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liens vers d'autres analyses sur Matisse :
    - Portrait de Baudelaire (dessin au trait)
    - Vénus (gouache découpée)
    - Torse blanc (gouache découpée)
    - La Gerbe (maquette pour une céramique)





jeux avec la profondeur
dans la peinture de Matisse


Dans d'autres textes (liens ci-dessus) ont été analysées des oeuvres de Matisse réalisées au trait ou en gouaches découpées.
Cette fois, on traitera de "peintures" au sens plus habituel du terme. On y envisagera spécialement la façon dont Matisse joue avec l'effet de profondeur, la niant par certains aspects, tout en la respectant par d'autres.
Pour éviter de trop longs développements, on se concentrera sur les deux effets paradoxaux majeurs de son oeuvre : le "regroupement réussi / raté" qui correspond au paradoxe de transformation principal, et le "homogène / hétérogène" [aller directement aux analyses concernant ce second paradoxe]qui est lui le paradoxe d'état dominant. À l'occasion, on signalera cependant des utilisations remarquables de quelques autres paradoxes.



deuxième paradoxe de transformation secondaire :
synchronisé / incommensurable



Précisément, on commence par un paradoxe secondaire qui est au coeur des effets utilisés par Matisse dans ce type de tableaux.
Avec les gouaches découpées, on peut dire qu'il jouait en permanence sur l'incommensurabilité de la pure sensation de couleur donnée par la surface colorée, avec la lecture linéaire du bord de cette couleur [expression a14-bp8 du "synchronisé / incommensurable], ou avec la lecture du volume généré par sa découpe [expression a12p8 du "synchronisé / incommensurable].
Lorsqu'il utilise la couleur de façon moins brutale, il joue souvent cette fois sur l'incommensurabilité de l'espace en trois dimensions en profondeur réelle, avec sa représentation plane en deux dimensions sur le tableau.
Il ne s'agit pas seulement pour Matisse de "réduire" l'espace et sa profondeur à un tableau sans profondeur, mais bien de nous obliger à le percevoir simultanément en trois dimensions et en deux dimensions.
À partir du 15ème siècle occidental, notamment sous l'impulsion de Jan Van Eyck et des autres flamands, il sera fait usage de la "perspective atmosphérique", c'est-à-dire de la récréation dans le tableau d'effets de lumière qui se rapprochent suffisamment des effets atmosphériques réels pour que nous ayons vraiment l'impression d'avoir affaire à la profondeur réelle de l'espace lorsque nous regardons le tableau.
On donne petite l'exemple de la fameuse "Vierge au Chancelier Rolin" de Jan Van Eyck, car comme beaucoup des tableaux de Matisse qui seront analysés, il représente une pièce intérieure qui ouvre sur l'extérieur.
C'est précisément cette "perspective atmosphérique" que Matisse s'acharnera à contrarier, donnant par la couleur l'impression que tout est ramené sur un même plan, tandis que le dessin des objets ou des lieux continuera lui à nous donner l'impression que l'espace est profond sur le tableau comme il l'est dans la réalité.


atelier rouge

L'atelier rouge (1911)

grande  L'Atelier rouge est un exemple très simple de cet effet de contraste entre l'information que donne la couleur et l'information que donne le dessin :
        - la couleur brun rouge est uniforme et ne change jamais de nuance. En réalité, elle devrait être plus sombre sur les murs moins éclairés, et elle devrait changer lorsqu'elle quitte les murs pour le sol ou pour passer sur les objets, car il s'agit de matières différentes qui renvoient différemment la lumière, même si elles sont de même couleur.
        - le dessin est lui normalement en perspective ou presque : la table se rétrécit vers le lointain, de même que le grand tableau à gauche qui est vu en biais, et la chaise à droite.

Si donc on lit selon la couleur, on voit une surface uniformément plate, et si on lit selon le dessin, on voit un coin de pièce qui s'étend dans la largeur, la hauteur et la profondeur. On ne peut pas voir simultanément la même chose comme si elle était plane et comme si elle était en profond volume, mais Matisse nous oblige pourtant à réaliser l'impossible conciliation de ces deux visions contradictoires.
Il s'agit de l'expression a4p8 du "synchronisé / incommensurable".




