Dès le premier jour, Dimitri nous offre sur un plateau d'argent notre première espèce endémique. Il nous emmène en fin d'après-midi sur un chemin qui débute à peu de distance de Porto, où nous allons résider trois nuits. En montant tranquillement pour nous mettre en jambes, il nous indique les essences arboricoles, l'arbousier couvert de fruits encore verts, la filiaire à feuilles larges (de la famille des oléacées comme l'olivier), l'oléastre (olivier sauvage), le chêne vert, le pistachier lentisque (visqueux), le myrte. Derrière lui, nous nous entraînons à les reconnaître, mais nous ne trouvons pas ça évident, nous confondons les feuilles et ne savons plus auxquels appartiennent les fines, les dentelées, les courtes ou les longues, celles qui sont vert sombre et les vernissées. Les arbustes ont tous à peu près la même taille et le même aspect général ! Tous les animaux sont dotés d'une certaine faculté de reconnaissance des plantes. J'ai notamment en mémoire le chien de mon enfance qui mangeait des herbes du jardin lorsqu'il avait des problèmes de digestion. En ce qui concerne les humains, j'ignore quelle est la part d'inné ou d'acquis dans ce domaine. Quoi qu'il en soit, les médecins et chercheurs actuels ont parfois l'occasion de tester l'efficacité de certains remèdes préconisés en médecine traditionnelle. Celle de la résine du pistachier lentisque pour combattre les ulcères d'estomac a été récemment confirmée : la méthode consiste à éliminer la bactérie H. pylori par mastication de la résine. Son huile essentielle de couleur jaune, d'odeur intense et herbacée est utilisée pour les varices et jambes lourdes, congestions et stases veineuses, hémorroïdes externes et internes, thrombophlébite : elle est reconnue comme décongestionnante des systèmes veineux et lymphatique. Elle entre aussi dans les traitements des brûlures, asthme et toux. - Photos : Tafoni. -
Nous découvrons peu à peu la vue sur le golfe et la tour génoise qui le ponctue immanquablement. Chemin faisant, nous apercevons nos premiers "tafoni" (trous en langue corse). Un site dédié à la géologie en donne l'explication scientifique : "ils sont le résultat de l’érosion de roches cristallines et particulièrement les granites. Les ferromagnésiens sont des points faibles face à la corrosion, leur érosion/corrosion amorce une érosion en creux de la roche qui est ensuite amplifiée par les effets chimiques, thermiques et aussi par l’action du vent. Si dans les Alpes le granite est peu érodé, les conditions climatiques corses lui sont beaucoup moins favorables. La température engendre des phénomènes alternés de dilatation et de contraction qui déchaussent les cristaux et fragilisent la roche en surface : le granite perd des plaques minces de quelques centimètres d’épaisseur et de plusieurs décimètres carrés. - Photo : "Calanche" de Piana. -
Ce phénomène est appelé desquamation et il donne des boules de granite de plus en plus petites. Le sous produit de cette érosion est l’arène granitique, sable grossier formé par les cristaux de quartz et de feldspath qui se sont détachés" (extrait de Voyage géologique en Corse). Les tafoni offrent des formes d'une variété infinie, et, comme pour les nuages, nous pouvons débrider notre imagination à loisir et y reconnaître des silhouettes familières ou fantastiques. Quelques uns ont même reçu un nom : le Château-Fort, les rochers de l'Evêque, de la Confession, de la Tortue, de l'Aigle, de la Tête de Chien…, et une cavité en forme de coeur figure sur toutes les cartes postales. Parfois la finesse des attaches d'une forme en suspens semble présager une rupture imminente. Le soir, les rayons solaires enflamment le granite ferrugineux dont les couleurs chatoient en dégradés du jaune au rose sombre, en passant par l'ocre et le rouge. - Photos : Discoglosse corse (ou sarde ?). -
Alors que le Monte Cinto et le Monte d'Ortu qui dominent le golfe de Porto sont encore couverts de neige, nous bénéficions en bord de mer d'une chaleur estivale (selon les critères basques). Au cours de cette première matinée, nous avons d'ailleurs déjà testé la température de l'eau par un petit bain bien agréable dans une eau transparente et calme, qui nous a délassés de notre nuit sur le bateau. Dans un bosquet ombragé, des eaux quasi-stagnantes attirent notre regard, et nous y repérons quelques têtards. Au bout d'un moment, nous réalisons soudain qu'un batracien fait la planche, parfaitement immobile, dans l'espoir de rester inaperçu, ce qui a failli arriver tant il se fond dans son élément. Nous l'observons un moment en lui laissant ses illusions, puis Dimitri s'empare de lui sans difficulté. Ce n'est pas une grenouille, mais un crapaud aux lignes très élancées, appelé le discoglosse corse, endémique, à moins qu'il ne soit sarde.
