Erreur - illusion : - Sapiens a inventé l'illusion ; le déversement de l'univers fantasmatique dans la vie de veille, les extraordinaires relations qui se tissent entre l'imaginaire et la perception du réel, tout cela qui constitue la source des "vérités" ontologiques de sapiens, est en même temps source d'innombrables erreurs. Plus largement, plus profondément, l'incertitude des relations entre l'environnement et l'esprit, entre le sujet et l'objet, entre le réel et l'imaginaire (y compris l'incertitude sur leur nature à l'un et à l'autre) est la source permanente des erreurs sapientales. L'erreur sévit dans la relation de sapiens avec l'environnement, dans sa relation avec lui-même, avec autrui, dans la relation de groupe à groupe et de société à société.
- Aujourd'hui, dans la crise gigantesque qui rend peut-être possible une quatrième naissance de l'humanité, le problème de l'ambiguïté et de l'incertitude entre l'erreur et la vérité est porté à son paroxysme. Nous sommes aux débuts de la connaissance. De même, nous sommes au début de la conscience. Enfin nous sommes, non pas au moment d'un possible épanouissement des sociétés historiques, mais aux annonces d'une véritable hyper-complexité sociale. La pleine conscience de l'incertitude, de l'aléa, de la tragédie dans toutes choses humaines est loin de m'avoir conduit à la désespérance. Au contraire, il est tonique de troquer la sécurité mentale pour le risque, puisqu'on gagne ainsi la chance. Il est tonique de s'arracher à jamais au maître mot qui explique tout, à la litanie qui prétend tout résoudre. Il est tonique enfin de considérer le monde, la vie, l'homme, la connaissance, l'action comme systèmes ouverts.
- On ne peut plus imputer désordres et erreurs aux insuffisances naïves, aux incompétences de l'humanité primitive, que réduiraient progressivement l'ordre policé et la vérité civilisée. Le processus est bien plutôt, jusqu'à aujourd'hui, inverse. On ne peut plus opposer substantiellement, abstraitement, raison et folie. Il nous faut, au contraire, surimposer au visage sérieux, travailleur, appliqué d'homo sapiens le visage à la fois autre et identique d'homo demens. L'homme est fou-sage. La vérité humaine comporte l'erreur. L'ordre humain comporte le désordre. Dès lors, il s'agit de se demander si les progrès de la complexité, de l'invention, de l'intelligence , de la société se sont faits malgré, avec ou à cause du désordre, de l'erreur, du fantasme. Et nous répondons à la fois à cause de, avec et malgré, la bonne réponse ne pouvant être que complexe et contradictoire. (PP-73)
- Lerreur est le problème clé pour tout ce qui est informationnel/communicationnel , cest à dire pour une organisation et une action dont la première nourriture est linformation. (M1-77)
- Lorganisation vivante est en permanence et de toutes parts menacée par le mal proprement informationnel : lerreur. Sauf agression écrasante ou pénurie alimentaire, seules une erreur de computation, une erreur dinformation, une erreur de communication peuvent altérer le mouvement quasi perpétuel de la régénération/réorganisation propre à la machine vivante. Toute erreur dans la communication ADN ---> ARN ---> protéines entraine des carences dans lorganisation cellulaire. Toute erreur immunologique entraine laltération de lorganisme. Toute erreur dans la représentation mentale et dans la stratégie entraine un comportement déficient. Chacune de ces erreurs est une hypothèque de mort. Lerreur est le talon dAchille de la machine vivante. Le spectre qui rode sur la vie est celui de lerreur. (M2-80)
- L'erreur est animale avant que d'être humaine. Mais aux erreurs de perception, représentation, computation que nous pouvons faire, comme tous animaux, s'ajoutent des sources d'erreur proprement humaines, qui tiennent au fait que nous ne saurions nous passer d'idées pour nous traduire la réalité : nous avons besoin, pour atteindre le concret, de passer par l'abstraction de l'idée. Mais l'idée, qui nous fait communiquer avec la réalité, est en même temps ce qui nous empêche de communiquer avec elle. (PSVS-81)
- La tendance à considérer comme suffisantes les données dont nous disposons est une source inépuisable d'erreurs. Ce que nous avons est toujours, d'une certaine façon, insuffisant. (JL-81)
- Lorsque la pensée découvre le gigantesque problème des erreurs et illusions qui n'ont cessé (et ne cessent) de s'imposer comme vérités au cours de l'histoire humaine, lorsqu'elle découvre corrélativement qu'elle porte en elle-même le risque permanent d'erreur et d'illusion, alors elle doit chercher à se connaître. Elle le doit d'autant plus que nous ne pouvons plus aujourd'hui attribuer les illusions et les erreurs seulement aux mythes, croyances, religions, traditions hérités du passé ainsi qu'aux seuls sous-développements des sciences, de la raison et de l'éducation. C'est dans la sphère sur-éduquée de l'intelligentsia que, dans ce siècle même, le Mythe a pris la forme de la Raison, l'idéologie s'est camouflée en science, le salut a pris forme politique en se disant vérifié par les Lois de l'histoire. C'est bien dans notre siècle que messianisme et nihilisme s'entre-combattent, s'entre-choquent, et s'entre-produisent l'un l'autre, la crise de l'un opérant la résurrection de l'autre. (M3-86)
- Toute connaissance comporte en elle le risque de lerreur et de lillusion. Léducation du futur doit affronter le problème à deux visages de lerreur et de lillusion. La plus grande erreur serait de sous-estimer le problème de lerreur, la plus grande illusion serait de sous-estimer le problème de lillusion. La reconnaissance de lerreur et de lillusion est dautant plus difficile que lerreur et lillusion ne se reconnaissent nullement comme telles.