le paradoxe de transformation principal :
regroupement réussi / raté



Restons d'abord sur L'Atelier rouge

grande  La couleur brun rouge l'envahit donc entièrement, réussissant à regrouper toute la surface de la toile dans son chromatisme uniforme.
Toute ? Non ! (dirait Goscinny), car des parties du tableau résistent et ne se laissent pas envahir par cette uniformité : les tableaux accrochés au mur, les objets posés sur la table, et quelques autres objets ici et là dans la pièce.
Il s'agit de l'expression a3-ap14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Mais l'effet le plus caractéristique de ce tableau est la façon dont le brun rouge envahit de façon absolument uniforme les murs, le sol et les meubles (notamment l'horloge, la table et la chaise) : c'en est trop pour notre "bon sens" qui se rend compte de l'anomalie de cette trop grande uniformité de teinte. Cette uniformité n'est pas compatible en effet avec ce que serait une vue réelle, où les objets ne pourraient se fondre ainsi complètement dans la couleur de la pièce, au point même de presque disparaître à la vue.
La force du recouvrement de tous les objets par la même couleur que celle du sol et des murs, s'impose pourtant à nous : on ne peut pas manquer de voir que la table et que la chaise sont envahies par cette couleur, et sous cet aspect le regroupement des objets dans une même couleur que le sol et que les murs est réussi. Mais l'on résiste à cette lecture qui nous semble impossible, et notre bon sens, c'est-à-dire notre habitude visuelle, nous retient d'admettre ce que l'on voit sur le tableau, et fait finalement rater la lecture précédente.
Il s'agit de l'expression s3p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Toujours dans ce même Atelier rouge, on peut considérer le contraste entre le tracé du contour des objets (la table, la chaise, l'horloge, etc.) qui est obtenu par une fine réserve jaunâtre dans la surface rouge, et la surface précisément de ce rouge.
Ce fin tracé, on le suit des yeux, il dirige notre regard d'un endroit à un autre, et il nous fait ainsi traverser l'étendue rouge.
La couleur rouge au contraire ne guide aucunement notre regard : c'est une masse uniforme qui s'impose partout avec la même intensité, sans plus nous attirer dans un endroit que dans un autre, et notre regard ne peut qu'errer au hasard sur sa surface.
Notre regard bute donc partout sur le rouge, tandis que le fin tracé des objets lui ouvre des trajets nets et rapides qu'il n'a plus qu'à suivre : il s'agit du paradoxe "ouvert / fermé".
Il s'agit de l'expression a2-1p4 du "ouvert / fermé".

grande  Il fallait signaler au passage cette expression du "ouvert / fermé" spécialement forte, mais revenons au "regroupement réussi / raté" avec une expression qui s'appuie elle aussi sur le contraste entre la grande surface brun rouge et le fin tracé des contours.
Le remplissage en aplat monochrome de toute la toile nous invite à la lire comme une surface, à lire que tout le volume de la pièce est comme ramené sur cette surface, que le sol et tous les pans de murs et toutes les surfaces des objets sont comme rabattus sur le plan monochrome de la toile.
Mais le fin contour des objets fait rater ce regroupement sur une même surface, car lui nous propose au contraire une vision tridimensionnelle de la pièce, nous invitant à la lire en profondeur perspective comme on la verrait dans la réalité.
Il s'agit de l'expression a4p14 du "regroupement réussi / raté".

[aller directement aux autres effets analysés de ce tableau]


desserte rose

La Desserte rose (1908)

On va d'abord retrouver dans ce tableau les trois mêmes effets de "regroupement réussi / raté" que dans l'Atelier rouge.

grande  Toute la pièce est regroupée dans le même rose pourpre envahi de courbes et contre-courbes florales bleutées, alternant avant des fleurs en vase, elles aussi bleutées.
La couleur et le motif de la nappe se poursuivent sans modification sensible sur le mur, et nous sommes bien incapables de distinguer une différence entre les parties de la nappe qui correspondent au dessus de la table (vues du dessus) et celles qui correspondent à ses côtés (vues en vertical). Même la femme est comme intégrée à l'intérieur de cette continuité, tant les courbes de ses cheveux et de ses bras semblent continuer les volutes de la nappe et du mur, et le vase/coupe à fruits central est lui aussi juste à la place qu'il faut et de la couleur qu'il faut pour permettre au rythme des vases floraux de rester bien régulier entre les volutes où il s'intègre.

