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Sommaire Musique
tableau historique 
tableau des 16 paradoxes
avant :   
l'Ars Antiqua
suite :   
la musique Renaissance

 l'Ars Nova
(la Messe de Tournai)
 
 
 
 
 
 
 
         Dernière étape musicale avant la Renaissance, l'Ars Nova du XIVème siècle.
         Cette période correspond à l'étape que l'on a appelée d'intercycle entre le cycle de l'organisation et celui du noeud. En architecture, elle correspond au début du gothique dit "flamboyant", du fait des formes en flamme qu'elle utilise fréquemment, notamment pour diviser les vitraux.
         Le caractère spécial de cette étape d'intercycle implique que, contrairement aux quatre étapes précédentes (grégorien, école de Saint-Martial, école de Notre-Dame et Ars Antiqua) les quatre paradoxes en jeu dans la musique ne vont pas se renouveler complètement, mais seulement se décaler d'un cran.  [voir le tableau qui les indique]
         Le premier disparaît : c'était le "relié / détaché". Se conservent les trois suivants : "le centre à la périphérie", "l'entraîné / retenu", et le "mouvement d'ensemble / autonomie". Un nouveau quatrième fait son apparition : le "fermé / ouvert".
         On peut remarquer qu'avec ce décalage d'un cran, se met en place une combinaison de paradoxes qui est exactement celle des quatre paradoxes que l'on a définis comme ceux du "cycle du point". Pendant les quatre prochaines étapes, qui seront précisément les quatre étapes du "mini cycle du point" qui démarre le "grand cycle du noeud", cette combinaison de paradoxes sera systématiquement conservée, seule changera leur ordre de prééminence, puisque chacun sera tour à tour en position hégémonique par rapport aux autres. Ce nouveau mode de combinaison où l'un des quatre paradoxes organise les trois autres à son service correspond au fonctionnement spécifique de la musique pendant le cycle du noeud, et dans le texte suivant nous traiterons la première étape de ce nouveau fonctionnement, pendant laquelle c'est "le centre à la périphérie" qui se trouvera en position hégémonique.
         Mais pour le moment nous ne sommes pas encore dans ce cycle du noeud, nous sommes encore à  "l'intercycle". D'ailleurs, plutôt qu'entre les deux cycles, nous devrions plutôt dire que nous sommes à cheval sur les deux cycles, puisque du prochain nous avons déjà la combinaison des quatre paradoxes, mais que de l'ancien nous gardons encore la façon de les faire fonctionner : en effet ils restent associés tous à égalité, aucun n'ayant encore un caractère hégémonique. On peut revoir dans la "diagonale de la musique" le principe de ce fonctionnement, résumé par le paradoxe "homogène / hétérogène", et ce que cela implique pour la façon d'écouter cette musique.
 

         L'Ars Antiqua ne nous a laissé que des motets anonymes, l'Ars Nova lui nous a laissé des noms. Parmi les plus connus on peut citer Philippe de Vitry (1291-1361), évêque de Meaux qui fut le théoricien qui lança le terme "Ars Nova", Guillaume de Machaut (1300-1377) qui, après avoir suivi comme secrétaire le roi de Bohême à travers toute l'Europe s'est fixé à Reims à partir de 1340, et l'italien aveugle de Florence, Francisco Landini (1325-1397).
         L'exemple que nous donnons est cependant extrait d'un recueil anonyme, connu sous le nom de Messe de Tournai car il fut découvert en 1862 dans la cathédrale de cette ville. C'est la plus ancienne messe polyphonique complète qui nous soit parvenue. Elle rassemble des pièces datant de 1330 à 1340 environ. L'extrait que nous analyserons est son Gloria, il est interprété par l'Ensemble Organum sous la direction de Marcel Pérès.
         [édité chez Harmonia Mundi dans un disque intitulé "Messe de Tournai". Numéro de catalogue  HMC 901353    accès à sa présentation sur le site d'Harmonia Mundi]
         [piste 11 du disque 5 du coffret "Les Très Riches Heures", piste 3 du disque complet, minutage préférentiel 3'20 ou 4'32 à 5'04, cette plage permettant d'entendre les deux types de musique différents qui seront analysés]
 
