Témoignage de K (France)
A
partir de 1989, j’ai souffert de névralgies du trijumeau atypiques
(puisque constantes et bilatérales). C’est difficile à décrire mais
c’est une peu comme un rage de dents (mais beaucoup plus généralisée
à la face) qui peut durer 5 ans sans arrêt (malgré des variations
importantes de la douleur). Je peux vous assurer que n’importe qui
ferait n’importe quoi pour s’en débarrasser et notamment vous faire
ouvrir le crâne pour vous sectionner le nerf. En 1994, j’ai subi une
rhizotomie (section du nerf) au niveau du ganglion de Gasser.
Les conséquences immédiates de cette opération ont été: une perte
très importante de la sensibilité de la face gauche, des
dysesthésies (sensation anormales – courant électrique,
fourmillement, etc.), une parésie du maxillaire (rendant la parole
très difficile au début), et les yeux secs. A ce moment-là, il n’y
a eu presque aucune conséquence sur la face droite.
Quelques jours après l’opération, j’ai perdu l’épithélium de l’œil
gauche et un ulcère cornéen neurotrophique s’est développé jusqu’au
stroma. Cet ulcère s’est finalement cicatrisé en profondeur (avec
des tissus nécrosés en dessus). Après des mois d’abandon
thérapeutique par certains médecins, une gestion catastrophique par
d’autres, de discours défaitistes (« votre œil est perdu »), la
décision d’effectuer une biopsie fut prise. Après cette biopsie qui
a extrait toute la zone cicatrisée en profondeur, l’œil a récupéré
et cicatrisé (en laissant une cicatrice très importante bien sûr).
J’ai donc perdu une part de vision très importante à cet œil-là,
notamment en rendant toute lecture impossible.
L’oeil gauche ne réagit pas
aux stimuli, même pas au contact d’un coton tige avec la cornée mais
il existe une sensation limitée par endroits. Néanmoins, certains
aspects de la sensibilité demeurent : la sensation de chaud et de
froid, la réaction à des substances irritantes et la sensation de
brûlure sur la surface. La douleur est présente mais pas de façon
instantanée ou immédiate, car il n’y a pas de douleur-réflexe mais
plutôt une douleur « retardée » ou même plus en profondeur. Cela
signifie sans doute que ma cornée est inapte à se défendre
d’elle-même de toutes les attaques qu’elle peut subir au quotidien
et sans doute que l’œil ne reçoit pas tous les nutriments (les
recherches à ce sujet sont en cours, mais très probablement facteurs
de croissance, vitamines et ou substances qui favorisent la
régénération). Par contre, je ressens la douleur après que les
dommages ont été causés (ulcérations)….
Durant près de 9 ans qui suivirent, je n’ai eu que quelques épisodes
dans la même zone externe (en particulier les pourtours de la
cicatrice). A part ces épisodes, j’avais des réactions allergiques
exacerbées par l’absence des larmes… et vice versa sans doute. Dans
tous les cas, il semble évident qu’il y a une relation dialectique
entre les yeux secs, les allergies et la meibomite. Durant ces
années-là j’ai pu me former en droit, j’ai travaillé et j’ai voyagé
autour du monde.
A
vrai dire mon travail était assez exigeant niveau santé, mais plus
encore pour les yeux. Je prenais l’avion fréquemment, je travaillais
sur ordinateur des journées entières et puisque c’était du travail
humanitaire, je devais me rendre dans des pays où le terme « Système
de Santé » est un abus de langage. Dans un des ces pays, le seul
hôpital n’avait aucun médicament et pratiquement aucun médecin ! En
tout cas, je ne prenais aucun médicament ou collyre régulièrement et
devais prendre simplement plus de précaution que les « gens
normaux ».
Cependant, depuis juillet 2003, mes 2 yeux ont commencé à souffrir
de plus en plus d’une sécheresse sévère et les épisodes d’ulcération
sont devenus de plus en plus fréquents. Pour la 1ère
fois, l’œil droit a connu quelques ulcérations périphériques. Ainsi,
les érosions quotidiennes sont revenues, les yeux rouges constamment
et bien sûr la douleur (ma fidèle compagne) sont réapparus. J’ai du
faire une trentaine d’épisodes d’ulcérations en moins de 2 ans.
C’est qui est certainement trop pour maintenir un état d’esprit
équilibré !
Bien qu’il soit possible que la meibomite / blépharite puisse
accentuer les yeux secs, il semble bien que l’essentiel du problème
réside dans la perte de sensibilité et ainsi une incapacité à faire
face à n’importe quelle agression. Certains ophtalmologistes (les
plus compétents) ont confirmé que l’absence de sensibilité de la
cornée est la cause principale quel que soit le problème que l’œil
rencontre à un moment donné (immunologique, allergique, sécheresse,
etc.). Les autres ophtalmologistes sont totalement perdus et
finissent par en apprendre autant ou plus que moi avec le
rendez-vous !
J’ai été traité par de la
doxycycline per os 200 mg, des antibiotiques locaux et de la pommade
Vitamine A la nuit. Bien sûr, j’ai utilisé des suppléments lacrymaux
en tous genres et marques (bien peu sont novateurs, et s’ils le sont
un peu plus ils ne sont pas remboursés et ils sont tous assez chers
pour les patients ou la SECU). Il y a eu quelques améliorations mais
les ulcérations persistent et même si elles sont moins profondes
qu’en 1994, elles sont plus fréquentes.
Il est impossible de décrire
toutes les conséquences que cette condition a pu avoir dans ma vie.
Tout ce que je peux affirmer c’est qu’alors que je pouvais me sentir
à l’aise partout (des zones minées en Afrique aux rues des grandes
villes colombiennes, jusqu’aux confins de l’Amazone et autres
jungles, etc.), j’ai désormais peur de mettre le pied en dehors de
chez moi, particulièrement s’il fait sec et chaud. Quand je le fais
cela ressemble à une expédition périlleuse… et c’est le cas, car je
peux revenir avec un problème additionnel aux yeux, voire un ulcère.
Je crois que l’on ne peut pas savoir ce que c’est de vivre avec une
menace semblable au quotidien sans l’avoir vécu. La vie devient un
cauchemar. Vous devenez professionnellement et socialement mort…
inutile.
Pour une raison indéterminée
(mais probablement parce qu’il n’y a guère à voir sans l’utilisation
d’une lampe à fente et un examen ophtalmologique approfondi), la
plupart des personnes pensent que l’on se plaint pour se plaindre,
et ce sans autre raison. La vérité c’est que nous ne supportons plus
la lumière du jour, la fumée (cigarette ou toute autre), le vent,
l’air sec, le chauffage, la climatisation, la pollution, les
parfums, les produits d’entretien, les particules dans l’air, la
poussière, etc.…. donc soit nous sommes véritablement des personnes
handicapées impropres à la vie moderne… soit nous sommes simplement
des hypocondriaques!
Cette dernière explication à
la faveur d’un certain nombre de gens, en particulier parce qu’elle
est la moins demandeuse de leur part. C’est d’ailleurs étonnant de
« voir » que les gens choisissent toujours l’explication la plus
simple qui ne mette pas en cause leur propre comportement face à la
maladie. Il demeure que les personnes vivant des érosions cornéennes
au quotidien, des douleurs et la photophobie, perdent leurs amis,
leurs emplois et ne parlent plus toujours à leur propre famille.
Mais pour une raison quelconque, qui n’est pas évidente à mes yeux,
les pathologies chroniques de la surface oculaire ne sont pas
considérées comme des handicaps sérieux par la société en général,
les institutions gouvernementales ou médicales dans leur ensemble,
les ophtalmologistes, etc. J’ai longtemps travaillé moi-même avec
des personnes sérieusement handicapées, de ce fait je peux me
considérer moi-même comme sérieusement handicapé sans trop
surévaluer mon problème personnel, alors que je sais pertinemment
que je risque de ne pas être perçu comme tel dans un avenir proche
(du moins tant que les études épidémiologiques et sur la qualité de
vie ne seront pas effectuées pour l’ensemble de ces pathologies). Je
propose à ceux qui se demandent sur la réalité de cet impact sur la
qualité de vie, d’essayer d’imaginer ce que peut être le quotidien
d’une personne vivant avec une œil sous les compresses en essayant
de récupérer d’un ulcère et en utilisant l’autre malgré la douleur,
la sécheresse, la mauvaise vision… puis inverser les yeux parce que
l’autre œil commence à s’ulcérer. Tout cela en menant une vie
sociale et professionnelle normale est littéralement impossible!
En premier lieu, je suis
étonné de la façon dont la plupart des ophtalmologistes et les
médecins nous traitent (je devrais pourtant être habitué après
l’expérience des névralgies faciales ignorées pendant 5 ans !), qui
pourrait se traduire par des façons plus ou moins sympathiques de
nous dire « rentrez chez vous et mettez vos gouttes ». Juste pour
obtenir un diagnostic fiable, c’est l’enfer. J’ai une dizaine
diagnostics différents (dont la rosacée, dermite,
keratoconjonctivite atopique, etc, je vous épargne les plus
absurdes !) avant de revenir à celui établi en 1994. Ils sont
rarement au courant du réel impact que ces pathologies ont sur la
qualité de vie (ainsi au bout de 11 ans d’expérience je peux
affirmer que j’ai du rencontrer 4 ou 5 ophtalmologistes seulement
–des spécialistes de la cornée et des pathologies de la surface -
qui semblent comprendre de ce nous vivons). Je comprends que ces
pathologies soient très frustrantes pour les ophtalmologistes car
même en l’an 2005, ils n’ont souvent honnêtement pas grand-chose à
nous proposer. Mais qu’est-ce qui pourrait être plus gratifiant que
d’améliorer ne serait-ce qu’un peu la vie d’une personne
sérieusement handicapée. Beaucoup trop d’ophtalmologistes
abandonnent trop facilement ces cas-là pour se concentrer sur les
cas « normaux » ou plus classiques en ophtalmologie. Le patient
reste bien trop souvent le seul à ne pas pouvoir abandonner…
Cependant, je voudrais
conclure cette critique en disant que j’ai aussi rencontré une
minorité d’ophtalmologistes merveilleux disposés à aider et à
essayer des nouveaux traitements. Je citerais certains de Bordeaux,
Bichat (Paris) et Rouen. Ainsi, je peux aussi affirmer que mon
traitement actuel par « verres scléraux » est assez promoteur dans
mon cas pour minorer l’impact sur ma vie quotidienne après que l’on
m’ait affirmé plusieurs fois qu’il n’y avait rien à faire. J'ai
également repris la ciclosporine grâce à un professeur des XV/XX. Je
tiens à préciser que dans la grande ville de France dans laquelle je
vivais auparavant, ces traitements n'étaient pas disponibles et
m'étaient déconseillés par le grand professeur local. Simplement 2
ans après je crois que l'on peut dire qu'ils se trompait.
En deuxième lieu, je suis
étonné de constater la rareté des centres conduisant de la recherche
sur les pathologies de la surface oculaire et l’ensemble des
syndromes des yeux secs, le peu de gens actifs pour changer cet état
des choses.
En troisième lieu, je suis
surpris par l’ignorance totale sur ce type d’handicap lié à la
surface oculaire auprès d’institutions comme la COTOREP, la SECU et
d’autres. Rien n’est prévu dans les barèmes de l’invalidité dans ce
domaine et les médicaments indispensables sont trop souvent
considérés comme des médicaments de confort (alors que pour beaucoup
d’entre nous, la notion de confort oculaire est bien au-delà de nos
ambitions), par exemple…
Ces pathologies sont trop
souvent un parcours du combattant solitaire qui n’a de cesse de
devoir s’expliquer sur son état mais se doit en plus de rechercher de l’aide
en vain.
Il est fondamental que nous
rassemblions pour rechercher des solutions (simples parfois, comme,
obtenir les meilleurs contacts nationaux, mais aussi plus complexes
comme en incitant la recherche, en faisant de la sensibilisation
en notre faveur auprès des institutions, un effort
de plaidoyer notamment sur l’handicap,
etc.). Beaucoup d’entre nous pensent ne pas avoir le temps, ne
savent pas quoi faire, ne croient pas aux démarches collectives
alors que ce sont les seules susceptibles de motiver les
spécialistes, les institutions… imaginez que les médecins pensent
comme vous ? Que pensez-vous qui se passera ? Rien, si ce n’est ce
qui passe déjà…donc rien ou pas grand-chose.
Veuillez rejoindre
une association travaillant dans ce domaine comme Keratos si vous
croyez aussi que les choses ne se résoudront pas d’elles-mêmes. |