Compréhension/Incompréhension : - Il nous faut comprendre pourquoi nous ne comprenons pas. Savoir voir n'est pas seulement un problème de vision ou de perception : c'est un problème de pensée aussi.... Le même discours à la télévision pour les uns sera l'émanation de la vérité et du droit, pour les autres imposture et mensonge. Comment savoir ce qui est central ? Secondaire ? Vrai ? Faux ? (JL-81)

- Ce qu'il nous faut comprendre, ce n'est pas la culture en excluant la nature, ce n'est l'esprit en excluant le cerveau ; à l'inverse, nous ne pouvons comprendre notre nature en en excluant notre culture, notre cerveau en excluant notre esprit ; il nous faut concevoir l' "unidualité" complexe de notre être naturel-culturel, de notre cerveau-esprit, notre réalité à la fois naturelle et méta-naturelle, c'est-à-dire cosmo-physico-bio-anthropo-sociologique. (EP-93)

- La compréhension doit précéder le jugement, voire la condamnation. Comprendre : ce mot fait aussitôt sursauter ceux pour qui il faudrait avoir peur de comprendre de peur d'excuser. Donc il faudrait ne vouloir rien comprendre, comme si l'intelligence comportait un vice horrible, celui de conduire à la faiblesse, à l'abdication. Cet argument, l'un des plus obscurantistes qui soit, règne encore dans notre brillante intelligentsia… Ceux qui ne veulent pas comprendre condamnent la compréhension par ses conséquences, c'est-à-dire parce qu'elle empêcherait la condamnation. La compréhension tend en effet à empêcher le châtiment physique, mais elle n'empêche pas la condamnation morale puisqu'elle favorise le jugement intellectuel .

- La compréhension n'excuse ni n'accuse. Comprendre, c'est comprendre pourquoi et comment on hait et on méprise. L'éthique de la compréhension demande d'argumenter, de réfuter, au lieu d'excommunier et d'anathémiser. (MD-94)

- L'incompréhension domine sur la compréhension, la méchanceté sur la bonté, le rejet sur le regret. Sans cesse on transforme autrui en bouc émissaire, les mesquineries, les jalousies, les agressivités surpassent les bienveillances. Le monde intellectuel et universitaire - y compris et surtout celui des philosophes professionnels (qui devrait être exemplaire) - est une véritable jungle morale où les carnivores dévorent les herbivores, s'entr'attaquent, ou s'entre-lient pour liquider un gêneur... Les relations entre individus sont dans un sens pires que celles entre les peuples car la proximité, qui devrait permettre la compréhension, accroît l'incompréhension. (PC-97)

- La situation est paradoxale sur notre Terre. Les interdépendances se sont multipliées. La conscience d’être solidaires de leur vie et de leur mort lie désormais les humains les uns aux autres. La communication triomphe, la planète est traversée par des réseaux, fax, téléphones portables, modems, Internet. Et pourtant, l'incompréhension demeure générale. Il y a certes de grands et multiples progrès de la compréhension, mais les progrès de l’incompréhension semblent encore plus grands.