- Erreur et illusion parasitent lesprit humain dès l'apparition de l'homo sapiens. Quand nous considérons le passé, y compris récent, nous avons le sentiment quil a subi lemprise dinnombrables erreurs et illusions. Marx et Engels ont justement énoncé dans Lidéologie allemande que les hommes ont toujours élaboré de fausses conceptions deux-mêmes, de ce quils font, de ce quils doivent faire, du monde où ils vivent. Mais ni Marx, ni Engels nont échappé à ces erreurs.
- On pourrait Croire qu'on pourrait éliminer le risque d'erreur en refoulant toute affectivité . Effectivement, le sentiment, la haine, l'amour , l'amitié peuvent nous aveugler. Mais il faut dire aussi que déjà dans le monde mammifère, et surtout dans le monde humain, le développement de l'intelligence est inséparable de celui de l'affectivité , c'est-à-dire de la curiosité, de la passion, qui sont des ressorts de la recherche philosophique ou scientifique. Aussi l'affectivité peut étouffer la connaissance, mais elle peut aussi l'étoffer. Il y a une relation étroite entre lintelligence et laffectivité : la faculté de raisonner peut être diminuée, voire détruite, par un déficit d'émotion ; l'affaiblissement de la capacité à réagir émotionnellement peut être même à la source de comportements irrationnels. Donc il ny a pas d'étage supérieur de la raison dominant lémotion, mais une boucle intellect <----> affect ; et par certains côtés la capacité démotion est indispensable à la mise en uvre de comportements rationnels.
- Notre mémoire est elle-même sujette à de très nombreuses sources derreurs. Une mémoire, non régénérée par la remémoration, tend à se dégrader, mais chaque remémoration peut lenjoliver ou lenlaidir. Notre esprit, inconsciemment, tend à sélectionner les souvenirs qui nous sont avantageux et à refouler, voire effacer, les défavorables et chacun peut sy donner un rôle flatteur. Il tend à déformer les souvenirs par projections ou confusions inconscientes. Il y a parfois de faux souvenirs quon est persuadé avoir vécus, comme des souvenirs refoulés quon est persuadé navoir jamais vécus. Ainsi, la mémoire, source irremplaçable de vérité, peut-elle être sujette aux erreurs et aux illusions.
- Nos systèmes didées (théories, doctrines , idéologies) sont non seulement sujets à lerreur, mais aussi protègent les erreurs et illusions qui sont inscrites en eux. Il est dans la logique organisatrice de tout système d'idées de résister à l'information qui ne lui convient pas ou qu'il ne peut intégrer. Les théories résistent à lagression des théories ennemies ou des argumentations adverses. Bien que les théories scientifiques soient les seules à accepter la possibilité de leur réfutation, elles tendent à manifester cette résistance. Quant aux doctrines , qui sont des théories closes sur elles-mêmes et absolument convaincues de leur vérité, elles sont invulnérables à toute critique dénonçant leurs erreurs.