Mais si ce rose pourpre et son motif de volutes et de fleurs en vase bleuté envahit toute l'oeuvre, regroupe toute l'oeuvre, le tableau au mur refuse lui de se laisser prendre dans cet effet. Les courbes de ses arbres reprennent les courbes et les contre-courbes des volutes bleues, le rose de sa maison rappelle la tonalité rose du reste de la peinture, comme le bleu de son ciel rappelle le bleu des volutes, mais le vert de son herbe, le jaune vif de son cadre, et la grande surface blanche de ses arbres, tranchent très distinctement.
Toute l'oeuvre n'est donc pas regroupée dans le rose pourpre accompagné de son motif de volutes et de fleurs en vase bleuté.
Il s'agit de l'expression a3-ap14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Dans l'Atelier rouge, la couleur brun rouge en faisait trop : il n'était pas crédible qu'elle passe sans modification de nuance sur les murs et sur le sol, et qu'elle remplisse aussi les objets de la même façon.
Il en va de même ici pour le rose pourpre et ses motifs bleutés, qui passent sans modification notable, ni de dessin ni de nuance, sur la nappe et sur le mur, et même sur les divers plans de la nappe qui sont pourtant vus en principe selon des angles différents (déformation perspective attendue du motif) et dans des lumières différentes (modification de lumière attendue).
La continuité du traitement nous entraîne à considérer qu'il se poursuit réellement en continu sur tous les pans du mur et de la nappe, mais cette continuité est tellement improbable que nous nous retenons d'accepter ce que le peintre nous montre. C'est notre expérience visuelle qui fait donc rater le regroupement complet que le peintre suggère entre le mur et les différents pans de la nappe.
Il s'agit de l'expression s3p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Comme dans l'Atelier rouge, l'emploi d'une couleur et d'un motif uniformes crée une incertitude sur la profondeur de la pièce, le devant de la nappe pouvant très bien être lu dans le même plan continu que celui du mur, la femme étant alors comme encastrée elle aussi dans l'épaisseur même du mur.
Mais des renseignements nous sont aussi donnés par les contours qui nient ces rabattements et qui eux nous introduisent clairement dans une lecture de la profondeur : le bord de la nappe qui coupe en biais le tablier de la femme ne laisse aucun doute sur le fait que la table est en avant plan par rapport au personnage, et la chaise à gauche ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'agit d'une vue plongeante dans un espace tridimensionnel.
Il s'agit de l'expression a4p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  En plus de ces trois expressions déjà trouvées dans l'Atelier rouge, ce tableau présente une autre expression à signaler du "regroupement réussi / raté".
Elle concerne la façon dont les volutes des formes du personnage s'intègrent aux volutes bleutées, et la façon dont les objets, les fruits et les fleurs sur la table, s'intègrent aux motifs bleutés de fleurs en vase. Tous ces "corps étrangers" contribuent à la régularité de la trame des motifs, "bouchent les trous" pour que cette trame reste bien continue, mais en même temps ils gardent leur autonomie : la femme est située entre la nappe et le mur et non noyée dans le mur, les vases et les fruits sont situés sur la table et non intégrés dans la nappe.
Par un aspect donc ces "corps étrangers" réels sont regroupés avec la trame purement décorative des motifs bleutés dont ils assurent la continuité et la régularité, et par un autre aspect ils restent précisément perçus en tant que "corps étrangers" à cette trame décorative dont ils ne font pas partie.
Il s'agit de l'expression s5-bp14 du "regroupement réussi / raté".

[aller directement aux autres effets analysés de ce tableau]


aubergines

Nature-morte aux aubergines (1911)

grande  Dans le centre de ce tableau, une nappe avec trois aubergines nous rejoue avec le paravent situé juste derrière, le même effet de continuité que la nappe de la Desserte rose joue avec son mur d'arrière plan.
Ici le même rythme de volutes se poursuit en continuité sur la nappe et sur le paravent, mais cette fois les couleurs, rousse de la nappe et verte du paravent, sont suffisamment bien tranchées l'une de l'autre pour que l'on ne confonde jamais les deux réalités.
Ensembles, la nappe et le paravent se regroupent donc dans un même motif continu de volutes, mais grâce à la couleur qui les différencie les deux surfaces gardent par ailleurs leur autonomie.
Il s'agit de l'expression s5-bp14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Si l'on ne considère que la nappe, on retrouve le manque étonnant de différence de déformation perspective et de différence de luminosité, entre son dessus horizontal et son pan vertical qui retombe sur le devant.
Cette fois encore, c'est trop d'uniformité pour que nous l'admettions.
Il s'agit de l'expression s3p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Comme dans les deux tableaux précédents, un même motif se répand sur tout le tableau et l'unifie. Ici, il s'agit d'un motif de pétales bleus sur fond brun noir.
Curieusement, le paravent et la nappe se fondent assez bien dans ce motif, probablement à cause du rythme et de la couleur de leurs volutes qui continuent avec suffisamment de régularité le motif des pétales bleus. Cette fois, c'est la vive luminosité du paysage par la fenêtre et celle de l'image renvoyée par le grand miroir, qui tranchent avec la tonalité sombre du reste du tableau.
La pénombre intérieure envahit tout, regroupe tout le tableau, mais la lumière crue du dehors et du miroir refuse de s'y plier.
Il s'agit de l'expression a3-ap14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Par rapport aux tableaux analysés précédemment, le motif des groupes de cinq pétales bleus propose une nouvelle façon de faire du  "regroupement réussi / raté" que nous allons envisager maintenant.
Ici, la couleur du sol est suffisamment différente de celle des murs pour que l'on distingue leur séparation. Bizarrement pourtant, ce motif de pétales se poursuit sans modification sur les murs et sur le sol : il n'est pas plus clair sur le sol pour accompagner l'éclaircissement du brun lorsque cette couleur passe du mur au sol, et il n'est pas déformé par la perspective et semble toujours vu de face, qu'il soit sur le mur ou qu'il soit sur le sol.
Et d'ailleurs, que fait sur le sol ce motif de pétales bleus ? Aux murs, on peut penser qu'il s'agit d'un motif du papier-peint, mais au sol, et sans déformation perspective, de quoi s'agit-il ? Le caractère artificiel de sa présence au sol rend même suspect sa présence sur les murs : n'est-il pas d'un bleu un peu trop lumineux pour la pénombre où il est sensé se trouver ? Ne devrait-il pas se déformer aussi selon la perspective sur la partie gauche du tableau qui correspond à un mur en biais ? Et pourquoi traverse-il avec autant de régularité un cadre (ou un miroir) accroché en haut de ce mur de gauche, pour venir ensuite trop parfaitement continuer un bouquet de fleurs posé sur la cheminée ? Au final, plus qu'un motif de papier-peint plausible, ce motif de pétales bleus nous semble plutôt comme un tampon qui a été apposé régulièrement sur la surface du tableau par Matisse, sans que cela n'ait rien à voir avec la réalité de la scène, et seulement pour l'unifier au mieux.
En se continuant sur les murs et sur le sol sans modification de couleur ni de perspective, ce motif de pétales bleus sert à regrouper tout le tableau dans une même trame continue quant à son rythme, sa couleur et sa luminosité, mais parce que sa présence est incompréhensible, saugrenue sur le sol et même étrange sur les murs, ce motif se fait remarquer : il tranche avec le reste du tableau. Parce qu'il unifie à l'excès le tableau sur des surfaces qui ne devraient pas l'être autant, parce qu'il regroupe en continuité anormale la totalité de la surface du tableau, lui-même se distingue du reste du tableau et se fait percevoir comme un corps étranger à la scène représenté, comme un pur motif autonome rajouté artificiellement sur la vue de la pièce.
C'est donc précisément parce qu'il unifie le tableau, que lui-même se fait rejeter de la vue de la pièce qui nous est suggérée.
Il s'agit de l'expression s8p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Parce qu'il est uniforme et sans déformations perspectives, ce motif de pétales bleus aide également à ramener tout l'espace sur un même plan.
Dans cette tâche, il est aidé par le peu de différence de teinte entre le brun foncé du sol et celui à peine plus sombre des murs, par l'absence de nuances entre les diverses facettes du paravent (pourtant orientées différemment par rapport à la lumière), par l'absence de modification de lumière entre le dessus de la nappe et sa frange qui retombe, par l'uniformité en aplat des diverses surfaces beiges de la partie haute du tableau, et aussi par le dessin strictement orthogonal de tous les objets situés dans cette partie haute où ils ne suivent pas la déformation perspective, notamment pour ce qui semble être un miroir situé sur le mur de gauche et qui devrait suivre la même déformation perspective que le grand miroir posé au sol et que la cheminée voisine.
Tout un ensemble de renseignements ramène donc tous les pans des murs, des sols et des objets, sur une même surface qui se confond avec celle du tableau.
D'autres renseignements par contre luttent contre cet effet de rabattement, et nous introduisent dans une lecture en profondeur de la pièce qui fait rater le regroupement de tous les plans sur une même surface : l'oblique du sol à gauche principalement, mais aussi l'étagement non ambigu de la nappe devant le paravent, et du paravent devant le mur de la fenêtre et devant les parties de la pièce qu'il nous cache et dont on ne devine que le haut (une lampe et une porte ouverte semble t'il, avec un rideau bleu à quadrillage blanc dans le fond d'une autre pièce).
Il s'agit de l'expression a4p14 du "regroupement réussi / raté".

[aller directement aux autres effets analysés de ce tableau]


intérieur rouge

Intérieur rouge, nature-morte sur table bleue (1947)

grande  Ce tableau est nettement plus tardif dans l'oeuvre de Matisse que ceux envisagés précédemment, et pour cette raison les effets en sont plus affirmés, plus épurés.
On y retrouve d'abord l'effet par lequel la couleur rouge zébrée de noir envahit tout, du mur au sol, y compris le dallage du sol extérieur : une telle uniformité absolue de traitement ne nous convainc pas, notamment pour ce qui concerne le dallage extérieur dont ne peut admettre qu'il soit dans un même plan continu que celui du mur, ni dans le même éclairage que lui.
Il s'agit de l'expression s3p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  À propos toujours de ces zigzags noirs, si l'on est bien obligé d'admettre qu'ils accompagnent constamment le rouge et forment un motif où ils sont liés à lui, incorporés à lui, leur caractère agressif, tranchant trop nettement du rouge, nous empêche d'admettre tout à fait qu'il soit fondu à lui : on voit des zigzags noirs en surcharge sur un aplat rouge, d'avantage qu'un motif mélangé de rouge et de noir. [nota : le système de compression "jpg" utilisé pour l'image ci-jointe atténue malheureusement cet effet]
La même chose vaut d'ailleurs pour les traits rouges sur la porte : sur une surface orangée on voit des traits rouges qui sont trop agressivement contrastés avec l'orangé pour que l'on puisse ressentir qu'ils s'intègrent réellement dans le volume de la porte.
Chaque fois les traits forment un ensemble homogène avec la couleur qui leur sert de fond, et chaque fois ils forment simultanément comme un corps étranger à sa surface, à cause de leur contraste trop franc, trop net et trop brutal, avec le fond sur lequel ils se dessinent.
Il s'agit de l'expression a3-bp14 du "regroupement réussi / raté".

grande  Comme dans les tableaux précédents, le rabattement sur un même plan continu rouge zébré de noir, du sol et des murs, est contredit par la vue de la table nettement en perspective biaise avec ses pieds que l'on voit distinctement, et par le bas de la porte dont le biais nous donne aussi une notion de profondeur que nie le traitement de sa couleur.
Tous les plans de l'espace sont donc regroupés par un aspect sur un même plan continu, et ce regroupement est raté par les notions de profondeur qui nous sont simultanément données.
Il s'agit de l'expression a4p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  L'expression que l'on vient d'envisager nous laissait incertain sur la façon de lire le tableau : s'agit'il d'un volume tout entier rabattu sur une surface, ou s'agit'il toujours d'un espace tridimensionnel qui s'étage en profondeur ?
Mais ce tableau nous propose une autre incertitude : à quelle distance sont donc les végétations que l'on voit au dehors ?
        - dans le fond du jardin ? C'est en tous cas ce que nous suggère notre intuition, si l'on estime la distance du pavage extérieur qui sépare la porte du pied de ces végétations.
        - dans le plan même de l'encadrement de la porte ? C'est en tous cas ce que nous suggère le traitement de la lumière, et la touche même utilisée par le peintre, par laquelle le blanc de l'encadrement de la porte semble se continuer dans le blanc qui sépare les feuillages. L'orangé à pointes rouges des fleurs centrales est également dans le même plan que l'orangé à traits rouges de la porte, du moins si l'on s'en tient à la lumière équivalente que dégagent ces couleurs en ces deux endroits.
        - à l'intérieur même de la pièce ? C'est en tous cas ce que nous suggère la continuité visuelle que l'on peut se surprendre à lire, entre les feuillages du vase posé sur la table, et les feuillages de même teinte qui sont au dehors.

Dans cette expression, le regroupement de toute la scène dans le même plan, celui du tableau, est raté à cause de l'incertitude quant à la distance de la végétation. Ce type d'incertitude déstabilise l'appui de notre perception, car nous ne savons pas sur quelle base fiable nous appuyer pour étager le lointain par rapport à nous-même.
Il s'agit de l'expression a6p14 du "regroupement réussi / raté".

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Collioure

Fenêtre à Collioure (1905)

grande  On revient avec une toile assez précoce dans l'oeuvre de Matisse, et l'on y retrouve cette incertitude quant à la distance : les bateaux sont-ils donc dans le même plan que le balcon, du moins si l'on en croit la luminosité et le traitement similaire par petites touches des deux endroits ? Ou sont-ils dans le lointain, comme notre compréhension intuitive de la scène nous y invite ?
Il s'agit de l'expression a6p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  On retrouve aussi dans ce tableau l'incertitude sur la façon de lire l'espace : tout est-il ramené sur un même plan comme le suggère le traitement de la lumière et des aplats colorés ? Ou s'agit-il d'un véritable espace en perspective, incluant non seulement la mer et les bateaux s'éloignant dans le lointain, mais aussi les battants de la fenêtre et le mur à gauche qui se rapprocheraient de nous ?
Il s'agit de l'expression a4p14 du "regroupement réussi / raté".

[aller directement aux autres effets analysés de ce tableau]


porte noire

La porte noire (1942)

grande  Nouveau rebond dans le temps avec un tableau près de 40 ans plus tardif que le précédent.
On y retrouve toujours l'ambiguïté entre une lecture de l'espace ramené à un plan (même les nuages nous semblent dans le même plan que l'embrasure de la fenêtre) et une lecture en perspective de la profondeur du même espace.
Le parquet est particulièrement remarquable dans cet esprit, car sa perception bascule imperceptiblement entre :
        - la partie de parquet brune foncé située au dessus de la tête de la femme et qui semble carrément verticale, en continuité de plan aussi bien avec la porte noire qu'avec le mur rose du voisinage, pourtant situé en angle par rapport à la porte ;
        - la partie de parquet de même teinte située à l'autre bout de la toile, dans son coin bas à droite. Cette fois, le parquet nous semble nettement horizontal et en vue plongeante depuis le dessus . . . bien qu'il puisse également être ressenti en prolongement vertical du mur rose voisin.
Dans ce tableau, l'utilisation d'aplats monochromes, et la luminosité uniforme malgré l'emploi de couleurs très contrastées, contribuent au rabattement de tout l'espace sur un même plan vertical, tandis que la lecture en perspective tridimensionnelle est principalement apportée par le biais du personnage qui campe nettement en diagonale, et qui nous introduit, à partir de son pied vers l'épanouissement du fauteuil, dans une vue cavalière à partir de laquelle nous pouvons approximativement imaginer la position respective dans l'espace, des murs, du sol, et de la porte. Ce pied du personnage, c'est ici presque un coin à partir duquel l'espace force sur le plan qui cherche à le rabattre, et regagne la profondeur de sa troisième dimension.
Il s'agit de l'expression a4p14 du "regroupement réussi / raté".

grande  On en a fini avec l'utilisation du "regroupement réussi / raté", mais avant d'aborder le "homogène / hétérogène", restons sur ce tableau pour envisager un autre paradoxe qui est particulièrement exprimé ici.
Dans ce tableau deux directions dominent :
        - les verticales, parallèles à l'embrasure de la fenêtre, aux rayures du papier peint rose, à la porte noire dans le fond ;
        - et les obliques, parallèles aux nuages blancs, aux raies de lumière sur le sol, et au bas du mur sous la fenêtre.
Le personnage tient un rôle clef dans cette composition, puisqu'il combine en lui ces deux directions, et puisqu'il sert à les articuler.
Ce qui est remarquable ici, c'est que notre perception de l'espace en trois dimensions est très précisément guidée par cette combinaison de verticales (qui en donnent une direction) et d'obliques (qui elles nous apportent la sensation des deux autres dimensions, celle du plan du sol en vue plongeante diagonale).
Pour tenir en nous la perception de l'espace dans la profondeur de ses trois dimensions, il faut donc clairement ressentir en nous sa composante verticale et sa composante oblique, chacune étant clairement affirmée de façon autonome, ce qui implique qu'elles soient aussi clairement séparées l'une de l'autre : les composantes verticales et obliques de l'espace sont donc ici à la fois clairement séparées par le peintre, et clairement rassemblées par lui pour nous procurer la sensation d'un espace en trois dimensions.
Il s'agit de l'expression a2-bp7 du "rassembler / séparer".

[aller directement aux autres effets analysés de ce tableau]





le paradoxe d'état dominant :
homogène / hétérogène




Nous revenons sur chacun des tableaux déjà envisagés, en nous concentrant cette fois sur l'utilisation du paradoxe "homogène / hétérogène". Nous l'envisagerons dans le jeu avec la profondeur de l'espace, mais pas exclusivement.

atelier rouge

L'Atelier rouge (1911)

grande  La couleur brun rouge uniforme qui envahit presque toute l'oeuvre est homogène sur toute sa surface, et elle homogénéise l'oeuvre par son uniformité.
Les tableaux et les objets multicolores qui lui font contraste, sont eux une expression d'hétérogénéité.
Il s'agit de l'expression a4p6 du "homogène / hétérogène".

grande  On envisage maintenant la façon dont le rouge se répand sur les meubles sans marquer la moindre nuance de luminosité ou de modification selon le matériau.
Le rouge du sol et le rouge de la table par exemple, sont parfaitement homogènes l'un avec l'autre, puisqu'on ne peut distinguer aucune nuance lorsqu'il devient sol, table, chaise, mur, ou horloge.
Mais, parce que nous savons qu'il s'agit de matériaux différents éclairés différemment par la lumière, nous ne qualifions pas le rouge de la table de la même nature que le rouge du sol ou celui de la chaise : nous mettons de l'hétérogénéité entre les diverses surfaces rouges, à cause de ce que nous savons de la réalité de ces supports, même si nous n'y voyons qu'une couleur homogène qui passe sans modification de l'un à l'autre.
Il s'agit de l'expression a15p6 du "homogène / hétérogène".


desserte rose

La Desserte rose (1908)

grande  Effet identique dans ce tableau : la même trame de couleurs et de dessins se poursuit en continuité uniforme (homogène) depuis le mur sur le dessus de la table, puis sur les retombées verticales de la nappe.
Mais à cause de notre interprétation de l'espace, nous qualifions cette continuité homogène de propriétés différentes (hétérogènes) selon les endroits : ici nous y voyons un mur, là le dessus de la nappe, là encore les retombées de la table.
Il s'agit de l'expression a15p6 du "homogène / hétérogène".

grande  L'importance de la surface occupée par l'étendue rose à volutes bleues est telle que nous commençons par considérer qu'elle envahit toute l'oeuvre de sa texture homogène, d'autant que le dessin des volutes se poursuit dans les arbres du tableau et dans les courbes du personnage.
Mais dans un deuxième temps la perception du tableau s'impose dans le coin haut à gauche, et nous devons admettre qu'il apporte une hétérogénéité suffisamment forte pour ruiner l'homogénéité primitivement suggérée par le reste de l'oeuvre.
Il s'agit de l'expression s3p6 du "homogène / hétérogène".

grande  Dans ce tableau on peut être troublé aussi par l'ambivalence du personnage et des objets posés sur la table, qui participent au rythme des volutes et à la répétition régulière du motif des fleurs en pot : font-ils donc eux-aussi partie du décor, ou lui sont-ils extérieurs ?
Font-ils une continuité homogène avec le décor, ou sont-ils pour lui des corps étrangers situés en avant de lui ?
Il s'agit de l'expression s15p6 du "homogène / hétérogène".


aubergines

Nature-morte aux aubergines (1911)

grande  La première expression de "homogène / hétérogène" qui saute aux yeux est le motif de pétales bleus qui évoque un motif de papier-peint mais nous met mal à l'aise car en recouvrant aussi le sol et de par son absence de déformation perspective, il ne peut correspondre à ce type de réalité.
Ce motif est donc homogène avec ce que serait un motif de papier-peint, et il est en même temps hétérogène à cette réalité.
Il s'agit de l'expression s8-bp6 du "homogène / hétérogène".

grande  À grande échelle, nous ressentons que ce tableau est uniformément tapissé par un estampage de  motifs courbes, mais dans le détail nous observons que ces motifs sont parfois obtenus au moyen de grandes courbes à crochet (le paravent), parfois obtenus au moyen de virgules plus courtes, isolées ou alignées en série (le paravent toujours), parfois obtenus au moyen de grandes courbes sans crochet (la nappe devant le paravent), et parfois enfin obtenus au moyen des groupes de pétales bleus.
L'homogénéité du rythme qui est perceptible à grande échelle, est donc obtenue avec des moyens très hétérogènes entre eux si on les considère à petite échelle.
Il s'agit de l'expression a9p6 du "homogène / hétérogène".

grande  Cet estampage répété par des formes courbes, au premier abord semble recouvrir tout le tableau de façon homogène.
Mais bien vite nous constatons que certaines parties du tableau ne se laissent pas envahir par ce type de motifs, et qu'elles restent à y former des hétérogénéités : la cheminée et une grande partie du miroir sur la gauche, la fenêtre sur la droite.
Il s'agit de l'expression s3p6 du "homogène / hétérogène".

