Un
dernier facteur doit être pris en compte pour l'évolution
de la fréquence
des incendies en Corse : c'est
l'impact du
réchauffement climatique, qui influe également sur la répartition
des plantes. Selon cette étude basée sur le Pistachier
lentisque, thermophile et xérophile,
principalement présent dans les maquis et les
garrigues, les
plantes fréquemment impliquées dans les incendies de forêt
auront tendance
à
se
déplacer en altitude et donc à agrandir la zone de risque. Selon
les Assises de la forêt réunies dans le cadre du Grenelle de l'environnement,
les forêts transformées
par substitution d’essences (celles qui sont exploitées par l'ONF ou
des particuliers) seront plus exposées que les autres et la reconquête
naturelle par des essences mieux adaptées sera aléatoire. Si
les propriétaires
n’accompagnent pas le renouvellement
nécessaire, les peuplements «périmés» seront
chargés de bois dépérissants,
de chablis et de rémanents où s’installeront
des espèces pionnières sans grand intérêt
sylvicole et le risque d’incendie y sera
plus vif qu’ailleurs.
De retour sur la côte près de Calvi,
le ciel est animé par le manège de l'hirondelle rustique. Un milan royal
plane au ras des maisons à la recherche de menu fretin étourdi. Les étourneaux
crient sans discontinuer sur un ton suraigu. Le faucon crécerelle parcourt
rapidement son territoire, tandis que le gobe-mouche gris, qui niche
en Corse et jusqu'en Espagne, parade en papillonnant des ailes à toute
vitesse. Dans les interstices des murs pousse le muflier rouge dont il
faut s'approcher avec précaution car il est précédé par terre d'un tapis
d'ortie corse. Nous sommes en Balagne,
pays de la vigne et du vin que nous nous appliquons à déguster à chacun
de nos dîners - et parfois au pique-nique, par les bons soins de Jacques
et Pascal. La villageoise aux olives du village de Zilia appelle son
mari à la rescousse pour nous conseiller de bonnes bouteilles : Domaine
Orsini, qui
fabrique
un
pétillant-muscat
sublime, U Colombu, qui doit son nom à la grosse conque marine
qui servait jadis de corne pour s'appeler à travers la montagne,
Alzipratu, dont le domaine situé entre Zilia et Calenzana appartenait
jadis à un couvent connu pour le festival de musique qui s'y déroulait
dans les années 70.
La vigne,
apportée et cultivée par les colonisateurs successifs,
a fait partie de l'arsenal génois d'exploitation
économique
de l'île, en association avec le monopole du commerce du blé et
du vin. Les contrats de Pastinera prévoyant
que le preneur devenait, au terme de 10 ans, propriétaire de
la moitié du
foncier mis en culture, ont permis la constitution
d'une véritable
bourgeoisie rurale tournée vers l'économie de marché et
acquise à l'idée de la propriété privée
des terres.
En
1873, la vigne couvre 30 000 ha, malgré les épidémies
d'Oïdium et de Phylloxera qui ont ravagé une partie du vignoble
en 1850. Dans les années 1930, après l'effondrement général
des prix du vin et la Grande Guerre, les surfaces cultivées
ne représentent plus que 5 ou 6 000 ha et ne remonteront en
1950 qu'à
une surface de 8 500 ha.
Avec
l'arrivée des rapatriés d'Algérie à partir
de 1961, le vignoble va s'étendre de telle sorte qu'il atteindra
27 000 ha en 1976. Le long de la bande littorale orientale, 25 000
ha de vignes vont ainsi remplacer friche et maquis. A partir de 1972
qui sonne le glas de la chaptalisation, la politique d'assainissement
viticole mise en place par la C.E.E. prévoyant des primes
d'arrachage pour le vignoble de vin de table trop productif et des
primes de restructuration
pour améliorer l'encépagement des zones de vin de table
en Appellation d'Origine Corse est bien accueillie.
Ainsi, quelques 20 000 ha sont arrachés
et près de 3 000 ha replantés en cépages respectant
la typicité. La surface ainsi ramenée à 8
000 ha de vignes produit environ 91 000 hectolitres en AOC et
190 000 en Vin de Pays. Ainsi, depuis une dizaine d'années, le vin
corse
a gagné ses lettres de noblesse et la confiance des amateurs
insulaires et extérieurs qui le plébiscitent.
Dans
les jardins poussent l'orange douce et amère, dont les premiers
pieds ont été importés du Portugal au XVIIe
siècle. Dimitri nous montre une nouvelle fois le mécanisme
de pollinisation de la sauge officinale, qui fonctionne aussi bien sur
la plante sauvage
que cultivée, avec le mécanisme simple, mais 'astucieux'
de bascule de l'étamine lorsque l'insecte se pose pour déguster
le nectar, afin de déposer sur son dos la précieuse charge
de pollen. L'église de Cassano héberge
une ruche naturelle dans un interstice entre ses pierres de taille à
quelques mètres de hauteur : affairées, les abeilles vont
et viennent sans discontinuer, récoltant dans le proche voisinage
une riche moisson de pollen et de nectar. Juste
à côté, un gecko prend
le soleil, mais dès qu'il se sent l'objet de nos attentions, il
se faufile dans un coin
d'ombre.
Trois
espèces sont présentes en Corse : si c'est un gecko turc
ou une tarente, il possède des doigts dilatés
dont la face intérieure est garnie d'organes adhésifs constitués
par des poils groupés en lamelles qui lui permettent de se déplacer
sur n'importe quelle surface, même la tête en bas, y compris
sur du verre, par contre, le gecko de Kotschyi en est
dépourvu.
A
Lunghignano, Dimitri hésite en entendant le chant d'un oiseau : est-ce
un loriot, ou bien un étourneau qui tente
de l'imiter ? Nous qui avons déjà du mal à reconnaître le chant des oiseaux
les plus communs, nous ne sommes pas rendus, si les oiseaux nous jouent
ainsi des tours ! Sous un pot de fleur arrosé par la municipalité, une
hirondelle des fenêtres ramasse avec son bec des réserves de boue humide
qui lui serviront à construire son nid. De l'orpin ou du sedum couvre
pierres
et terre
sèche, survolé par un fadet, petit papillon doré. Une corneille mantelée
affectionne la vue panoramique qu'elle contemple, perchée sur une girouette
au sommet d'un toit. Un petit moineau soulcie beige pâle picore des graines
sur le sol. Une mésange bleue fait un passage furtif entre deux branches
d'arbre.
Pour
la dernière matinée, nous nous rendons en voiture sur la
côte au Sud
de Calvi, d'où nous cherchons à la jumelle
et la lunette deux oiseaux phare, le balbuzard pêcheur et le monticole
bleu. Dimitri aperçoit soudain un oiseau qui arrive du large et
reconnaît
la silhouette du balbuzard, qui se pose loin de nous sur un piton rocheux
à flanc de falaise. Il est difficile à repérer,
même à la lunette, bien
qu'il ne bouge absolument pas. A faible hauteur, un grand nid est inoccupé.
Beaucoup plus près, au-dessous de nous sur un escarpement qui
surplombe la mer,
un
monticole bleu
se pose,
s'envole
en
paradant,
se
repose
et poursuit son manège un bon moment.
Une
femelle, qui n'est pas bleu roi comme lui mais brune, s'affaire, de la
nourriture dans le bec. Une
fauvette sarde survole la végétation basse. Nous partons
pour l'Ile Rousse où nous avons le temps de prendre un dernier
bain de mer dans l'eau toujours aussi calme et transparente avant de
repartir par le ferry de l'après-midi.
Sitôt embarqués, nous nous postons sur une coursive extérieure,
les jumelles
à portée, et commençons à guetter la surface
de la mer.
Nous
avons à peine quitté le port qu'un groupe d'ailerons attire
notre attention : des
dauphins ? Non, des poissons-lune ! Aussi appelés môles,
ils ressemblent à des
têtes de poisson sans queue. C'est
la forme de leur nageoire caudale qui leur donne leur allure si particulière.
Parmi les poissons les plus lourds, ils peuvent atteindre une tonne.
Nous en
verrons le
long du bateau à plusieurs reprises, et nous avons d'abord cru
qu'un animal avait été sectionné en deux, tant
il était bizarre. Puis nous
nous sommes aperçus que la grosse nageoire qui dépassait
de l'eau allait de droite et de gauche, comme une voile qui a de la
gîte et se gonfle
alternativement d'un côté puis de l'autre, mais une voile
avec un mât
caoutchouteux, mou et souple... Une
partie du corps arrondi se voyait par transparence dans l'eau, mais
il était difficile de se faire une
idée de la forme de son corps, d'autant que notre bateau passait
très
vite, nous donnant l'impression que nous rejetions le poisson vers
l'arrière, alors que c'était nous qui allions de l'avant. -
Photo : Une môle ou poisson-lune. Couple de milans royaux. -
Plus tard, nous apercevons le souffle
d'un rorqual commun et un aileron à l'arrière d'une longue
portion de dos, mais c'est une vision lointaine et plutôt fugitive,
toujours parce que notre bateau est rapide. Je
ne suis pas sûre qu'il ait plongé sitôt respiré,
peut-être est-il resté quelques minutes en surface.
Dimitri nous explique qu'il y en a 3 à 4 000 en Méditerranée.
C'est une baleine engouffreuse : le rorqual s'alimente
en ouvrant ses mâchoires
tout en nageant à bonne vitesse (11 kilomètres par heure)
et engloutit jusqu'à 70 mètres cubes d'eau. Il ferme alors
ses mâchoires
et rejette l'eau à travers ses fanons de petite taille. Chaque
filtrage peu apporter près de 10 kilogrammes de nourriture (petits
poissons, calmars, crustacés et krill),
et chaque rorqual commun peut absorber jusqu'à 1 800 kilogrammes
par jour. On a observé des rorquals communs entourer des
bancs de poissons de façon à les rendre plus compacts et
ensuite les engloutir.
Huit jours, c'est très court pour se faire une idée d'un endroit, je n'ai eu que des impressions fugitives, que j'ai essayé d'étayer par mes recherches. Je n'ai pas parlé des élevages de poissons dans la baie de Calvi qui, peut-être, ont des conséquences néfastes sur la faune et la flore locale. Mais je n'ai pas assez dit sans doute non plus le plaisir immense que nous avons eu à nous promener d'Ajaccio à l'Ile Rousse, tranquillement, posément, en nous donnant le temps d'observer la vie discrète et multiple, si diversifiée, qui subsiste sur l'île avec les humains, à côté des humains, en dépit des humains. J'espère que nous pourrons encore longtemps découvrir le balbuzard pêcheur, le discoglosse corse, l'euprocte de Corse et la vive, fragile et si gracieuse sitelle corse dans son bois de laricios centenaires...
SOMMAIRE | Pages :
|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |