1°) La nouvelle donne (1998-2000) :
Le chancelier Gerhard Schröder (SPD) installa son nouveau gouvernement et son nouveau parlement à Berlin.
La victoire d'une coalition inédite (SPD+Verts) marquait un tournant historique : la CDU/CSU plongeait de 6,5% (35,1%, du jamais vu) ; le SPD atteignait 41% et le PDS franchissait sur tout le territoire (est et ouest) la barre des 5%. Quant aux Verts, ils entraient au gouvernement fédéral moins de vingt ans après leur naissance.
Même si le programme de Schröder était très modéré - son thème de campagne avait été "le nouveau centre" (die neue Mitte) - le renouvellement de génération et les premières mesures adoptées marquèrent une rupture avec l'Ère Kohl :
- rétablissement du remboursement à 100% des congés maladie ;
- relèvement des allocations familiales ;
- pacte pour l'emploi ;
Trois réformes promises pendant la campagne électorale virent le jour :
- l'éco-taxe (voir aussi encart sur ce sujet);
- La courageuse et hautement symbolique réforme de la nationalité. Contre l'opinion de 53% des allemands et malgré une défaite électorale en Hesse, le parlement "rouge et vert" abolit le droit du sang (qui datait de 1913) et vota une législation de droit du sol, dans laquelle les étrangers obtenaient la nationalité allemande au bout de 8 ans (ou automatiquement en cas de naissance).
- Et enfin, le cafouillage sur l'épineux dossier de la sortie du nucléaire (résolu en juin 2000 par un plan sur 21 ans) et le départ tonitruant du ministre des finances Oskar Lafontaine révélèrent la fragilité et l'inexpérience de la jeune coalition.
Après quelques maladresses de Schröder en politique étrangère (rapprochement avec le socialisme libéral du premier ministre travailliste anglais Tony Blair, volonté ambiguë de tourner la page du passé nazi de l'Allemagne), le ministre vert des affaires étrangères Joschka Fischer prit en 2000 (discours du 12 mai à l'Université Humboldt de Berlin) une initiative saluée par les ardents défenseurs de la construction européenne en plaidant "à titre personnel" (mais avec le soutien du Chancelier Schröder) pour une Europe fédérale, renouant ainsi avec les idées de Monnet, Schumann, Delors et Schmidt (voir annexe : l'Europe de Fischer). Le 27 juin, Jacques Chirac, premier président français en visite officielle à Berlin, reprenait solennellement à son compte l'idée d'une "constitution européenne" (voir aussi annexe 1 : l'amitié franco-allemande puis annexe 2 : le malaise franco-allemand et enfin annexe 3 : le divorce franco-allemand).
C'est encore le même Joschka Fischer qui, en approuvant la participation de la RFA à la force d'interposition de l'ONU dans la guerre du Kosovo (1999) et celle de troupes d'élites au côté des Américains en Afghanistan (2001), faisait opérer à son parti (les Verts) un revirement complet sur le tabou de l'intervention militaire hors des frontières. (Et ce sera toujours le même Joschka Fischer qui, occupant l'espace diplomatique laissé vacant par la France depuis 1995, fera des navettes au Proche-Orient (été 2001) et offrira ses bons offices (et son bureau à Berlin) aux Israéliens et aux Palestiniens pour aider à leur rapprochement.) C'est enfin sous son haut patronage que sera signé, en décembre 2001 près de Bonn, l'accord multipartite sur l'après-taliban en Afghanistan. Un grand diplomate était né.
2°) Le libéral-socialisme ou le "nouveau centrisme" (2001-2002) :
L'été et la fin de l'année 2000 marquèrent un retour très net à l'orientation d'inspiration mi-libérale, mi-sociale quasi "théorisée" par le premier ministre néo-travailliste britannique Tony Blair :
- Démantèlement de l'ancien monopole des Postes et Télécommunications et attribution des autorisations d'exploitations des futures licences UMTS (téléphonie mobile) aux enchères, ce qui rapporta, fin août 2000, au trésor public la coquette somme de 100 milliards de DM, et en privatisant la Bundespost un an plus tard (août 2001) !
- Réforme/réduction des impôts (100 milliards de DM sur trois ans) ;
- Réforme du mode de financement des retraites (recours à l'épargne privée) ;
En outre, face au chômage persistant (autour de quatre millions) et malgré le retour de la croissance en Europe, le Chancelier, qui se plaçait déjà en pré-campagne électorale, déclara publiquement, en avril 2001, que "celui qui pouvait mais ne voulait pas travailler, ne devait pas compter sur la solidarité (nationale)". Il fit aussi savoir, par son secrétaire d'état auprès du ministère du travail, Gerd Andres (SPD), que les chômeurs ne seraient plus seulement incités mais contraints à rechercher un emploi. Or, si ces déclarations provoquèrent un tollé au sein des partis de gauche (SPD, PDS, Grünen/Bündnis 90) - et une grande satisfaction dans l'opposition de droite (CDU, FDP) !! - l'opinion publique approuva également massivement (81% des sondés, selon le journal Die Welt) le discours "anti-paresse" de Schröder. Le chômage n'en touchait pas moins encore 4,32 millions de personnes en février 2002, année électorale. La CDU se fit fort de rappeler que Gerhard Schröder s'était précisément fait élire en 1998 sur sa capacité à ramener ce nombre sous les 3,5 millions !
Aussi, après une très sévère défaite aux élections régionales d'avril 2002 en Sachsen-Anhalt (recul du SPD de 39% à 20% !), la gauche du SPD, par les voix de l'ex-ministre des finances, ex-dirigeant du SPD et toujours Ministre-Président de Sarre, Oskar Lafontaine et l'ex-ministre de la défense Hans Apel, tenta alors de donner une orientation plus social(ist)e à la campagne en ouvrant une polémique sur la suppression du service militaire (voir l'article "Les anciens ministres Lafontaine et Apel réclament la fin du service militaire").
Sur le terrain économique et social, le puissant syndicat IG-Metall lança en mai 2002 une vague de grèves dures et généralisées (la première depuis 1995) face au nouveau blocage du nouveau round de négociations salariales; et en juin, le syndicat du bâtiment IG Bau reprenait le flambeau. En outre, les faillites des empires Holtzmann (BTP) et Kirch (média-télévision), l'endettement colossal de Deutsche Telekom (qui entraîna en juillet 2002 la chute de son PDG Ron Sommer) inquiétèrent l'opinion quant à la santé du capitalisme rhénan.
Parallèlement, le FDP, par les voix de son porte-parole Jürgen Möllemann (voir "l'affaire Möllemann") et de l'ex-député vert Jamal Karsli, se laissait tenter par un populisme électoraliste aux limites de l'antisémitisme qui mit en émoi toute la société (voir en annexe : la "haiderisation" du FDP). D'autres scandales politiques graves (intoxication d'aliments bio) ou bénins (billets d'avion offerts) coûtèrent leur tête aux ministres de la consommation Renate Künast (Verts) et de la défense Rudolf Scharping (SPD), au député vert d'origine turque Cem Özemir et enfin au ministre des finances PDS du Land de Berlin Gregor Gysi. Toutes ces défections représentèrent de véritables coups durs pour le gouvernement sortant à deux mois des échéances électorales.
Néanmoins, les catastrophiques (mais providentielles !) inondations séculaires de la mi-août qui
dévastèrent le centre historique de Dresde (voir photos) furent l'occasion pour Schröder de démontrer son inégalable efficacité en matière de gestion de crise ; et la crise américano-irakienne en septembre lui permit d'afficher sa fermeté de chef de gouvernement pacifiste. La coalition SPD-Verts arracha donc d'extrême justesse sa reconduction aux affaires grâce à la très grande popularité du ministre vert des Affaires Étrangères, Joschka Fischer, assurant à son parti son meilleur score avec 8,6% des voix et une position de force auprès du chancelier. Le nouveau "contrat de gouvernement" scellé entre les deux partis de la coalition fut conclu en deux semaines, et les ministres principaux conservèrent leur poste. En raison de la conjoncture économique très morose et des sanctions européennes pour non-respect des critères de Maastricht, le nouveau gouvernement décréta principalement des économies budgétaires drastiques, une hausse des prélèvements, et l'école toute la journée (voir le programme de gouvernement complet).
Enfin, au niveau européen, les années 2001 et 2002 furent consacrées à la mise en place de l'euro puis à la relance des processus de réforme des institutions (Convention constituante présidée par Valéry Giscard d'Estaing) et d'élargissement à l'Est de l'Union Européenne.
3°) La récession et les réformes impopulaires (2003-2005) :
Les 21 et 22 janvier 2003, l'Allemagne et la France fêtaient solennellement le quarantième anniversaire du Traité de L'Elysée, symbole de la réconciliation entre les deux pays (voir détails ici).
Pourtant, cette cérémonie ne masqua guère l'absence de vision politique qui caractérisaient alors les deux têtes de l'exécutif
(Chirac et Schröder). La solidarité de façade et l'opportuniste ligne pacifiste anti-américaine adoptées lors de la crise irakienne
ne suffirent pas à sauver le SPD d'une double déroute électorale aux
élections régionales de Hesse et Basse-Saxe où le parti de Schröder connut ses plus mauvais scores
depuis la création de la RFA (1949). L'opposition CDU/CSU qui dirigeait désormais une majorité de Länder devint conséquemment
majoritaire au Bundesrat et en profita aussitôt pour bloquer la très symbolique loi sur l'immigration
voulue par Schröder et déjà déclarée anti-constitutionnelle par la Cour
Constitutionnelle Fédérale en 2002.
Fin février 2003, le chômage atteignait le niveau record de 4,709 millions de personnes (soit 20% des actifs en ex-RDA) avant de
redescendre à 4,2 en septembre. Le déficit public s'élevait (comme en France) à 4% du PIB. Le Chancelier Schröder et son ministre
des finances Wolfgang Clement (SPD) décidèrent - contre l'opinion du parti et des syndicats - d'accélérer le
"train de réformes" appelé "Agenda 2010".
Enfin à l'automne, le dépôt de bilan définitif du consortium I.G. Farben (grand "mécène" du parti nazi) ainsi que les propos
antisémites tenus le jour de la fête nationale par le député CDU Martin Hohmann détournèrent temporairement l'attention
de l'opinion publique :
(...) erstmals in der Geschichte der Bundesrepublik (wurde) eine geschlossene judenfeindliche Argumentation von einem Politiker einer demokratischen Partei vorgetragen, die nicht als rhetorische Entgleisung oder als missglückte Phrase im Eifer des Gefechtes mit einer Entschuldigung abgetan wäre. (siehe Anhang) | (...) pour la première fois dans l'histoire de la RFA un homme politique appartenant à un parti démocratique a exprimé une argumentation résolument antisémite qui ne peut être ni minimisée comme dérapage rhétorique ou phrase malheureuse lancée dans la fièvre d'un débat ni effacée par de simples excuses. (voir annexe) |
Hohmann fut exclu de son parti en novembre 2003 (voir analyse complète par le directeur de l'Institut de recherche sur l'antisémitisme).
La fronde anti-réformes menée au sein du SPD reprit cependant de plus belle au début de 2004, poussant le Chancelier Schröder à céder son poste de chef du parti à Franz Müntefering. Pour la première fois, un chef de gouvernement en exercice ne dirigeait plus son propre parti. En Août 2004, les protestations gagnèrent la rue et adoptèrent la forme de manifs du lundi, à l'image de celles qui en 1989 avaient permis au peuple de RDA ("wir sind das Volk" était le mot d'ordre) de renverser le régime de Honecker. Il faut dire que fin février, le chômage touchait à nouveau 4,7 Millions de personnes. Le gouvernement répondit par l'obligation faite aux chômeurs d'accepter un emploi jusqu'à 30% inférieur au précédent, le regroupement des allocations chômage et autres aides sociales ainsi qu'un nouvel assouplissement des horaires d'ouverture des magasins (voir détails ici). En revanche, le très libéral ministre des finances s'opposait à l'instauration d'un salaire minimum généralisé.
Parallèlement, l'opposition CDU/CSU parvenait à faire durcir la loi sur l'immigration, attisant du même coup un grave différend entre les Verts et le SPD.
Elle imposait aussi son candidat Horst Köhler à la fonction de Président de la RFA.
Début juin 2004, Gerhard Schröder fut le premier chef de gouvernement allemand à être invité aux cérémonies de commémoration
du Débarquement allié en Normandie. Le Chancelier salua cet "incroyable geste historique" et déclara qu'ainsi "la période
d'après-guerre était définitivement révolue", cette invitation étant la preuve que "du côté des anciens adversaires on avait
accepté l'idée qu'en Allemagne la démocratie était solidement ancrée non seulement dans les têtes mais aussi dans les coeurs".
Les élections européennes se soldèrent par un net recul du SPD (de 30 à 22% et 25 sièges) et un
franc succès pour les verts (de 6 à 11% et 12 sièges), tandis que la CDU/CSU se maintenait à 46% et obtenait 50 des 99 sièges
allemands au parlement européen. Le PDS (ex-SED d'Allemagne de l'Est) et le FDP obtinrent 6% des suffrages et 6 sièges chacun.
Le débat sur l'interdiction du NPD (voir présentation de
ce parti d'extrême-droite) fut relancé à l'occasion du soixantième anniversaire de la libération des prisonniers du camp
d'extermination d'Auschwitz (lire l'article le NPD et l'holocaust).
Sur le plan social, février 2005 rappelait, en pire, février 2004 : pour la première fois depuis les années 1920, le chômage
touchait plus de 5 millions de personnes. Ces tristes résultats étaient dus 1°) au redémarrage aussi lent que fragile de
l'économie et 2°) à l'entrée en vigueur de la réforme Hartz IV (du nom de l'auteur de cette refonte des diverses
allocations sociales) qui indemnisait plus d'allocataires que précédemment.
Cette morosité économique et sociale entraîna la défaite de la dernière coalition régionale "rose-verte" (SPD-Verts)
aux élections de Rhénanie du Nord - Westphalie, bastion social-démocrate depuis 1966 et fief personnel de Gerhard Schröder !
Le Chancelier décida donc de demander à sa propre majorité un vote de défiance artificiel afin de
provoquer des élections législatives anticipées en septembre 2005 !
L'ex-président du parti et ex-ministre des finances Oskar Lafontaine ainsi que le responsable régional du Bade-Wurtemberg, Ulrich
Maurer quittèrent le SPD pour s'inscrire à la WASG
(Wahlalternative für Arbeit und Soziale Gerechtigkeit, "Alternative
électorale pour l'Emploi et la Justice Sociale") et faire campagne avec le PDS sur des listes communes WASG/PDS rebaptisées
Linkspartei (Parti de gauche).
Les résultats furent aussi surprenants que contrastés :
L'opposition ne progressait pas dans le pays car la CDU/CSU obtenait un score décevant de 35,2% (-3,3% par rapport à 2002)
à peine compensé par leur allié théorique du FDP qui atteignait le seuil inégalé depuis 15 ans de 9,8% des voix (+2,7%).
Quant à la coalition sortante elle perdait la majorité avec 34,3% pour le SPD (-4,2%) et 8,1% pour les Bündnis90/Grünen (-0,5%).
En doublant le score du PDS en 2002 avec 8,7% (+4,7%), le "nouveau" Parti de gauche réussissait à empêcher la droite d'accéder
seule au pouvoir.
Ni la coalition sortante SPD/Verts ni l'alliance CDU/CSU/FDP n'étaient donc en mesure de gouverner le pays...
L'Allemagne avait finalement donné à sa classe dirigeante un message ambigu où s'exprimait à la fois l'acceptation résignée de
réformes douloureuses, le scepticisme envers les deux grands partis et l'attachement à l'économie sociale de marché...
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© éric alglave 2000/2005