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- Portrait de Baudelaire (dessin au trait)
- Torse blanc (gouache découpée - plus loin dans cette analyse)
- La Gerbe (gouache découpée)
- peintures diverses (jeux avec la profondeur)
Matisse : Vénus
(gouache découpée)
La technique de la gouache découpée fut l'aboutissement
de la démarche de Henri Matisse, comme l'éclosion finale de
son oeuvre.
Sans doute fallait-il l'accumulation de toute son expérience antérieure,
et toute l'acuité acquise à cette occasion, pour faire de ce
procédé aussi fruste, des oeuvres aussi fortes et aussi complexes,
ainsi qu'on s'efforcera de le montrer.
Deux oeuvres seront principalement analysées : la "Vénus" de
1952 qui est l'objet de ce texte, et qui parvient à évoquer
le volume d'une statue antique par le seul moyen de deux bouts de papier,
et "La Gerbe" de 1953 qui utilise les aplats colorés d'une façon
très différente (analyse bientôt disponible).
Rappelons que Matisse est décédé en 1954, ces oeuvres
font donc partie de sa toute dernière période.
Compte tenu de leur parenté, on complétera l'analyse de la
Vénus par le torse blanc extrait de la paire "Torse blanc et torse
bleu" de 1943 (aller à cette partie
).
Selon la théorie présentée ici, le paradoxe d'état
dominant les effets visuels des oeuvres de Matisse est le "homogène
/ hétérogène".
Dans cette optique, on comprend aisément pourquoi la technique de
la gouache découpée permettait à Matisse d'installer
d'emblée cet effet et de lui donner un caractère omniprésent
: la surface de gouache propose une couleur sans aucune nuance, donc parfaitement
homogène, et la découpe ondulante et très variée
crée sur le bord de cette couleur homogène un effet de constante
hétérogénéité.
Il s'agit là de l'expression s5 du "homogène / hétérogène".
La couleur uniforme et donc homogène de la gouache, par le seul effet
de sa présence sur le fond blanc lui aussi homogène de la feuille,
suffit d'ailleurs pour créer une situation de contraste, de brisure
visuelle de l'homogénéité blanche de la feuille : l'aplat
de couleur homogène génère donc par sa seule présence
sur le fond blanc, une situation brutalement hétérogène.
Il s'agit cette fois de l'expression s7 du "homogène / hétérogène".
le paradoxe de transformation principal : regroupement réussi / raté
Ces deux morceaux colorés, on peut parfaitement les considérer
comme deux aplats colorés complètement indépendants
l'un de l'autre, séparés par un large blanc, et ne faisant
rien l'un avec l'autre.
On peut aussi voir que leur regroupement fait sortir comme le fantôme
d'une statue antique, peut-être la Vénus de Milo.
Cette vision de la Vénus est instable, comme latente, toujours prête
à ressurgir dès que nous sommes prêts à faire
fonctionner l'effet d'optique qui permet de suggérer un volume blanc
se dressant dans l'espace à partir de ces deux morceaux de couleur
en pur aplat.
Chaque fois que nous faisons fonctionner cet effet d'optique, c'est-à-dire
chaque fois que nous regroupons dans notre vision les deux morceaux de couleur
(regroupement réussi donc des deux morceaux), la forme de la Vénus
se reconstruit dans notre vison, et dès que nous y renonçons
et que nous décidons à ne voir que deux aplats colorés
indépendants (regroupement raté donc des deux morceaux), la
présence de la Vénus se défait.
Il s'agit de l'expression a12 du "regroupement réussi / raté".
Les statues antiques sans bras, c'est le lot commun, et si nous y voyons
en particulier la Vénus de Milo, nous ne nous y attendons pas spécialement
à y trouver des bras.
Mais l'absence des jambes ici se remarque, de même que le sommet de
la tête qui semble nettement coupée avant d'être terminée
dans le haut.
C'est le prix qu'il faut payer pour voir le volume de la Vénus réussir
à se regrouper dans notre vision : nous devons en rater les jambes
et le haut de la tête.
Il s'agit de l'expression a8 du "regroupement réussi / raté".
premier paradoxe de transformation secondaire : rassembler / séparer
Avec le paradoxe précédent, on a déjà considéré
que les deux aplats de couleur nettement séparés par un
blanc font ensemble une Vénus, si on les rassemble dans notre vision.
Il s'agit de l'expression a12 du "rassembler / séparer".
Même si l'on néglige la Vénus qu'ils forment ensemble,
on doit bien constater que les deux aplats sont rassemblés dans une
même couleur bleue, alors que par ailleurs ils sont physiquement séparés
l'un de l'autre, écartés l'un de l'autre.
Il s'agit de l'expression a9 du "rassembler / séparer".
Si l'on considère l'aplat coloré de gauche, on constate qu'il
rassemble en continu une partie basse et une partie haute qui sont nettement
séparées l'une de l'autre par l'entaille profonde de la courbe
du sein, entaille qui coupe presque en deux le morceau coloré.
Il s'agit de l'expression a2-b du "rassembler / séparer".
Si l'on considère maintenant le morceau bleu de droite, on constate
qu'il tangente longuement le bord haut et le bord bas de la feuille, et qu'il
les relie fermement par la large verticale bleue qu'il trace dans la feuille.
Inévitablement, en coupant la feuille verticalement, cette surface
bleue sépare radicalement la partie droite de la feuille blanche de
sa partie centrale où se dresse la Vénus.
Il s'agit de l'expression s13 du "rassembler / séparer".
Intéressons nous maintenant au volume blanc de la Vénus suggéré
entre les aplats bleus : par sa couleur blanche, il est rassemblé
en continuité parfaite avec le blanc du reste de la feuille qui le
prolonge, aussi bien au niveau des jambes qu'au niveau du dessus de la tête.
Mais, quand nous voyons une Vénus dans le blanc enserré entre
les papiers bleus, nécessairement nous séparons ce blanc intérieur
du blanc extérieur, considéré alors comme "le fond"
devant lequel se dresse le volume de la Vénus.
Il s'agit de l'expression s15 du "rassembler / séparer".
Au niveau du cou et du visage, nous devons considérer que les deux
bords colorés opposés se voisinent et "pincent" entre eux le visage.
La même chose vaut pour le haut des cuisses que l'on ne perçoit
que si l'on prête attention aux deux bordures bleues qui enserrent leur volume.
Dans les deux cas, c'est le rapprochement visuel des deux bords colorés,
et leur façon de bien caler entre eux le volume, qui permet de le
suggérer, de le faire sortir dans notre perception.
Par contraste avec ces deux effets de rassemblement de bords opposés,
les deux seins eux, font au contraire un effet d'écartement l'un de
l'autre. D'une part parce qu'ils se dirigent vers des directions diamétralement
opposées, et d'autre part parce qu'ils se reculent en hauteur l'un
de l'autre, celui de gauche allant vers le haut, et celui de droite allant
vers le bas.
Il s'agit de l'expression a4 du "rassembler / séparer".
deuxième paradoxe de transformation secondaire : synchronisé / incommensurable
Rien de commun entre la notion d'une statue de Vénus antique et la
réalité de deux morceaux de papier de couleur collés
sur une feuille blanche.
Pourtant, les morceaux de papier réussissent à synchroniser
leur apparence avec l'évocation d'une statue de Vénus taillée
dans le marbre.
Il s'agit de l'expression s10 du "synchronisé / incommensurable".
L'apparition du volume de la Vénus est obtenue au moyen d'aplats colorés,
or, non seulement la notion de Vénus en marbre n'a rien à
voir avec la notion de papiers collés (c'était l'expression
précédente), mais la notion de volume se dressant dans l'espace
est, elle aussi, complètement indépendante de la notion d'effet
coloré.
Il s'agit de l'expression a12 du "synchronisé / incommensurable".
Sans même s'occuper du volume généré par la découpe
de la couleur, on peut considérer l'incommensurabilité qui
existe entre l'effet purement chromatique (sensation colorée) produit
par la vision de la couleur, et l'effet purement linéaire (lecture
d'un trajet) produit par le bord où elle s'arrête.
Pourtant, c'est seulement la conjonction de ces deux effets qui nous permet de saisir la forme de la Vénus.
Il s'agit de l'expression a14-b du "synchronisé / incommensurable".
Le volume convexe des seins, de l'épaule et la fesse, est obtenu par
la vision du creux concave de la bordure bleue qui suggère ces volumes.
Bien que l'organisation de notre perception ne permette pas commodément
de saisir simultanément des formes concaves et des formes convexes,
nous devons nous livrer simultanément à ces deux perceptions
incommensurables, car la position des volumes convexes de la Vénus
se synchronise exactement avec celle des creux colorés concaves qui
les suggèrent.
Il s'agit de l'expression s12 du "synchronisé / incommensurable".
Tout en haut de la feuille, les deux bords bleus se synchronisent pour s'arrêter
sur une horizontale qui coupe la tête de la Vénus au niveau
du front.
Pourtant, ces deux surfaces qui se terminent de façon coordonnée
en haut, n'ont pas du tout démarré en bas à la même
hauteur, et elles n'étaient pas parties pour se retrouver ainsi accordées,
puisque la surface de gauche est partie presque directement vers le haut,
tandis que celle de droite, bien que partie de plus loin, a pris le temps
de diriger d'abord vers la droite avant de remonter.
Il s'agit de l'expression a5 du "synchronisé / incommensurable".
troisième paradoxe de transformation secondaire : continu / coupé
La feuille blanche est continue, et elle se continue au-delà des limites
des papiers bleus, débordant même légèrement en
haut et en bas du grand papier bleu.
Les surfaces bleues au contraire, sont très matériellement
"découpés" dans un papier qui avait été peint
au préalable à la gouache bleue. Des petits défauts
de coupe, volontairement laissés, permettent d'ailleurs de garder
des traces visuelles de la coupe des ciseaux.
Il s'agit de l'expression a7 du "continu / coupé".
La couleur bleu est "continue" sur toute la surface du papier "découpé".
Il s'agit de l'expression s12 du "continu / coupé".
Comme la forme n'est pas fermée par en haut et par en bas, on peut
suivre le blanc en continu de bas en haut, et ainsi traverser puis quitter
la Vénus sans rencontrer de frontière.
Horizontalement au contraire, le blanc est nettement coupé à
gauche et à droite par les papiers bleus, et l'on ne peut sortir par
là du blanc de la Vénus pour rejoindre les blancs latéraux
de la feuille.
Il s'agit de l'expression a2 du "continu / coupé".
Le fait même d'établir la continuité du blanc, de bas
en haut de la feuille à travers la Vénus, a inévitablement
pour conséquence de couper en deux la couleur bleue.
Il s'agit de l'expression s8 du "continu / coupé".
On peut suivre en continu chacun des deux bords bleus qui dessinent la Vénus, car ils ne s'interrompent jamais.
Mais pour dessiner la forme, ils marquent des inflexions (l'épaule,
le ventre, la fesse), des creux prononcés (les seins) ou de brusques
changements de direction (la base des cheveux, l'angle entre l'épaule
et le cou, l'attache des seins), qui marquent autant d'étapes bien
repérables dans leur parcours continu.
La même chose vaut d'ailleurs pour la partie externe du contour bleu
qui, bien que continu, se décompose en étapes bien marquées
par des angles droits (pour le bleu de droite) ou par des angles plus variés
(pour le bleu de gauche).
Il s'agit de l'expression s3 du "continu / coupé".
Intéressons nous maintenant au morceau coloré de gauche, non
plus pour son bord, mais pour sa surface : elle est continue, mais elle n'en
est pas moins creusée si fortement par la découpe du sein qu'elle
en est presque coupée en deux. De fait, elle a bien deux parties,
l'une en bas, l'autre en haut, qui forment deux étapes nettement séparées
dans sa continuité
Il s'agit de l'expression a5 du "continu / coupé".
On peut opposer le long parcours continu du bleu qui borde la Vénus,
et la façon très brutale avec laquelle la couleur bleue cesse
d'accompagner son volume.
En bas à droite, le bleu est soudain coupé par un angle très aigu.
En bas à gauche, la cuisse est soudain interrompue par la coupe du papier bleu.
En haut, de part et d'autre, le contour bleu est nettement coupé par
un angle obtus bien marqué, et avec lui s'arrête la Vénus
et donc son contour.
Il s'agit de l'expression s1 du "continu / coupé".
Pour finir, on peut comparer les contours de gauche et de droite de la Vénus
en partant du haut : celui de gauche s'interrompt rapidement, se coupe rapidement
dès le niveau haut de la cuisse, tandis que le contour de droite continue
plus longuement et prend le temps de contourner la fesse et de descendre
jusqu'au bas presque de la cuisse.
Il s'agit de l'expression s6 du "continu / coupé".
le paradoxe d'état dominant : homogène / hétérogène
Comme on l'a déjà envisagé en préambule de cette
analyse, la couleur bleue uniforme est passée de façon homogène
sur toute la surface du morceau de papier découpé, tandis que
la tranche de ce papier fait des circonvolutions et des angles toujours très
contrastés entre eux, donc hétérogènes entre
eux.
Il s'agit de l'expression s5 du "homogène / hétérogène".
Comme on l'a souligné aussi dans le préambule, la couleur bleue
homogène crée par son contraste avec le blanc homogène
de la feuille, un effet "de contraste" précisément, c'est-à-dire un effet d'hétérogénéité.
Il s'agit de l'expression s7 du "homogène / hétérogène".
Les deux morceaux colorés sont recouverts de la même couleur
bleue : ils sont donc uniformes sous cet aspect, homogènes entre eux
sous cet aspect.
Mais leur taille est très différente, de même que leur
forme et le type de leur découpe (dans un morceau aux angles droits
pour celui de droite, et dans un morceau à découpes en angles
obtus pour l'autre). Sous ces aspects, ils sont hétérogènes
entre eux.
Il s'agit de l'expression s10 du "homogène / hétérogène".
La forme est générée de façon homogène
par le même procédé : la découpe d'un morceau
de papier bleu.
Mais cette découpe présente des endroits qui sont très
hétérogènes entre eux : en certains endroits elle forme
des arrondis prononcés, ailleurs des courbes très amples, ailleurs
encore des angles nets, et parfois cela tourne dans un sens, et parfois cela
tourne dans l'autre sens.
Il s'agit de l'expression a14 du "homogène / hétérogène".
Le blanc qui occupe la position de la Vénus est parfaitement uniforme,
donc homogène, avec le blanc qui est situé au-delà d'elle,
que ce soit au-dessus de sa tête, devant son torse, ou devant ses jambes.
Mais ce blanc du volume de la Vénus se réfère néanmoins
à une réalité hétérogène à
celle du fond : là c'est le blanc qui représente une Vénus,
autour c'est le blanc du fond qui l'entoure.
Il s'agit de l'expression a15 du "homogène / hétérogène".
Le blanc est donc le même blanc homogène sur toute la surface de la feuille.
Pourtant, la présence des découpes irrégulières
crée à leur voisinage des effets d'optique qui rendent le blanc
plus brillant, plus éclatant dans les creux que forment notamment
les seins et la fesse.
La tonalité du blanc et donc partout homogène, mais sa luminosité
est hétérogène d'un endroit à l'autre, et c'est
précisément ce qui permet visuellement de suggérer des
impressions de volume, des amorces de volume qui font émerger la présence
de la Vénus.
Il s'agit de l'expression s15 du "homogène / hétérogène".
Le volume suggéré est homogène avec celui que nous avons
dans l'esprit quand nous pensons à une statue de Vénus antique.
Mais, matériellement, il ne s'agit que de deux morceaux de papiers
colorés uniformément à la gouache. Ni dans l'apparence
(volume blanc contre surface colorée), ni dans le matériau
(marbre contre papier) les deux réalités ne sont homogènes
entre elles.
Il s'agit de l'expression s8-b du "homogène / hétérogène".
premier paradoxe d'état dominé par le homogène / hétérogène : ouvert / fermé
Les morceaux de papier bleu ont un contour fermé, tandis que le blanc
passe au travers de la Vénus et ouvre son volume sur le blanc qui
l'environne.
Il s'agit de l'expression a1 du "ouvert / fermé".
Les découpes en creux, principalement ceux des seins, génèrent
une forme qui est fermée du côté de l'arrondi et ouverte
de l'autre côté.
Il s'agit de l'expression s5 du "ouvert / fermé".
La lumière rayonne de la surface blanche, et les aplats de couleur
bleu mat forment comme des écrans qui lui font obstacle, qui occultent,
éteignent, ferment le rayonnement du blanc à leur endroit.
Il s'agit de l'expression s3 du "ouvert / fermé".
deuxième paradoxe d'état dominé par le homogène / hétérogène : ça se suit / sans se suivre
La perception que nous avons du "fantôme" de Vénus, suit suffisamment
l'apparence réelle d'une statue de Vénus antique pour que nous
y voyions une Vénus.
Pourtant, la matérialité des morceaux de papier colorés
que nous avons devant nous, ne suit pas du tout la réalité
de ce qu'est vraiment un marbre antique figurant une Vénus.