Il s'en distingue par la longueur des pattes, le talon atteignant ou dépassant son museau de forme arrondie, ce qui semble être le cas. Toutefois, le corse préfère l'altitude, de 300 à 2000 m, et nous ne sommes pas si haut, alors il reste un doute. Sa pérennité repose sur la totale intégrité de ses lieux de reproduction que sont les mares, cours d'eau temporaires et puits. Il est insectivore et consomme également des invertébrés aquatiques et terrestres (limaces). Actif principalement de nuit, ce sont les seuls anoures (Amphibiens sans queue) présents en Corse. Il paraît que le chant (très discret) qu'il émet sous l'eau évoque curieusement le cri d'une otarie qui aurait le hoquet !
Notre deuxième expérience mémorable aura lieu le lendemain, du haut d'une de ces tours génoises. La tour de Turghio se dresse tout au bout du promontoire de Capu Rosso, qui domine la mer d'une hauteur de 300 m en un à-pic vertigineux, à l'entrée des 'calanche' (prononcer calanque) de Piana. Nous empruntons un sentier déjà bien fréquenté par des touristes à cette époque de l'année. Je suis étonnée de n'y observer que très peu d'insectes, alors qu'il y a beaucoup de fleurs à butiner et que le temps devrait leur être favorable. Nous observons que l'érosion est d'autant plus importante que le piétinement répété empêche la végétation de repousser : à côté d'un buisson piquant que chacun évite soigneusement, le sol mis à nu a baissé d'un demi-mètre au moins. A ce propos, je lis que le ciste de Montpellier (mucchju neru) colonise les terrains dégradés et arides car il s'adapte parfaitement aux conditions difficiles des sols pauvres de la garrigue ou proches des zones côtières méditerranéennes. En freinant l'érosion de ceux-ci, il ralentit leur désertification. En Corse, il s'installe après la dégradation des forêts et maquis en particulier sous l'action répétée du feu, ainsi que sur les anciennes terres cultivées ou les anciens pâturages à l'abandon. - Photo : A l'aplomb de la tour de Turghio. -
Dimitri nous montre des bruyères arborescentes, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de hauteur et comporter un tronc de bon diamètre, comme nous le verrons le surlendemain sur le chemin du facteur à Girolata. Les températures estivales élevées influent sur les plantes qui se hérissent de piquants souvent de belle taille : genêt scorpion, genévrier cade (oxycèdre), épiaire poisseuse, olivier sauvage (oléastre). Un urosperme héberge une collection d'insectes. Si ce n'était son coeur sombre et ses pétales rectangulaires aux extrémités noires, nous le confondrions avec le pissenlit. L'hélianthème à gouttes, au contraire, est ponctué de rouge sombre à la base de ses pétales, comme pour mieux signaler aux butineurs la piste d'atterrissage. Alors que nous nous penchons pour admirer une orchidée Sérapias lingua, Dimitri nous signale le chant d'une fauvette pitchou ou d'une mélanocéphale. Nous levons les yeux et apercevons un groupe de guêpiers (priou, priou !) suivis d'un faucon crécerelle. Retournant notre regard vers le sol, il nous signale la présence d'une paronique et de sedum, ou d'orpin, des plantes grasses, dites succulentes. Un magnifique lézard tyrrhénien (podarcis tiliguerta) nous observe aussi avant de se faufiler entre les pierres et les fourrés. - Photo : Hélianthème à gouttes. Herbe aux femmes battues. -