- Il y a deux compréhensions : la compréhension intellectuelle ou objective et la compréhension humaine intersubjective. Comprendre signifie intellectuellement appréhender ensemble, com-prehendere, saisir ensemble (le texte et son contexte, les parties et le tout, le multiple et l’un). La compréhension intellectuelle passe par l’intelligibilité et par l’explication. Expliquer, c'est considérer ce qu’il faut connaître comme un objet et lui appliquer tous les moyens objectifs de connaissance. L'explication est bien entendue nécessaire à la compréhension intellectuelle ou objective. La compréhension humaine dépasse l’explication. L'explication est suffisante pour la compréhension intellectuelle ou objective des choses anonymes ou matérielles. Elle est insuffisante pour la compréhension humaine. Celle-ci comporte une connaissance de sujet à sujet. Ainsi, si je vois un enfant en pleurs, je vais le comprendre, non en mesurant le degré de salinité de ses larmes, mais en retrouvant en moi mes détresses enfantines, en l'identifiant à moi et en m'identifiant à lui. Autrui n’est pas seulement perçu objectivement, il est perçu comme un autre sujet auquel on s’identifie et qu’on identifie à soi, un ego alter devenant alter ego. Comprendre inclut nécessairement un processus d'empathie, d'identification et de projection. Toujours intersubjective, la compréhension nécessite ouverture, sympathie, générosité.
- Les obstacles extérieurs à la compréhension intellectuelle ou objective sont multiples :
La compréhension du sens de la parole d'autrui, de ses idées, de sa vision du monde est toujours menacée de partout.
Il y a le "bruit" qui parasite la transmission de l'information , crée le malentendu ou le non-entendu. Il y a la polysémie d'une notion qui, énoncée dans un sens, est entendue dans un autre ; ainsi le mot " culture ", véritable caméléon conceptuel, peut signifier tout ce qui, n'étant pas naturellement inné, doit être appris et acquis ; il peut signifier les usages, valeurs, croyances d'une ethnie ou d'une nation ; il peut signifier tout ce qu'apportent les humanités, la littérature, l’art, la philosophie.
Il y a l'ignorance des rites et coutumes d’autrui, notamment des rites de courtoisie, qui peut conduire à offenser inconsciemment ou à se disqualifier soi-même à l'égard d'autrui.
Il y a l’incompréhension des Valeurs impératives répandues au sein d’une autre culture, comme le sont dans les sociétés traditionnelles le respect des vieillards, l’obéissance inconditionnelle des enfants, la croyance religieuse ou, au contraire, dans nos sociétés démocratiques contemporaines, le culte de l’individu et le respect des libertés.
Il y a l’incompréhension des impératifs éthiques propres à une culture, l’impératif de la vengeance dans les sociétés tribales, l’impératif de la loi dans les sociétés évoluées.
Il y a souvent l'impossibilité, au sein d'une vision du monde, de comprendre les idées ou arguments d'une autre vision du monde, comme du reste au sein d’une philosophie de comprendre une autre philosophie.
Il y a enfin et surtout l'impossibilité d'une compréhension d'une structure mentale à une autre.
- Les obstacles intérieurs aux deux compréhensions sont énormes ; ils sont non seulement l'indifférence mais aussi l’égocentrisme, l’ethnocentrisme, le sociocentrisme qui ont pour trait commun de se mettre au centre du monde et de considérer soit comme secondaire, insignifiant ou hostile tout ce qui est étranger ou éloigné.

- La compréhension d'autrui nécessite une conscience de la complexité humaine. Ainsi pouvons-nous puiser dans la littérature romanesque et le cinéma la conscience que l'on ne doit pas réduire un être à la plus petite partie de lui-même, ni au plus mauvais fragment de son passé. Alors que dans la vie ordinaire nous nous hâtons d’enfermer dans la notion de criminel celui qui a commis un crime, réduisant tous les autres aspects de sa vie et de sa personne à ce seul trait, nous découvrons dans leurs multiples aspects les rois gangsters de Shakespeare et les gangsters royaux des films noirs. Nous pouvons voir comment un criminel peut se transformer et se racheter comme Jean Valjean et Raskolnikov. Nous pouvons enfin y apprendre les plus grandes leçons de la vie, la compassion pour la souffrance de tous les humiliés et la véritable compréhension. (SSEF-00)

- Les phénomènes d'incompréhension sont terribles entre peuples et ils s'exaspèrent dès que surgit un conflit. Les individus n'ont pas acquis ce minimum d'aptitude à comprendre autrui. Paradoxalement, dans certains, cas, nous comprenons mieux les civilisations lointaines ou étrangères que nos propres voisins ou les membres de notre propre famille, car l'incompréhension règne d'abord chez nous. (VM-03)

- Trois démarches doivent être conjuguées pour engendrer la compréhension humaine : la compréhension objective, la compréhension subjective, la compréhension complexe... La compréhension complexe de l'être humain refuse de réduire autrui à un seul trait et le considère dans sa multidimensionnalité.

- Le travail de compréhension a quelque chose de terrible, parce que celui qui comprend se met en dissymétrie totale avec celui qui ne peut ou ne veut comprendre, et notamment avec le fanatique qui ne comprend rien, et qui ne comprend évidemment pas qu'on le comprend.

- La compréhension rejette le rejet, exclut l'exclusion.

- La compréhension porte en elle une potentialité de fraternisation qui nous invite à nous reconnaître comme enfants de la Terre-Patrie.