grande  Toute la surface du tableau est recouverte d'une gamme homogène de couleurs, traitées de façon homogène en aplats de couleur uniformes.
Mais dans l'ambiance de pénombre générale, plusieurs zones se détachent de par leur luminosité plus vive : le grand miroir à gauche, très brillant, la fenêtre à droite, qui apporte la lumière crue du dehors, la porte ouverte du haut et l'éclat de la pièce sur laquelle elle ouvre, enfin le bas de la table sous la nappe, dont le jaune beige tranche nettement sur le brun foncé du sol.
Il s'agit de l'expression s15p6 du "homogène / hétérogène".


intérieur rouge

Intérieur rouge, nature-morte sur table bleue (1947)

grande  On voit bien de quoi il s'agit : une pièce avec au premier plan une table portant des objets, une assiette décorée accrochée au mur, une porte ouverte qui donne sur un dallage et sur un gros massif de végétaux dans le fond. La vue que Matisse nous propose est donc homogène avec la vue réelle d'un lieu réel.
Mais les déformations mises en scène sont trop criantes pour nous leurrer, ne serait-ce qu'un instant. En particulier, le motif de zigzags noirs sur fond rouge est traité en aplat trop continu pour rendre compte des effets réels de la perspective, et pour rendre compte aussi des différences de lumière entre les murs et les sols qu'il recouvre. D'emblée, la vue que Matisse nous propose nous apparaît donc franchement hétérogène avec la vue réelle d'un lieu réel.
Il s'agit de l'expression s8-bp6 du "homogène / hétérogène".

grande  Nous lisons que les zigzags noirs sur fond rouge forment comme une surface continue qui passerait du dallage extérieur au mur de la pièce, et cela malgré l'interruption que marque l'embrasure de la porte.
Mais en même temps nous lisons ces deux surfaces comme séparées, puisque l'une correspond à un sol horizontal extérieur et en pleine lumière, l'autre à un mur intérieur vertical et dans la pénombre.
À un moindre degré, cet effet vaut aussi pour la surface continue de ce motif qui passe du sol intérieur au sol extérieur : ces deux dallages sont vraiment continus l'un avec l'autre dans la réalité, mais l'encadrement de la porte forme une puissante coupure qui sépare ces deux parties, également ressenties dans une ambiance lumineuse très différente l'une de l'autre.
Il s'agit de l'expression s2p6 du "homogène / hétérogène".

grande  Ces zigzags noirs sur leur fond rouge, forment un contraste brutal avec ce fond, une hétérogénéité très franche donc à sa surface.
Mais la répétition régulière sur toute la toile de cette forte hétérogénéité, a finalement pour résultat d'unifier l'ensemble du tableau en répandant de façon homogène une même trame sur toute sa surface.
Il s'agit de l'expression a11p6 du "homogène / hétérogène".


Collioure

Fenêtre à Collioure (1905)

grande  On peut considérer le contraste entre, d'une part les parties internes de la pièce (les murs et les portes vitrées) qui sont traitées par grands aplats monochromes ou presque monochromes (homogénéité de la surface colorée), et d'autre part le balcon, sa végétation, la mer, ses bateaux et les nuages, qui sont traités par touches courtes faisant de forts contrastes sur le fond blanc qui les entoure (hétérogénéité de la texture colorée).
Il s'agit de l'expression a4p6 du "homogène / hétérogène".

grande  Ce contraste produit un autre effet : bien que tout le tableau soit traité de façon homogène avec un même type de couleurs franches et unies, la zone centrale, nettement plus lumineuse que l'entourage du tableau du fait d'un plus grand papillotement de sa touche, tranche avec cet entourage, ressort plus vivement que lui.
Il s'agit de l'expression s15p6 du "homogène / hétérogène".


porte noire

La porte noire (1942)

grande  On pourrait le dire pour l'ensemble des tableaux analysés précédemment, mais ici l'ambiguïté est particulièrement forte, entre le rabattement de tout l'espace sur la surface verticale plane du tableau et la lecture de la profondeur tridimensionnelle de l'espace introduite par la vision en biais du personnage.
Ces deux visions hétérogènes l'une pour l'autre, l'une en plan et l'autre en profondeur de perspective, réussissent donc à se rendre suffisamment homogènes l'une avec l'autre pour se laisser porter indistinctement par la même représentation peinte de la scène.
Il s'agit de l'expression a8p6 du "homogène / hétérogène".
Ici le "homogène / hétérogène" s'appuie sur le paradoxe n° 8 qui est le "synchronisé / incommensurable", paradoxe avec lequel a commencé cette analyse, et avec lequel elle se finit.



dernière mise à jour : 30 septembre 2006

 
 
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