Un cormoran huppé se repose sur un rocher en bord de mer (nous observons les oiseaux aux jumelles, bien sûr). Un pipit rousseline vient se poser à proximité, un rossignol et un merle semblent faire un concours du chant le plus mélodieux et varié. Le jour, le rossignol marque ainsi son territoire en indiquant aux autres mâles de ne pas en franchir les limites, alors que la nuit, c'est un moyen d'attraction sexuelle par lequel il invite les femelles à le rejoindre. La côte très découpée souligne une eau transparente aux teintes émeraude, claire sur fond de sable et plus foncée lorsqu'elle recouvre des herbiers de posidonie. Ici, ils ne sont pas encore attaqués par "l'algue tueuse", Caulerpa taxifolia, algue verte tropicale échappée accidentellement du musée océanographique de Monaco, qui est devenue depuis quelques années envahissante en mer Méditerranée au détriment de la végétation autochtone car elle est toxique et n'est pas consommée par la faune locale. - Photo : Urosperme (le fruit se termine par une sorte de queue, long bec creux et élargi). -
L’association Finocchiarola pour la gestion des espaces naturels de la Pointe du Cap Corse explique dans sa revue de l'été 2008 que la posidonie est une plante endémique du bassin méditerranéen. Les plantes sont d'abord apparues dans la mer, puis certaines ont colonisé la terre. Comme les baleines cousines des vaches, les posidonies, qui appartiennent à la famille des Magnoliophytes, ont la particularité d'être issues d'une espèce qui est retournée à la mer il y a 100 à 120 000 ans en gardant certaines spécificités : elles demeurent des herbes (ce ne sont pas des algues) et elles bénéficient de ce bon évolutif le plus marquant de l'histoire des plantes que représente la reproduction sexuée. Si les conditions sont favorables, notamment la température, elles fleurissent donc sous l'eau en automne et produisent des fruits (olives de mer) qui se dispersent au fond de la mer entre mai et juillet et y prennent racine. Ces plantes constituent une source d'oxygène et alimentaire exceptionnelle et font l'objet d'une surveillance particulière depuis une vingtaine d'années pour les préserver des destructions anthropiques : aménagements littoraux (ports), mouillages estivaux, pêche au chalut... - Photo : Laisse de mer, posidonie. -
Dimitri nous fait différencier la mauve du géranium. Il nous montre l'herbe aux femmes battues ("reponchon" en occitan, tamier commun) aux feuilles en "as de pique" (en forme de coeur, pour les scientifiques) qui s'enroule élégamment aux rameaux des buissons et arbore en cette saison ses baies rouges relativement toxiques. Par contre, les jeunes pousses peuvent être consommées : elles ressemblent à l'asperge sauvage, mais elles ont un goût très amer. Malgré ses propriétés rubéfiante et vésicante (c'est-à-dire qu'elle provoque des ampoules sur la peau), la racine était employée en médecine populaire pour soigner les contusions et les meurtrissures, d'où son surnom. La pulpe râpée était appliquée localement. La racine bouillie 2 à 3 heures, écrasée avec du saindoux, servait d'onguent pour les rhumatismes en haute Provence. - Photo : Guêpe sur une grande férule. -
Nous admirons les grandes férules, qui s'élancent au-dessus des taillis arrondis de cette côte battue par les vents en hiver. Bien que leur tige soit très creuse et très légère, elles sont trois à quatre fois plus grandes que le fenouil qui leur ressemble. Les philosophes grecs de l'Antiquité les utilisaient pour inscrire leurs démonstration sur le sable ou la terre poussiéreuse, faute de papier et de tableau qui n'étaient pas encore connus en Occident. Etre sous la férule de quelqu'un signifiait donc suivre son enseignement, et non être traité avec brutalité par son maître d'école... - Photo : Sérapias cordigéra. -
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Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |