
Dans cette partie le
fil musical continu est rompu, et cela fuse en éclats qui partent
dans toutes les directions. Tous ces éclats sont de même type,
et ils semblent continuellement se répandre de tous côtés
: ces éclats sont donc à tout moment entourés d'éclats
semblables, et de tels éclats partent de façon semblable
au fur et à mesure que le temps passe.
Ainsi le même
effet permet que l'on soit à chaque instant entouré d'effets
semblables, et que chaque instant soit encadré d'instants semblables
: cette musique combine donc les deux aspects synthétiques et analytiques
du paradoxe du centre à la périphérie.
Le
paradoxe entraîné / retenu dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe
signifie que cela bouge sur place)
1/ Début du Gloria de la messe de Tournai :
Une voix haute ne cesse
de faire des écarts par rapport au choeur de voix graves, tout en
réintégrant rapidement ce choeur, de telle sorte qu'elle
semble suivre le même chemin que lui mais de façon plus contournée,
ou plus compliquée. Cela fait penser par exemple à un chien
qui fait sans arrêt des allers et retours d'un côté
à l'autre du chemin, tout en suivant son maître qui lui se
contente de suivre les contorsions du chemin en restant toujours bien dans
son axe : ils font ensemble le même chemin, mais le chien rallonge
le parcours de ses zigzags.
Donc la voix haute
s'écarte et revient sans arrêt sur la voix basse, ne peut
s'empêcher d'y revenir sans jamais pouvoir rester dessus : c'est
le principe même du fonctionnement du paradoxe entraîné
/ retenu, que d'être ainsi tiraillé entre ces deux tendances
contraires.
2/ Vers la fin du Gloria de la messe de Tournai :
Puisque les voix fusent
dans toutes les directions, vers le haut et vers le bas, notre écoute
est entraînée simultanément de ces deux côtés
: nécessairement ces entraînements contradictoires se neutralisent,
car ils nous retiennent mutuellement de partir plus dans l'une des directions
que dans l'autre. Cette neutralisation réciproque se fait "continuellement"
dans ce passage musical, et "à tous ses instants".
Encore une fois donc,
les deux expressions analytiques et synthétiques du paradoxe sont
bien groupées dans le même effet, puisqu'il s'entend à
la fois dans la durée qui se prolonge, et dans l'instant qui passe
fugitivement.
Le
paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe
signifie : libres agitations simultanées)
1/ Début du Gloria de la messe de Tournai :
La mélodie est
toujours répartie nettement entre un registre grave et un registre
aigu qui sont bien différenciés en hauteur, alors que pourtant
toutes les voix suivent approximativement le même parcours. Ensembles
elles font le même chemin, mais elles le font en se tenant suffisamment
écartées l'une de l'autre en hauteur pour qu'on les reconnaisse
clairement comme distinctes, et par conséquent bien autonomes l'une
de l'autre.
Outre leurs hauteurs
bien différenciées, les deux registres de voix suivent des
évolutions différentes, la voix grave faisant beaucoup moins
de contours que la voix haute. Mais comme on l'a vu pour l'analyse des
paradoxes précédents, périodiquement les deux voix
se retrouvent l'une avec l'autre pour faire un moment la même chose.
L'autonomie de leur parcours se conjugue donc avec leur capacité
à se coordonner pour périodiquement se retrouver et
rester ensemble quelques instants. Autonomie et effet d'ensemble s'éprouvent
ici par l'analyse de l'évolution de la musique sur une longue période
: c'est une expression analytique du paradoxe.
Toutes les voix fusent,
et partent dans toutes les directions : cela fuse donc "ensemble", et dans
des directions "autonomes".
Certaines voix marquent
des accents isolés, tandis que d'autre enchaînent les montées
et les descentes rapides : elles participent donc toutes au même
effet d'ensemble, mais chacune y contribue de façon particulière.
Le
paradoxe fermé / ouvert dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe
signifie : prisonnier / libre)
1/ Début du Gloria de la messe de Tournai :
La voix haute s'échappe
sans arrêt du parcours du choeur des voix basses, et sans arrêt
se refait recapturer par ce choeur qu'elle suit alors quelques instants.
L'ensemble des voix
reste longuement bloqué sur la même voyelle ou sur la même
consonne, tandis que dans le même temps sa musique évolue
librement en hauteur.
Mise à jour d'octobre 2001 :
Ces quelques remarques permettent de compléter cette analyse. Elles sont extraites de la partie du site intitulée "une histoire de l'art" qui traite spécialement de la musique. Mises à part ces quelques remarques que je conseille de consulter, le reste de ce texte est très abstrait et il n'est pas conseillé pour une première approche. |
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