Il s'agit de l'expression s8 du "ça se suit / sans se suivre".
Le haut de la tête n'est pas représenté et ne suit donc
pas son visage, et les jambes ne sont pas représentées et ne
suivent donc pas non plus son corps.
Pourtant, nous ne considérons pas pour autant qu'il s'agit d'une Vénus
scalpée aux jambes cassées : notre perception tient compte
de ce que nous devons voir à chaque extrémité, et elle
fait suivre instinctivement ces parties manquantes.
Il s'agit de l'expression s15 du "ça se suit / sans se suivre".
Le contour de la Vénus se poursuit sans interruption sur chacun de
ses côtés, mais quand la découpe fait brusquement un
angle ou marque une brusque inflexion, la partie suivante du contour ne suit
pas l'alignement de la partie précédente.
Il s'agit de l'expression s9 du "ça se suit / sans se suivre".
L'observation des surfaces colorées ou des surfaces laissées en blanc, se fait en promenant de-ci de-là
notre regard sur ces surfaces, sans lui donner une direction bien précise,
mais au contraire en les parcourant au hasard.
Par opposition, la lecture du contour de ces surfaces se fait exclusivement
en suivant précisément et continûment le tracé
qui sépare le blanc de la couleur bleue.
Il s'agit de l'expression s3 du "ça se suit / sans se suivre".
En bas, le bord horizontal du bleu continue le contour de la cuisse de la
Vénus après avoir effectué un angle aigu brutal.
Lorsque l'on tourne autour de la couleur bleue, ce bord horizontal, puis
le bord vertical dans lequel il se retournera ensuite, sont donc à
la suite du bord qui sert à former la Vénus, mais le bord qui
dessinait la Vénus suivait ses formes (son visage, son épaule,
son sein, sa hanche, sa fesse, sa cuisse), tandis que dès qu'il devient
horizontal le bord de la couleur ne suit plus les formes de la Vénus,
et il sert seulement de contour au morceau de papier coloré.
La même chose vaut bien entendu pour tous les autres contours qui ne
suivent pas le contour de la Vénus et qui suivent le contour extérieur
des morceaux colorés.
Il s'agit de l'expression a9-b du "ça se suit / sans se suivre".
Les deux morceaux bleus forment-ils ensemble une surface bleue continue (qui
se suit donc) cachée par le volume blanc de la Vénus se dressant
devant ce fond bleu ?
Ou s'agit-il de deux morceaux de couleur côte à côte et
séparés par du blanc, et ne se suivant donc pas dans cette
hypothèse ?
Il s'agit de l'expression a7 du "ça se suit / sans se suivre".
Le haut du morceau bleu qui forme le cou et l'amorce de chevelure à
gauche, se trouve exactement en face du morceau bleu qui forme le visage
du côté droit.
Ces deux parties de bleu se suivent donc l'une en face de l'autre pour générer
ensemble la tête de la Vénus, et la même chose peut être
dite pour l'ensemble des découpes qui se répondent et qui tiennent
compte de part et d'autre de la Vénus de leurs positions respectives,
qui "suivent" attentivement la position du profil opposé afin de se
bien coordonner avec lui pour générer ensemble le volume de
la Vénus.
Mais si les deux profils sont attentifs l'un à l'autre, et si l'évolution
de l'un suit exactement l'évolution de l'autre et s'adapte en conséquence,
on peut dire pourtant que c'est "comme par hasard", car les deux morceaux
de bleu ne sont nulle part attachés à une référence
commune, ou à une base commune : ils flottent indépendamment
l'un de l'autre dans le blanc de la feuille. Même dans le haut, ou
ils s'arrêtent en même temps, le bord horizontal du grand morceau
ne prolonge pas le bord du petit puisqu'il n'est pas horizontal à
cet endroit.
Si les deux profils opposés de la Vénus se suivent attentivement,
les deux morceaux bleus qui les portent ne se suivent donc pas, ils semblent
seulement négligemment collés côte à côte
sur la feuille blanche.
Il s'agit de l'expression a10-b du "ça se suit / sans se suivre".
troisième paradoxe d'état dominé par le homogène / hétérogène : rassembler / séparer
Il a déjà été envisagé en sa qualité de premier paradoxe de transformation secondaire.
Matisse : Torse blanc
(gouache découpée)
Ce torse blanc, extrait de "Jazz", fait le pendant à un torse bleu
assez semblable mais réalisé lui au moyen d'un unique papier
peint en bleu collé sur fond blanc, et qui en est donc presque le
"négatif".
Ici on n'analysera pas l'effet de contraste entre les deux torses jumeaux
côte à côte, et on se contentera de retrouver ou de compléter
les effets trouvés dans la Vénus. Ce torse pourrait, lui aussi,
être celui d'une statue antique. Il est obtenu cette fois au moyen
d'un seul papier découpé.
nota : ce torse fait aussi l'objet d'une présentation succincte à l'occasion de l'analyse du bison recroquevillé d'Altamira.
le paradoxe de transformation principal : regroupement réussi / raté
Le regroupement compact du volume se fait au prix du renoncement à sa tête et à ses bras.
Il s'agit de l'expression a8 du "regroupement réussi / raté".
Le bleu qui cerne le torse blanc réussit presque à se refermer
en boucle, à se regrouper en boucle, mais il échoue dans le
bas où demeure une béance malgré le rapprochement mutuel
esquissé par les deux bords opposés.
Il s'agit de l'expression s2-1 du "regroupement réussi / raté".
premier paradoxe de transformation secondaire : rassembler / séparer
Le papier bleu est rassemblé en continu dans le haut, et dans
le bas il est séparé par un blanc en deux côtés
écartés.
Il s'agit de l'expression a6 du "rassembler / séparer".
L'ondulation du contour rassemble les reins en un creux unique d'un côté.
De l'autre côté du torse, elle sépare cette fois deux
creux distincts, situés de part et d'autre de la bosse que forme le
ventre.
Il s'agit de l'expression a4 du "rassembler / séparer".
deuxième paradoxe de transformation secondaire : synchronisé / incommensurable
Il n'y a rien de commun entre l'effet purement chromatique (sensation
colorée) produit par la vision de la couleur, et l'effet purement
linéaire (lecture d'un trajet qui se tortille) produit par le bord
où s'arrête cette couleur.
Il s'agit de l'expression a14-b du "synchronisé / incommensurable".
Le volume convexe du torse est obtenu par la vision de la découpe
du creux concave du papier bleu, et pour voir le torse nous devons donc combiner
dans notre perception celle d'une forme concave et celle d'une forme convexe,
ce qu'il nous est pratiquement impossible de réussir pleinement.
En fait, nous lisons le contour bleu et le volume blanc par bribes, car nous
ne pouvons pas les maintenir tous les deux et tout entiers dans notre vision.
Il s'agit de l'expression s12 du "synchronisé / incommensurable".
Rien de commun entre la notion d'une statue représentant un torse
et la réalité d'un morceau de papier de couleur collé
sur une feuille blanche.
Pourtant, le morceau de papier réussit à synchroniser son apparence
avec l'évocation d'un torse taillé dans la pierre et se dressant
dans l'espace.
Il s'agit de l'expression s10 du "synchronisé / incommensurable".
troisième paradoxe de transformation secondaire : continu / coupé
La couleur bleu est "continue" sur toute la surface du papier "découpé".
Il s'agit de l'expression s12 du "continu / coupé".
Par en bas on peut suivre le blanc en continu, quitter le torse puis voyager
partout dans le blanc sans rencontrer de frontière.
Horizontalement au contraire, on ne peut sortir du blanc du torse pour rejoindre
les blancs latéraux de la feuille, ni à l'inverse pénétrer
dans le torse depuis ce blanc : le parcours sur l'étendue blanche
est coupé dans ce sens là, comme il est coupé verticalement
dans le haut du torse.
Il s'agit de l'expression a2 du "continu / coupé".
On peut suivre en continu le bord qui dessine le torse, car il ne s'interrompt jamais.
Mais pour dessiner la forme il fait des ondulations prononcées qui
marquent autant d'étapes distinctes et bien repérables dans
son parcours continu.
Il s'agit de l'expression s5 du "continu / coupé".
Le tracé externe du contour bleu, bien que continu, se décompose en étapes brutalement marquées, chacune, par un angle droit.
Il s'agit de l'expression s3 du "continu / coupé".
Les deux bords verticaux externes du morceau coloré en bleu sont tous
les deux bien continus, ce qui contraste avec les bords ondulés du
torse qui les accompagnent côté intérieur : ceux-là
sont décomposés en de multiples méandres successifs.
Cela vaut spécialement pour le contour de droite du torse, qui reste
toujours au voisinage du contour droit externe, et qui se décompose
en étapes qui tranchent clairement avec la rectitude uniforme du contour
externe qui l'accompagne.
Il s'agit de l'expression a5 du "continu / coupé".
Pour établir la nette continuité du contour du torse, il a fallu le couper de sa tête et de ses bras.
Il s'agit de l'expression s10 du "continu / coupé".
le paradoxe d'état dominant : homogène / hétérogène
Comme on l'a déjà envisagé pour la Vénus,
la couleur bleue uniforme est passée de façon homogène
sur toute la surface du morceau de papier découpé, tandis que
la tranche de ce papier fait des circonvolutions et des angles toujours très
contrastés entre eux, donc hétérogènes entre eux.
Mais on peut cette fois oublier un temps l'uniformité de la couleur
et se concentrer sur la découpe des bords qui est elle-même
homogène à certains endroits et hétérogène
ailleurs : à l'extérieur elle est toujours en effet d'une rectitude
uniforme, tandis qu'à l'intérieur elle dessine des méandres
très hétérogènes entre eux par leurs amplitudes.
Sans oublier le grand arrondi du haut qui se distingue de tous les autres
en se courbant continuellement du même côté, contrairement
à ce qu'il en va pour les arrondis latéraux qui, eux, se tortillent
alternativement d'un côté puis de l'autre.
Il s'agit de l'expression a4 du "homogène / hétérogène".
La couleur bleue homogène crée par son contraste avec le blanc
homogène de la feuille, un effet "de contraste" précisément,
c'est à dire un effet d'hétérogénéité.
Il s'agit de l'expression s7 du "homogène / hétérogène".
Le volume suggéré est homogène avec celui que nous avons
dans l'esprit quand nous pensons à un torse sculpté. Mais,
matériellement, il ne s'agit que d'un morceau de papier coloré
uniformément à la gouache. Ni dans l'apparence (volume blanc
contre surface colorée), ni dans le matériau (pierre taillée
contre papier) les deux réalités ne sont homogènes entre
elles.
Il s'agit de l'expression s8-b du "homogène / hétérogène".
premier paradoxe d'état dominé par le homogène / hétérogène : ouvert / fermé
La forme interne générée par le papier bleu est
fermée par en haut et par les côtés. Elle est laissée ouverte par en bas.
Il s'agit de l'expression s5 du "ouvert / fermé".
La lumière rayonne de la surface blanche, et l'aplat de couleur bleu
mat forme comme un écran qui lui fait obstacle, qui occulte, éteint,
ferme le rayonnement du blanc à son endroit.
Il s'agit de l'expression s3 du "ouvert / fermé".
deuxième paradoxe d'état dominé par le homogène / hétérogène : ça se suit / sans se suivre
La perception que nous avons du "fantôme" de torse, suit suffisamment
l'apparence réelle d'une statue de torse pour que nous y voyions le
volume d'un torse.
Pourtant, la matérialité du morceau de papier coloré
que nous avons devant nous, ne suit pas du tout la réalité
de ce qu'est vraiment une statue figurant un torse.
Il s'agit de l'expression s8 du "ça se suit / sans se suivre".
La tête ne suit pas le torse, et les bras non plus.
Pourtant, nous ne considérons pas pour autant qu'il s'agit d'un torse
décapité aux bras arrachés : notre perception tient
compte de ce que nous devons voir et elle fait suivre instinctivement ces
parties manquantes.
Il s'agit de l'expression s15 du "ça se suit / sans se suivre".
Quand on suit en descendant le contour intérieur du papier bleu qui
dessine le torse, en bas ce contour se retourne de chaque côté
en angle aigu, se poursuit horizontalement, puis remonte sur chacun des côtés.
Lorsque l'on tourne autour de la couleur bleue, ces bords horizontaux, puis
les bords verticaux dans lesquels ils se retourneront ensuite, sont donc
à la suite du bord qui sert à former le torse, mais le bord
qui dessinait le torse suivait ses formes, tandis que dès qu'il devient
horizontal le bord de la couleur ne suit plus les formes du torse et sert
seulement de contour au morceau de papier coloré.
Il s'agit de l'expression a9-b du "ça se suit / sans se suivre".
troisième paradoxe d'état dominé par le homogène / hétérogène : rassembler / séparer
Il a déjà été envisagé en sa qualité de premier paradoxe de transformation secondaire.