         À défaut d'en disposer, vous pouvez écouter l'extrait  ici  ou  là 
 
         ou encore ici :
 

         Une première impression d'ensemble nous confirme le "décalage d'un cran" des quatre paradoxes : par rapport au motet du manuscrit de Montpellier que l'on a envisagé à l'étape précédente, nous n'avons plus du tout cette pulsation régulière "d'entrelacement / séparation" des deux voix qui était tellement caractéristique du "relié / détaché", mais nous retrouvons en échange le "blocage du texte sur une voyelle / évolution libre de la hauteur du son" que nous avions déjà rencontré dans le chant Grégorien et qui est caractéristique d'une situation "captive / libre", c'est-à-dire "fermée / ouverte".
         Ce Gloria nous propose deux types de musiques différentes : dans les deux premiers tiers, un choeur continu dialogue avec une voix qui fait de légers écarts par rapport à lui, et vers la fin, à plusieurs reprises, entre des moments qui fonctionnent de façon similaire au début, fusent des éclats qui partent en tous sens sans véritable continuité de fil musical.
         Nous examinerons l'un et l'autre de ces deux fonctionnements distincts. Par simplification, nous appellerons le premier "celui du début", et le second "celui vers la fin".
 
 
 

 
Le paradoxe du centre à la périphérie dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe signifie : partout la même chose)
 

1/  Début du Gloria de la messe de Tournai :

         Tout à la différence du motet précédent de l'Ars Antiqua, les différentes voix disent ici très clairement le même texte, presque au même rythme, et en suivant grossièrement la même évolution du chant. La voix haute ne fait que des écarts modérés par rapport aux voix basses, et elle les rejoint toujours très rapidement. Ce ne sont pas vraiment des virevoltes qu'elle accomplit, mais plutôt des fronces ou des ondulations qui sont perçues comme formant "un mouvement plus contourné dans le détail" que celui des voix basses, mais jamais comme une voix qui les contrarie ou qui fait des virevoltes indépendantes. Cette communauté de parcours de l'ensemble des voix, fait que l'on a toujours ainsi l'impression que toutes chantent en choeur. Or dans un choeur, on n'est qu'une voix entourée de voix semblables : nous avons donc affaire ici à l'aspect synthétique du paradoxe du centre à la périphérie qui veut que l'on soit entouré de semblables.
 

 
effet synthétique du paradoxe du centre à la périphérie qui nous fait entouré de semblables :
les différentes voix chantent en coeur la même chose (c'est tout autour la même chose)
 

         L'aspect analytique de ce paradoxe provient, comme dans le motet du manuscrit de Montpellier, de la structure régulière de la musique, ou si l'on veut de sa "monotonie" : c'est toujours pareil, c'est toujours du semblable que l'on rencontre au fur et à mesure que le temps passe.
 

 
effet analytique du paradoxe du centre à la périphérie qui nous fait entouré de semblables :
structure régulière et quelque peu monotone de la musique (c'est tout le temps la même chose)
 
 
 
2/  Vers la fin du Gloria de la messe de Tournai :

         Dans cette partie le fil musical continu est rompu, et cela fuse en éclats qui partent dans toutes les directions. Tous ces éclats sont de même type, et ils semblent continuellement se répandre de tous côtés : ces éclats sont donc à tout moment entourés d'éclats semblables, et de tels éclats partent de façon semblable au fur et à mesure que le temps passe.
         Ainsi le même effet permet que l'on soit à chaque instant entouré d'effets semblables, et que chaque instant soit encadré d'instants semblables : cette musique combine donc les deux aspects synthétiques et analytiques du paradoxe du centre à la périphérie.
 