- Les possibilités derreur et dillusion sont multiples et permanentes : celles issues de lextérieur culturel et social inhibent lautonomie de lesprit et prohibent la recherche de vérité ; celles issues de lintérieur, tapies parfois au sein de nos meilleurs moyens de connaissance, font que les esprits se trompent deux-mêmes et sur eux-mêmes. Que de souffrances et dégarements ont été causés par les erreurs et illusions tout au long de lhistoire humaine et, de façon terrifiante, au XX siècle ! Aussi le problème cognitif est-il d'importance anthropologique, politique, sociale et historique. Sil peut y avoir un progrès de base au XXI siècle, ce serait que les hommes et femmes ne soient plus les jouets inconscients non seulement de leurs idées mais de leurs propres mensonges à eux-mêmes. Cest un devoir capital de léducation que darmer chacun dans le combat.
- Le jeu de la vérité et de l'erreur ne se joue pas seulement dans la vérification empirique et la cohérence logique des théories. Il se joue aussi en profondeur dans la zone invisible des paradigmes. (SSEF-00)
Le problème fondamental, qui m'a toujours tourmenté - et d'autant plus que j'avais moi-même commis une erreur et m'étais illusionné à l'âge de vingt ans -, c'est le problème de l'erreur et de l'illusion. Comment éviter l'erreur et l'illusion ? Comment penser, quelle est la façon de connaître la plus pertinente ? Répondre à la question de la connaissance n'est pas simple. Au siècle dernier, par exemple, la physique pouvait dire que l'univers est une machine déterministe parfaite. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Né d'une sorte d'explosion, l'univers se développe avec des accidents, du chaos, des tamponnements galactiques. Je suis parti de l'idée que les développements nouveaux des les plus importantes - physique et biologie - affrontaient les problèmes de la complexité, même s'ils ne les traitaient pas vraiment. Les humaines restaient arriérées parce qu'elles tentaient d'appliquer sur la réalité humaine leurs vieilles méthodes déterministes et quantitatives, alors que les de la nature, tout en les utilisant, dépassaient ces méthodes. C'était aussi une façon de montrer que, pour connaître et comprendre l'être humain, il fallait l'enraciner d'abord dans la nature, dans le cosmos, dans la vie, tout en faisant surgir son originalité. La " méthode ", c'est donc une entreprise pour essayer de reconnaître, à travers l'examen de ce qui se passe dans le monde physique et biologique, les instruments de pensée, de les faire émerger afin de pouvoir répondre aux défis de la complexité. J'ai appelé un de ces moyens " la dialogique " - pour éviter toute confusion avec la dialectique de Hegel et de Marx, qui me semblait un peu trop euphorique avec son système thèse/antithèse, qui débouche sur un dépassement de la contradiction. Je pensais en effet que, si l'on peut dépasser certaines contradictions, d'autres, les plus fondamentales, restent indépassables, et ce sont justement celles-ci qui nous font vivre. J'appelle " dialogique " le fait qu'on soit obligé d'associer des notions antagonistes qui, pourtant, sont complémentaires. (ITI-00)
- Le cerveau est enfermé dans sa boîte crânienne, et il ne communique avec l'extérieur que par le biais des terminaux sensoriels qui reçoivent les stimuli visuels, sonores, olfactifs, tactiles, les traduisent en un code spécifique, transmettent ces informations codées en diverses régions du cerveau qui les traduisent et les transforment en perception. Ainsi, toute connaissance, perceptive, idéelle ou théorique, est à la fois une traduction et une reconstruction. [...] Dès lors, vu que toute connaissance est traduction et reconstruction et que les fermentations fantasmatiques parasitent toute connaissance, l'erreur et l'illusion sont les problèmes cognitifs permanent de l'esprit humain. En dépit de ses capacités de contrôle et de vérification, la connaissance humaine a couru et court toujours des risques formidables d'erreur et d'illusion.... Ils sont d'ordre individuel (self-deception ou mensonge à soi-même, faux souvenirs, refoulements inconscients, hallucinations, rationalisations abusives etc...) ; culturel ou social (empreinte dans l'esprit des certitudes, normes, tabous d'une culture) ; paradigmatique (quand le principe organisateur de la connaissance impose la dissociation là où il a l'unité, l'unité là où y a la pluralité, la simplicité là où il y a la complexité) ; noologique (quand un dieu, un mythe, une idée s'emparent d'un individu qui devient possédé par le dieu ou l'idée). Le problème de l'illusion traverse toute l'histoire, toutes les sociétés, tous les individus, et les esprits à peine désabusés sont prêts à tomber dans une autre illusion (de l'intégrisme communiste à l'évangile néo-libéral, par exemple).
(M5-01)
Idée - Noologie - Noosphère - être d'esprit: -
Nos idées sont des fantômes, mais supprimons les fantômes et c'est le réel qui se dissout.
- Les prudents nous avertissent de ne pas généraliser les notions que les spécialistes ont élaborées. Mais ne faut-il pas tenter de faire sortir les idées de leur gangue, de les faire circuler, de les déployer aux horizons de la réflexion ? Il ne faut jamais renoncer à tenter une anthropo-cosmologie à partir des fragments dispersés du savoir. (ARG18-60)
- L'idée d'harmonie, de solution, d'élimination des désordres, de dépassement de toute contradiction, de l'achèvement politique est, nous le savons maintenant, une idée massacrante. Nous commençons à voir tout le mal qu'il y a dans l'idée de bonne société, toute l'horreur que peut imposer le mythe du bonheur
L'avenir radieux doit mourir. Il porte la mort. La voie du devenir est ouverte. (M2-80)
- Le drame est que les idées fausses sont en même temps des idées réelles, qui disposent de la réalité idéologique, laquelle est en même temps une réalité sociologique.
- Comme tout ce qui est vivant, les idées ont toujours besoin d'être régénérées, re-générées, pour conserver leur intégralité et leur vitalité. (PSVS-81)
- Les idées qui nous permettent de communiquer avec la réalité, c'est cela même qui nous occulte cette réalité. Et pourtant nous ne pouvons nous passer d'idées, de système d'idées (donc d'idéologies) et même - surtout - de mythes. Donc il s'agit : de penser - De même qu'il y avait redistribution des biens tous les sept ans dans la loi mosaïque, de même il nous faut redistribuer nos idées tous les dix ans, c'est-à-dire reconsidérer les urgences et les priorités, reconsidérer aussi nos catégories et nos concepts en fonction de l'expérience des dix années passées. Bien entendu, dix ans est un chiffre arbitraire qui vient de notre soumission au système décimal. Mais l'important est de profiter du chiffre rond pour effectuer la révision périodique. Ainsi bien des idées ont retourné leur sens en quelques décennies comme l'idée de communisme ; le retour à la terre de Pétain en 1940 n'est pas le même que celui des écolos de 1970 ; d'autres mots se vident de leur sens ancien et doivent soit le régénérer, soit en trouver un autre comme celui de laïcité. D'autre part, les priorités se modifient selon les évolutions. (APM-90)
- Il faut reconnaître à la fois la souveraineté et la dépendance des idées, leur pouvoir et leur débilité, il faut reconnaître leur règne, d'abord dans le sens que le terme a pris dans le monde vivant. Il faut considérer la vie des idées, non plus au sens métaphorique et vague du terme "vie", mais en enracinant ce sens dans la théorie de l'auto-éco-organisation du vivant sans pour autant réduire ni l'idée au virus, ni la vie de l'esprit à la vie nucléo-protéinée. Dès lors nous pouvons envisager la noosphère, émergeant avec sa vie propre à partir de l'ensemble des activités anthropo-sociales, tout en reconnaissant, dans cette émergence même, son caractère irréductible.
- Comme pour un dieu , nous, nous pouvons vivre et mourir pour une idée. Il est des idées maîtresses qui se servent des intérêts et des ambitions des humains autant et plus que les intérêts et ambitions des humains se servent d'elles. Elles nous manipulent plus que nous les manipulons. Comme des dieux , il est des doctrines , à commencer par celle du déterminisme, qui exigent que l'univers leur obéisse. Le mot "chat" ne griffe pas, constate-t-on. Mais le mot "vérité" peut devenir féroce. Au service de l'idée, les mots acquièrent pouvoir de vie et de mort.
- De même que les dieux , les idées sont des êtres effrénés; elles échappent rapidement au contrôle des esprits, prennent possession des peuples et déploient une énergie historique fabuleuse. Comment se fait-il que nous donnions vie à des êtres d'esprit, puis que nous leur offrions nos vies, et qu'ils s'en emparent finalement ?
- Lorsque les humains prennent leurs mythes ou leurs idées pour la réalité, il tendent à Croire que la noosphère est le monde lui-même. Mais c'est à travers la noosphère que se forme l'interrogation humaine, et c'est la noosphère qui établit le contact avec l'inconnu, l'indicible, le mystère
. [
] Comme l'univers physique, comme la biosphère, comme l'univers humain, la noosphère est soumise à une dialogique ininterrompue d'ordre/désordre/organisation où naissent, se développent, se transforment, meurent les entités noologiques. Il y a, dans la noosphère, beaucoup d'épiphénomènes fugaces, fantasmatiques. Il y a des êtres d'esprit stables, durables, certains dominateurs, souverains ou asservisseurs, mais qui ont en même temps un aspect instrumental, ancillaire ou asservi. La vie des êtres d'esprit est très différente et inégale selon leur espèce. Elle devient très intense, puissante et surnaturelle pour les grands dieux et les grandes idées. Elle est très faible, quasi virale, pour les petites idées presque uniquement instrumentales.
- Comme toute vie, la vie des êtres d'esprit se régénère sans cesse. [
] Les êtres d'esprit se reproduisent en se dédoublant : une idée ou un mythe se multiplie tout en demeurant le même être; de même qu'un virus ou une bactérie multipliés par millions demeurent le même virus et la même bactérie, de même l'idée ou le mythe multipliés demeurent les mêmes. En même temps, ces multiples êtres d'esprits constituent un seul et même être qui grandit : le Mythe, l'Idée. Les êtres d'esprit se multiplient à travers les mille réseaux de communication humaine, via le discours, l'éducation, l'endoctrinement, la parole, l'écrit, l'image. Le pouvoir duplicateur/multiplicateur de l'imprimerie, du film, de la télévision a accru et continue d'accroître le potentiel reproducteur des êtres d'esprit et de leurs constituants; il accroît aussi le caractère disséminateur du processus de multiplication/reproduction; comme dans le monde végétal, une formidable dissémination de spores ou germes est liée à une formidable déperdition; dans le monde des insectes ou des poissons, la fécondation et la survie des ufs subissent un massacre avant qu'il puisse y avoir naissance. Il y a, par contre, certaines conditions, comme la crise d'une idée dominante, qui favorisent la propagation épidémique d'idées demeurées jusqu'alors inhibées, latentes, dans des recoins marginaux; la rupture d'une régulation sociale, la paralysie d'une inhibition répressive laissent le champ libre aux "virus" des idées contestataires qui se multiplient alors de façon très rapide; la normalisation inhibe leur reproduction, pourchasse les virus, et l'idée refoulée retourne en latence, conservée seulement en quelques esprits/cerveaux déviants. Toutefois, comme dans l'évolution biologique, une mutation légère ou profonde peut s'effectuer dans le mythe ou l'idée, les altérer ou les transformer. Il y a des réorganisations génétiques dans la noosphère, qui connaît des processus évolutifs multiples comme en a connu la biosphère.
- Au moment même où nous les prenons pour la réalité, les idées, de façon quasi hallucinatoire, deviennent des fantômes échappant à la réalité. Le médiateur se substitue au médiatisé (le monde, le réel). La «toute puissance des idées»,selon Mauss, caractérise la Magie, devient l'aboutissement idéaliste du pompage des esprits et du réel par l'idée. L'idée qui porte en elle l'essence du réel devient alors plus réelle que le réel, elle maîtrise ou chasse ce dernier. Ici prend sens l'intuition géniale de Wittgensten : «L'élimination de la magie (par la théorie a
le caractère de la magie». Il y a, dans ces conditions, non seulement réification (le mot est adéquat) de l'idée, mais pouvoir véritablement magique et véritablement mythique de l'idée. elle devient pouvoir de possession sur le réel, quasi au sens vaudou du terme.
- Nous ne devons jamais oublier de maintenir nos idées dans leur rôle médiateur et nous devons les empêcher de s'identifier avec le réel. Nous ne devons reconnaître comme dignes de foi que les idées qui comportent l'idée que le réel résiste à l'idée.
- La noosphère est en nous et nous sommes dans la noosphère. Plus encore, la noosphère est issue tout entière de nos âmes et de nos esprits. Les mythes ont pris forme, consistance, réalité à partir de fantasmes formés par nos rêves et nos imaginations. Les idées ont pris forme, consistance, réalité à partir des symboles et des pensées de nos intelligences . Mythes et idées sont revenus sur nous, nous ont envahis, nous ont donné émotion, amour , haine, extase, fureur. Quelle vitalité étonnante, et qui fait partie de nos vies, que celle de la noosphère ! C'est effectivement une partie de notre substance qui y vit. Nous sommes des êtres humains, non seulement par nos appartenances génétiques, anatomiques, psychiques, culturelles, sociales, mais parce que toutes ces appartenances ont ensemble nourri cette fabuleuse noosphère, et nous appartenons depuis nos origines d'homo sapiens/demens à cette noosphère qui nous appartient.
- L'idéalisme est le mythe naturel de l'idée. la rationalisation est l'arme magique de l'idée contre le réel. (M4-91)
- Je sais que les idées qui nous sont nécessaires pour connaître le monde sont en même temps ce qui nous camoufle le monde ou le défigure. Je sais que le regard du présent rétro-agit toujours sur le passé historique ou biographique qu'il examine. Je sais que nul n'est à l'abri du mensonge à soi-même.
- Comme pour dieu , nous sommes les serviteurs de l'idée qui nous sert. Comme pour un dieu , nous pouvons vivre et mourir pour une idée. Les idées nous manipulent plus que nous ne les manipulons. Au service de l'idée, les mots acquièrent pouvoir de vie et de mort. Ceux qui sont à la fois possédés par une idée et possesseurs d'un pouvoir ont l'opportunité de libérer ce qu'il y a de plus monstrueux en eux, dont la jouissance de torturer. (MD-94)
- Les idées forment des systèmes qui peuvent être clos ou bien ouverts. Ils comportent tous un noyau dur de croyances autour duquel gravitent des argumentaires de justification. (SH-98)
- Les idées existent par et pour l'homme, mais l'homme existe aussi par et pour les idées. Nous ne pouvons bien nous en servir que si nous savons aussi les servir. Ne faut-il pas prendre conscience de nos possessions pour pouvoir dialoguer avec nos idées, les contrôler autant quelles nous contrôlent et leur appliquer des tests de vérité et derreur ?
- Ce sont des idées qui nous permettent de concevoir les carences et les dangers de l'idée. D'où ce paradoxe incontournable : nous devons mener une lutte cruciale contre les idées, mais nous ne pouvons le faire qu'avec le secours des idées. Nous ne devons jamais oublier de maintenir nos idées dans leur rôle médiateur et nous devons les empêcher de s'identifier avec le réel. Nous ne devons reconnaître comme dignes de foi que les idées qui comportent l'idée que le réel résiste à l'idée. Telle est une tâche indispensable dans la lutte contre lillusion.
- Nous devons être bien conscients que, dès l'aube de l'humanité, s'est levée la noosphère, sphère des choses de lesprit, avec le déploiement des mythes, des dieux , et le formidable soulèvement de ces êtres spirituels a poussé, entraîné lhomo sapiens à des délires, massacres, cruautés, adorations, extases, sublimités inconnus dans le monde animal . Depuis cette aube, nous vivons au milieu de la forêt de mythes qui enrichissent les cultures.
- Issue tout entière de nos âmes et de nos esprits, la noosphère est en nous et nous sommes dans la noosphère. Les mythes ont pris forme, consistance, réalité à partir de fantasmes formés par nos rêves et nos imaginations. Les idées ont pris forme, consistance, réalité à partir des symboles et des pensées de nos intelligences . Mythes et Idées sont revenus sur nous, nous ont envahis, nous ont donné émotion, amour , haine, extase, fureur. Les humains possédés sont capables de mourir ou de tuer pour un dieu , pour une idée. Encore à laube du troisième millénaire, comme les daimons des Grecs et parfois comme les démons de l'Evangile, nos démons " idééls " nous entraînent, submergent notre conscience, nous rendent inconscients tout en nous donnant l'illusion d'être hyperconscients. (SSEF-00)
- La noosphère, milieu conducteur et messager de l'esprit humain, nous fait communiquer avec le monde tout en faisant écran entre nous et le monde. Elle ouvre la culture humaine au monde tout en l'enfermant dans sa nuée. Extrêmement diverse d'une société à l'autre, elle emmaillote toutes les sociétés.
- La noosphère est un dédoublement transformateur et tranfigurateur du réel qui se surimprime sur le réel, semble se confondre avec lui.
- La noosphère enveloppe les humains, tout en faisant partie d'eux-mêmes. Sans elle, rien de ce qui est humain ne pourrait s'accomplir. Tout en étant dépendante des esprits humains et d'une culture, elle émerge de façon autonome dans et par cette dépendance.
- Avec ses savoirs, ses mythes, ses croyances, ses idées, la noosphère participe de façon récursive à la boucle auto-organisatrice de la société et de l'individu. Ce n'est pas un dégagement de fumée, mais un bouillonnement de puissances spirituelles. (M5-01)
avec et contre les idées, avec et contre les mythes. (JL-81)