 
combinaison de l'effet analytique et de l'effet synthétique du paradoxe du centre à la périphérie qui nous fait entouré de semblables :
cela fuse de façon semblable tout autour, et cela fuse tout le temps de façon semblable
 
 
 
 

 
Le paradoxe entraîné / retenu dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe signifie que cela bouge sur place)
 

1/  Début du Gloria de la messe de Tournai :

         Une voix haute ne cesse de faire des écarts par rapport au choeur de voix graves, tout en réintégrant rapidement ce choeur, de telle sorte qu'elle semble suivre le même chemin que lui mais de façon plus contournée, ou plus compliquée. Cela fait penser par exemple à un chien qui fait sans arrêt des allers et retours d'un côté à l'autre du chemin, tout en suivant son maître qui lui se contente de suivre les contorsions du chemin en restant toujours bien dans son axe : ils font ensemble le même chemin, mais le chien rallonge le parcours de ses zigzags.
         Donc la voix haute s'écarte et revient sans arrêt sur la voix basse, ne peut s'empêcher d'y revenir sans jamais pouvoir rester dessus : c'est le principe même du fonctionnement du paradoxe entraîné / retenu, que d'être ainsi tiraillé entre ces deux tendances contraires.
 

 
effet synthétique du paradoxe entraîné / retenu :
la voix haute ne cesse de s'écarter et de revenir sur le parcours du choeur de voix graves
 
 
         Ce chemin que les deux voix font en commun, même si ce n'est pas de la même façon, périodiquement les ramènent toutes les deux sur la même note, ou sur la même consonne, ou sur le même type de passage musical. Dans la réflexion précédente nous remarquions qu'il y avait continuellement une voix que l'on entendait s'écarter de l'autre ou y revenir : nous envisagions donc l'expression synthétique du paradoxe. Maintenant il faut compter sur la durée pour entendre et constater les retours que font en commun l'ensemble des voix : il s'agit donc cette fois de son expression analytique.
 
 
effet analytique du paradoxe entraîné / retenu :
l'ensemble des voix reviennent périodiquement sur la même note, la même consonne ou le même type de passage musical.
Elles s'en écartent donc et y reviennent sans cesse.
 
 

2/  Vers la fin du Gloria de la messe de Tournai :

         Puisque les voix fusent dans toutes les directions, vers le haut et vers le bas, notre écoute est entraînée simultanément de ces deux côtés : nécessairement ces entraînements contradictoires se neutralisent, car ils nous retiennent mutuellement de partir plus dans l'une des directions que dans l'autre. Cette neutralisation réciproque se fait "continuellement" dans ce passage musical, et "à tous ses instants".
         Encore une fois donc, les deux expressions analytiques et synthétiques du paradoxe sont bien groupées dans le même effet, puisqu'il s'entend à la fois dans la durée qui se prolonge, et dans l'instant qui passe fugitivement.
 

 
combinaison de l'effet analytique et de l'effet synthétique du paradoxe entraîné / retenu :
cela fuse et nous entraîne dans des directions contradictoires qui se neutralisent.
Elles nous retiennent donc mutuellement d'aller d'un côté ou de l'autre.
 
 
 
 

 
Le paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe signifie : libres agitations simultanées)
 

1/  Début du Gloria de la messe de Tournai :

         La mélodie est toujours répartie nettement entre un registre grave et un registre aigu qui sont bien différenciés en hauteur, alors que pourtant toutes les voix suivent approximativement le même parcours. Ensembles elles font le même chemin, mais elles le font en se tenant suffisamment écartées l'une de l'autre en hauteur pour qu'on les reconnaisse clairement comme distinctes, et par conséquent bien autonomes l'une de l'autre.
 

 
effet synthétique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
on reconnaît clairement deux voix appartenant à des hauteurs bien écartées, l'une grave et l'autre plus haute (autonomie),
et toutes deux suivent ensemble le même chemin (mouvement d'ensemble)
 

         Outre leurs hauteurs bien différenciées, les deux registres de voix suivent des évolutions différentes, la voix grave faisant beaucoup moins de contours que la voix haute. Mais comme on l'a vu pour l'analyse des paradoxes précédents, périodiquement les deux voix se retrouvent l'une avec l'autre pour faire un moment la même chose. L'autonomie de leur parcours se conjugue donc avec leur capacité à se coordonner pour périodiquement se retrouver et  rester ensemble quelques instants. Autonomie et effet d'ensemble s'éprouvent ici par l'analyse de l'évolution de la musique sur une longue période : c'est une expression analytique du paradoxe.
 

 
effet analytique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
les voix sont par moments clairement autonomes dans leurs évolutions,
et sont à d'autres moments clairement ensembles
 
 
 
2/  Vers la fin du Gloria de la messe de Tournai :

         Toutes les voix fusent, et partent dans toutes les directions : cela fuse donc "ensemble", et dans des directions "autonomes".
 

 
effet synthétique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
toutes les voix participent à l'effet d'ensemble d'éclatement dans toutes les directions,
mais ces directions différentes qu'elles prennent les distinguent bien l'une de l'autre
 

         Certaines voix marquent des accents isolés, tandis que d'autre enchaînent les montées et les descentes rapides : elles participent donc toutes au même effet d'ensemble, mais chacune y contribue de façon particulière.
 

 
effet analytique du paradoxe mouvement d'ensemble / autonomie :
toutes les voix participent à l'effet d'ensemble d'éclatement dans toutes les directions,
mais elles n'y participent pas de la même façon (certaines font des éclats isolés,
d'autres enchaînent en continu des montées et des descentes rapides)
 
 
 
 

 
Le paradoxe fermé / ouvert dans le style de l'Ars Nova
(en musique ce paradoxe signifie : prisonnier / libre)
 

1/  Début du Gloria de la messe de Tournai :

         La voix haute s'échappe sans arrêt du parcours du choeur des voix basses, et sans arrêt se refait recapturer par ce choeur qu'elle suit alors quelques instants.
 

 
effet analytique du paradoxe fermé / ouvert = prisonnier / libre :
la voix haute passe son temps à s'échapper du parcours du choeur, et sans arrêt se fait recapturer par lui
 

         L'ensemble des voix reste longuement bloqué sur la même voyelle ou sur la même consonne, tandis que dans le même temps sa musique évolue librement en hauteur.
 

 
effet synthétique du paradoxe fermé / ouvert = prisonnier / libre :
le chant reste boqué sur une même voyelle, alors que dans le même temps il voyage librement en hauteur
 
 
 
2/  Vers la fin du Gloria de la messe de Tournai :
 
         Les éclatements partent chacun librement dans des directions très diverses les unes des autres, mais le regroupement d'ensemble de ces mouvements libres construit finalement une structure très rigide, forme une trame très régulière.
         Par la nature même de cette structure continue, cet effet "mouvement libre / prisonnier d'une trame musicale" s'entend "tout le temps et à chaque instant", ce qui signifie qu'elle rassemble en elle le caractère analytique et le caractère synthétique de l'expression du paradoxe.
 
 
combinaison de l'effet analytique et de l'effet synthétique du paradoxe fermé / ouvert = prisonnier / libre :
cela fuse librement dans toutes les directions, et l'ensemble de ces mouvements construit une trame rigide continue
 

Mise à jour d'octobre 2001 :
Ces quelques remarques permettent de compléter cette analyse. Elles sont extraites de la partie du site intitulée "une histoire de l'art" qui traite spécialement de la musique. Mises à part ces quelques remarques que je conseille de consulter, le reste de ce texte est très abstrait et il n'est pas conseillé pour une première approche. 
 

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