- L'incompréhension entretien la barbarie des rapports humains au sein de la civilisation. Tant que nous demeurerons tels, nous resterons des barbares et replongerons dans la barbarie. (M6-04)

Comprendre la compréhension : la compréhension est plus que l'explication. L'explication traite de la réalité humaine comme objet. La compréhension peut intégrer l'explication, mais elle comporte en elle une empathie de sujet à sujet. Nous ne pouvons pas connaître ni comprendre quelqu'un sans un effort d'empathie, d'identification ou de projection. Prenez le cas d'une personne qui pleure devant vous : vous n'avez nul besoin d'examiner le degré de salinité de ses larmes pour comprendre qu'elle souffre ! Et vous compatirez à son chagrin en le comprenant. C'est pourquoi l'amour et l'amitié entretiennent la compréhension d'autrui.
     Pourquoi est-ce que, pour moi, l'une des tâches intellectuelles et éthiques les plus importantes est d'enseigner la compréhension humaine ? C'est que l'incompréhension nous ravage. Elle a parfois régressé, par exemple à l'égard de nos proches voisins européens, mais elle redevient virulente pour l'adversaire dès qu'il y a guerre idéologique ou guerre tout court, quand l'autre est diabolisé et nous-mêmes sommes sanctifiés, quand le monde se partage entre l'empire du Mal et celui du Bien, chacun estimant bien entendu qu'il fait partie du Bien.
     L'individualisme, qui nous permettrait d'être plus compréhensifs face aux carences ou aux tares d'autrui, si nous étions conscients de nos propres tares et carences, au contraire nous pousse à nous autojustifier sans cesse, à reporter la faute sur autrui dès qu'il y a querelle ou scène de ménage. Nous occultons nos propres fautes comme si nous ne faisions que répondre à l'agression d'autrui. Ainsi se manifeste l'incompréhension au sein des familles, entre époux, entre enfants et parents, au sein des bureaux et dans les ateliers. La compréhension est à la fois moyen et fin de la communication humaine, elle est vitale pour que les relations humaines sortent de leur état barbare, et cela à tous les niveaux, aussi bien entre proches qu'avec des étrangers. Il n'y aura pas le moindre progrès humain s'il n'y a pas progrès de la compréhension. (MC-08) (MC-08)


Conscience : - C'est toujours ce qui éclaire qui demeure dans l'ombre. La conscience est quelque chose de global et d'indécis qui n'est pas isolable de l'ensemble des aptitudes et des activités de sapiens. Elle prend son essor la même où prolifèrent le mythe et la magie : dans la brèche qui s'est ouverte entre le sujet et l'objet, dans la frange d'interférence où se recouvrent l'imaginaire et le réel. Les racines de la conscience sont la reconnaissance de cette brèche et de cette frange, et la conscience naît dans une double dialectisation du sujet et de l'objet, de la vérité et de l'erreur.

- Le phénomène de conscience est à la fois extrêmement subjectif, car il porte très fortement en lui la présence affective du moi individuel, et extrêmement objectif, car il s'efforce de considérer objectivement, non seulement l'environnement extérieur (le monde) mais aussi le moi subjectif.

- La conscience n'est jamais assurée de surmonter l'ambiguïté et l'incertitude. De même qu'il n'y a aucun dispositif interne dans le cerveau qui distingue la vision hallucinatoire de la perception visuelle, de même il n'y a aucun dispositif dans la conscience qui distingue la "vraie" de la fausse conscience. Et ici encore la conscience est contrainte de s'adresser à la pratique, à l'expérience, à la nature , à la société pour s'autovérifier.

- La conscience n'est qu'un épiphénomène. Effectivement, c'est une lueur vacillante, sans cesse submergée par le flux pulsionnel, recouverte par le mythe ou le système rationalisateur, et son existence dépend du plein emploi, du plein épanouissement de l'hypercomplexité. Mais dans un autre sens la conscience peut être beaucoup plus qu'un épiphénomène; comme toute émergence, c'est-à-dire comme toute unité globale résultant des interrelations entre ses parties constitutives, elle est douée de qualités originales et d'une relative autonomie; elle nourrit en retour les éléments qui la nourrissent, elle intervient, sur les aptitudes et activités qui la font vivre, pour les stimuler, les développer et ainsi travaille à son auto-développement. Elle devient elle-même, dans ce sens auto-organisatrice, et aspire à se constituer en épicentre du cerveau, lequel est déjà l'épicentre de l'univers anthropologique. En effet, la conscience, en se développant, accroît ses compétences vérificatrices, acquiert un pouvoir de contrôle, et stimule les dépassements évolutifs, c'est-à-dire l'élaboration des méta-systèmes et des méta-organisations. Ces compétences, ces pouvoirs, ces aptitudes, elle les étend, en se développant, non seulement dans le champ de la connaissance, mais aussi dans celui de la décision, de l'action , du comportement.

- La conscience n'est pas la lumière qui éclaire l'esprit et le monde, mais c'est la lueur ou le flash qui éclaire la brèche, l'incertitude, l'horizon. Elle tend à éliminer l'erreur, mais pour illuminer l'errance. Elle n'apporte aucune solution permanente ou sui generis. Mais elle apparaît comme indispensable au véritable épanouissement de l'hypercomplexité, c'est-à-dire des possibilités non encore réalisés par sapiens. (PP-73)

- La conscience est la conquête ultime de l’humanité et par là même, la chose la plus fragile, la plus vacillante, capable d’égarements épouvantables... Donc nos sens peuvent s’égarer, mais notre conscience peut s’égarer encore plus . Pourtant c’est désormais ce dont nous avons sans doutebesoin pour survivre, ou pour éviter la catastrophe. (EAP-95)

- La conscience est l'émergence la plus remarquable de l'esprit humain. Produit/productrice d'une activité réflexive de l'esprit sur lui-même, sur ses idées, sur ses pensées, la conscience se confond avec cette réflexivité active. L'individu humain peut disposer de la conscience de soi, capacité à se considérer comme objet sans cesser demeurer sujet. Le plein développement de la pensée comporte sa propre réflexivité : la conscience peut porter sur l'être humain réfléchissant sur lui-même, et elle peut porter sur la connaissance elle-même, devenant connaissance de la connaissance.

- La conscience est en quelque sorte une réflexion dans les deux sens du terme : le premier est analogue au sens optique du miroir qui opère le dédoublement du réfléchissant en réfléchi, le second désigne le retour en boucle de l'esprit sur soi, via le langage. La conscience est donc à la fois toujours dédoublée sans cesser de demeurer une. C'est la boucle qui réunit le réfléchissant au réfléchi, les identife et établit cette unité dans la dualité d'une conscience de la conscience. C'est pourquoi elle nous est toujours à la fois évidente et mystérieuse.

- La conscience comporte deux branches incluses l'une dans l'autre en yin yang, la branche qui porte sur les activités vognitives ou pratiques, la branche de la conscience de soi; la conscience de soi demeure présente en veilleuse dans la conscience cognitive, laquelle est en éveil dans la conscience de soi. (M5-01)


Conscience écologique : - La conscience écologique est : - la conscience que l'environnement est un éco-système, c'est-à-dire une totalité vivante auto-organisée d'elle-même (spontanée) ; - la conscience de la dépendance de notre indépendance, c'est-à-dire de la relation fondamentale avec l'éco-système, laquelle nous entraîne à rejeter notre vision du monde-objet et de l'homme insulaire. Cette conscience remet ainsi profondément en cause l'orientation même de la civilisation occidentale qui a accompli son triomphe sur la base de trois principes organisateurs, qui deviennent aujourd'hui les principes de sa ruine : la séparation cartésienne de l'homme-sujet dans un univers d'objets à manipuler (fondement de l'humanisme moderne) ; la science conçue comme connaissance objective qui ne se soucie ni de son sens ni de sa fin, et qui, par là même, devient l'instrument des pouvoirs et des puissances ; enfin la conception bourgeoise, puis marxiste, de l'homme conquistador de la nature qui devient finalement, le Gengis Khan de la banlieue solaire.

- De même, la conscience écologique éclaire la face cachée de la science à sa manière. Il ne s'agit pas ici de dévaluer la science. Il s'agit de voir enfin l'autre visage obscur de la science. Tout ce qui a fondé la prodigieuse grandeur de la science, sa force de vérité, a aussi son envers. La science à la fois contribue au désastre écologique et anthropologique parce que, comme la technique, elle morcelle les problèmes et est devenue un pur instrument. Les savants atomiques ont été les premiers atomisés, rendus impuissants et terrifiés de leur impuissance. Le problème de la science doit enfin être, plus encore que repensé : pensé en fonction du développement .

- Ce que dévoile la conscience écologique, c'est une contradiction interne radicale au cœur vulgatique du développement . La croissance, dans ce mythe, était conçue non seulement comme le producteur, mais comme le régulateur interne du développement : elle devait par ses vertus résoudre les problèmes historiques fondamentaux de l'humanité, réduire puis dissoudre les conflits, antagonismes, créer donc dans son double mouvement producteur/régulateur une société harmonieuse.

- Enfin et surtout, la conscience écologique découvre que la croissance industrielle actuelle a un caractère fatal, si elle continue sa course exponentielle, c'est-à-dire vers l'infini, c'est-à-dire vers la mort. En effet, elle tend à ruiner l'éco-système par une exploitation insensée ; elle tend à assassiner par des injections de poison dans ses sources vives : l'eau, l'air, la terre. (ET-76)


Conscience planétaire : - En dépit des fixations particularistes, locales, ethnocentriques, en dépit de l'incapacité à contextualiser les problèmes (qui ne vient pas seulement des ruraux isolés, mais aussi des technocrates abstraits), en dépit des perceptions parcellaires, des visions unilatérales et des focalisations arbitraires, le sentiment qu'il y a une entité planétaire à laquelle nous appartenons, et qu'il y a des problèmes proprement mondiaux, se concrétise, portant en lui une évolution vers la conscience planétaire. Ainsi, de façon encore intermittente mais multiple, le global mind se développe. (TP-93)


Compromis : - Je sais qu'il faut faire des compromis avec l'horreur mais que ces compromis me font horreur. (MD-94)




Computation : - La computation comporte calcul et opérations logiques et elle permet la décision. Tout être cellulaire compute, à partir de son information génétique et à partir des informations qu'il extrait ou reçoit de son environnement, pour sa vie, sa survie, sa reproduction. Il compute de façon autoréférente et égocentrique. C'est ce que j'appelle le computo ou computation à la première personne, qui fonde à chaque instant l'autonomie d'un individu-sujet (la notion de sujet étant définie ici par l'autoréférence et l'occupation du site égocentrique par un computo(PSVS-81).

- C'est la computation qui extrait les informations de l'univers.(…) Les informations n'existent pas dans la nature ; nous transformons les événements en signes, nous arrachons l'information au bruit à partir des redondances. (IPC-90)




Confiance/Méfiance : - penser
de façon autonome, cela signifie réfléchir sa croyance et son incroyance, sa confiance et sa méfiance. La culture, qui devait nous permettre de penser
par nous-mêmes, nous fait trop souvent penser
"culturellement" de façon conventionnelle et stéréotypée, et ainsi, sans le savoir, nous sommes soumis aux croyances et incroyances établies, aux confiances et méfiances qui sont de règle. Il nous faut donc nous méfier de nos confiances, sans pour autant nous confier à nos méfiances. Nous devons aussi nous méfier de la méfiance, lorsque celle-ci devient soupçon généralisé contestant les assurances les plus fiables. Du reste, la méfiance absolue devient confiance absolue en la méfiance, et retombe dans l'excès de confiance, tout en demeurant excès de méfiance. Le vrai problème est celui du jeu à instaurer, de la communication à maintenir entre confiance et méfiance.

- La méfiance/confiance, cela signifie ni se soumettre automatiquement ni récuser automatiquement les arrêts et jugements des autorités (politiques, intellectuelles, scientifiques, techniques…). Certes, dans bien des cas, nous ne pouvons vérifier, et nous sommes livrés à nos confiances et nos méfiances. Ce que nous pouvons faire, c'est être conscients de notre dispositif de méfiances/confiances, tenter de bien le connaître, le mettre à chaque occasion à l'épreuve, et comprendre que, dans l'embarras, nous devons être prudents à l'égard de l'une et de l'autre.

- Nous naissons dans des réseaux de confiances/méfiances - les familles - et notre développement d'enfant nous apprendra à relativiser la confiance absolue que nous portions aux parents. Nous nous créons de nouveaux réseaux de confiance/méfiance à l'école, dans le travail, avec les amis. Nous faisons confiance aux uns, nous nous méfions des autres, et, là aussi, sans doute sommes nous très naïfs, pas seulement dans notre confiance mais dans notre méfiance. [...] Nous élisons un journal, auquel nous faisons confiance. Nous sommes convaincus par le grand penseur à qui nous faisons confiance. Et le maître, lui, nous désigne ceux dont nous nous méfions irrévocablement, même lorsque nous aurons perdu confiance en lui. Nous avons ontologiquement confiance en l'être aimé, mais voici que si nous sommes jaloux, nous sommes rongés par la méfiance ontologique. Il n'est nul lieu, nulle situation, nul problème où nous puissions échapper au problème de la méfiance/confiance ; c'est toute notre existence qui tisse autour de nous, pour percevoir, concevoir, agir, des réseaux de confiance/méfiance. On ne peut vivre, ni dans la confiance généralisée, qui nous fait dupes de tout, ni dans la méfiance généralisée qui nous fait croire au complot de tous pour nous duper. (PSVS-81)


Confédération : - Comment organiser la planète ? Il s'agit non pas de rêver à un gouvernement mondial et à l'abolition des Etats mais d'envisager une confédération de confédérations des nations associées, disposant chacune d'un Etat autonome, dotée bien entendu d'instances planétaires pour les problèmes vitaux qui sont, évidemment, des problèmes mortels. D'où la nécessité du double mot d'ordre : autonomie/association.

- L'idée confédérative est de valeur non seulement européenne mais universelle. Un premier dépassement des Etats-nations ne peut être obtenu que par la confédération, qui respecte les autonomies en supprimant l'omnipotence. L'Europe, qui a forgé sa puissance et produit sa déchéance à travers les guerres entre ses Etats, est aujourd'hui apte à effectuer le premier dépassement confédéral. L'idéal à annoncer au monde n'est plus l'indépendance des nations, c'est la confédération des nations, qui leur assure l'autonomie dans l'interdépendance. De nombreux principes et modèle d'organisation pourraient et devraient être examinés ou plutôt inventés, avec pour finalité ultime la confédération terrienne.

- Le monde confédéré doit être polycentrique et acentrique, non seulement politiquement, mais aussi culturellement. L'Occident qui se provincialise ressent en lui un besoin d'Orient, tandis que l'Orient qui s'occidentalise tient à demeurer lui-même. Une dialogique des idées doit désormais complémentariser Orient et Occident, avec en commun la conscience de l'absence de fondements. (PC-97)


Connaissance / Ignorance - Connaître : - Nous avons besoin d'un principe de connaissance qui non seulement respecte, mais révèle le mystère des choses. (M1-77)

- On a cru que la connaissance avait un point de départ et un terminus ; aujourd'hui je pense que la connaissance est une aventure spiraloïde qui a un point de départ historique, mais qui n'a pas de terminus, qui doit sans cesse faire des cercles concentriques. (AEM-80)

- Connaître, c'est être capable de distinguer, puis de relier ce qui a été distingué.

- Toute connaissance gagnée sur l'ignorance débouche sur un océan d'inconnaissance. Ainsi l'aventure de la connaissance est amenée à progresser indéfiniment, bien que et parce que faisant progresser indéfiniment l'ignorance.

- La connaissance scientifique, et surtout elle, n'apporte pas de certitude théorique absolue : c'est la connaissance religieuse qui prétend l'apporter ; la science est beaucoup plus changeante que la théologie. Une théorie est scientifique, non parce qu'elle est "vraie" de façon définitive, mais parce qu'elle est réfutable, offrant prise à la démonstration de sa fausseté. Kuhn a montré que la science progresse, non pas dans une ascension continue, mais de façon révolutionnaire, par transformation des principes d'explication ou paradigmes. (PSVS-81)

- L'univers que nous connaissons, ce n'est pas l'univers sans nous, c'est l'univers avec nous. Nous connaissons bien des choses objectives de l'univers, c'est-à-dire des choses qui sont vérifiées par l'observation et par l'expérimentation. Mais ces choses objectives sont inscrites dans des théories qui sont structurées et élaborées par nos esprits : on ne peut pas prétendre connaître un univers non humain. Notre connaissance la plus objective est aussi quelque chose d'humain, de culturel et d'inscrit dans un temps. Ainsi nous ne pouvons pas nous désolidariser de l'univers bien que nous puissions nous distinguer de l'univers. Je suis donc d'accord et je généralise ce principe d'une certaine physique : on ne peut pas concevoir l'observation en excluant l'observateur. Dans tous les domaines, sociologique, historique, l'observateur doit être inclus dans l'observation.

- Les progrès de la connaissance ne sont pas du tout des régressions de l'ignorance, mais comportent la création d'une nouvelle ignorance. Cette nouvelle ignorance diffère de l'ancienne parce que nous savons que c'est de l'ignorance. Notre conscience de l'ignorance fait que l'ignorance dont nous sommes conscients n'est pas la même que celle dont nous sommes inconscients.

- Avant nous étions des prétentieux. Aujourd'hui nous savons que le savoir chemine aux frontières de l'indicible, de quelque chose qui échappe sans doute à notre logique. Le plus émouvant dans l'idée de recherche, c'est de frôler les limites de l'indicible.

- Le rêve fou de la connaissance, c'est d'homogénéiser l'univers. C'est un rêve qui a toujours hanté la connaissance. C'est vouloir que derrière le multiple et le divers il y ait l'un monotone mais cet un, finalement, c'est le néant. C'est bien ce qu'avait vu la philosophie de l'Inde n'est-ce pas ? On ne peut pas dire que l'hétérogène, le multiple, le changeant, le provisoire soient dans le domaine des apparences alors que la réalité c'est l'un, l'éternel, l'essence. C'est une vision fausse. Les deux sont vrais à la fois. (SCC-84)

- N'est-ce pas avoir acquis une première connaissance fondamentale que celle-ci : la connaissance ne saurait être assurée d'un fondement ? Cela ne nous inciterait-il pas à abandonner la métaphore architecturale, où le mot "fondement" prend un sens indispensable, pour une métaphore musicale de construction en mouvement qui transformerait dans son mouvement même les constituants qui la forment ? Et n'est-ce pas aussi comme construction en mouvement que nous pourrions envisager la connaissance de la connaissance ?

- En même temps qu'il édifie une vertigineuse Tour de Babel des connaissances, notre siècle effectue une plongée plus vertigineuse encore dans la crise des fondements de la connaissance.

- L'inconscience des limites de la connaissance était la plus grande limite de la connaissance. L'idée que notre connaissance est illimitée est une idée bornée. L'idée que notre connaissance est bornée à des conséquences illimitées.

- La connaissance des limites de la connaissance fait partie des possibilités de la connaissance et elle accomplit cette possibilité. Elle dépasse les limites de la connaissance bornée qui se croyait illimitée.

- Notre esprit doit savoir qu'il est capable de former les plus audacieuses conceptions et de résoudre les problèmes apparemment insolubles ; mais il doit savoir en même temps qu'il n'y a pas de solution à priori au problème du vrai, qu'il n'y a pas de connaissance absolue, et que l'inconcevable est à l'horizon de toute connaissance. Il doit savoir que la connaissance ne s'achève pas, mais s'inachève sur l'ombilic liant à l'inconnu et peut-être à l'inconnaissable.

- La conscience de l'inachèvement du savoir est certes bien répandue, mais nous n'en avons pas tiré les conséquences. Ainsi, nous construisons nos œuvres de connaissance comme des maisons avec leur toit, comme si la connaissance n'était pas à ciel ouvert ; nous continuons à faire des œuvres closes, fermées au futur qui fera surgir le nouveau et l'inconnu, et nos conclusions apportent la réponse assurée à l'interrogation initiale, avec seulement in extremis, dans les œuvres universitaires, quelques interrogations nouvelles.

- Dans un sens, la connaissance humaine est la plus fermée possible puisque le monde extérieur ne lui parvient que sous forme des traductions de traductions de traductions que sont les représentations, mots, idées et théories. Mais, en même temps, cette connaissance est la plus ouverte possible sur toutes choses de ce monde et sur ce monde lui-même, non seulement par ce qui l'ouvre, c'est-à-dire les curiosités, les vérifications, les communications, mais aussi par ce qui la ferme, c'est-à-dire le langage, les idées, les théories. Ainsi la connaissance humaine est ouverte dans ce qui la ferme et fermée dans ce qui l'ouvre. Mais du coup, elle risque sans cesse de s'enfermer dans les croyances et opinions lorsque les idées et les théories perdent la communication avec leur référents….

- Dans la crise des fondements et devant le défi de la complexité du réel, toute connaissance aujourd'hui a besoin de se réfléchir, reconnaître, situer, problématiser. Le besoin légitime de tout connaissant, désormais, où qu'il soit et quel qu'il soit, devrait être : pas de connaissance sans connaissance de la connaissance. (M3-86)

- ... de Galilée à Einstein, de Laplace à Hubble, de Newton à Bohr, nous avons perdu le trône d'assurance qui mettait notre esprit au centre de l'univers : nous avons appris que nous sommes, nous autres citoyens de la planète Terre, les banlieusards d'un soleil de banlieue lui-même exilé à la périphérie d'une galaxie périphérique d'un univers mille fois plus mystérieux que nul ne l'aurait imaginé il y a encore un siècle. Le progrès des certitudes scientifiques produit donc un progrès de l'incertitude. Mais c'est une «bonne » incertitude qui nous délivre d'une illusion naïve et nous éveille d'un rêve légendaire : c'est une ignorance qui se connaît comme ignorance. Et ainsi, aussi bien les ignorances que les connaissances issues du progrès scientifique apportent un éclairage irremplaçable aux problèmes fondamentaux que l'on dit philosophiques.

- Le poète Eliot disait : «Quelle est la connaissance que nous perdons dans l'information et quelle est la sagesse que nous perdons dans la Connaissance ?» Il voulait dire que par là que la Connaissance n'est pas harmonie ; elle comporte différents niveaux qui peuvent se combattre et se contredire eux-mêmes Connaître comporte «information », c'est-à-dire possibilité de répondre à des incertitudes. Mais la connaissance ne se réduit pas à des informations ; la connaissance à besoin de structures théoriques pour pouvoir donner sens aux informations ; et alors on se rend compte que si nous avons trop d'informations et pas assez de structures mentales, l'excès d'informations nous plonge dans un «nuage d'inconnaissance», ce qui nous arrive fréquemment quand nous écoutons la radio ou lisons nos journaux.

- Les connaissances et la Connaissance ne s'identifient pas. Le progrès des connaissances spécialisées qui ne peuvent communiquer les unes avec les autres entraîne une régression de la connaissance générale ; les idées générales qui restent sont des idées absolument creuses et abstraites ; et on a le choix entre des idées spécialisées, opérationnelles et précises, mais qui ne nous informent en rien sur le sens de nos vies, et des idées absolument générales, mais qui n'ont plus aucune prise avec le réel. Ainsi, le progrès des connaissances entraîne une dislocation de la connaissance, la destruction de la connaissance-sagesse, c'est-à-dire d'une connaissance qui soit un aliment à notre vie et contribue à nous bonifier nous-mêmes. Une connaissance unidimensionnelle peut, si elle aveugle les autres dimensions de la réalité, apporter par là même de l'aveuglement. Autrement dit : une vision de la société qui ne verrait dans la société que les phénomènes économiques, par exemple, serait une vision unidimensionnelle qui oublierait les autres problèmes sociaux, les problèmes de classe, les problèmes d'Etat, les problèmes psychologiques et les problèmes d'individus. Et, d'autre part, y a-t-il différents ordres de connaissances (philosophiques, poétiques, scientifiques) ou une seule Connaissance, un seul ordre vrai ? Pendant des siècles, l'ordre vrai de la Connaissance était la Théologie. Et aujourd'hui l'ordre vrai de la Connaissance s'appelle science ; c'est du reste pour cette raison que toute volonté de monopoliser la Vérité prétend détenir la «vraie» science.

- ... il nous faut comprendre que les progrès de la Connaissance ne peuvent être identifiés avec l'élimination de l'ignorance. Ils doivent être liés avec un progrès de l'ignorance. Nous sommes dans un nuage d'inconnaissance et d'incertitude, et la connaissance a produit ce nuage ; on peut dire que la production de ce nuage est un des éléments du progrès à condition qu'on le reconnaisse. Autrement dit : connaître, c'est négocier, travailler, discuter, se battre avec l'inconnu qui se reconstitue sans cesse, car toute solution à un problème produit une nouvelle question. (SC-90)

- La culture est dans les esprits, vit dans les esprits lesquels sont dans la culture, vivent dans la culture. Mon esprit connaît à travers ma culture, mais, dans un sens, ma culture connaît à travers mon esprit. Ainsi donc, les instances productrices de la connaissance se co-produisent les unes les autres; il y a unité récursive complexe entre producteurs et produits de la connaissance, en même temps qu'il y a relation hologrammatique entre chacune des instances productrices et produites, chacune contenant les autres, et, dans ce sens, chacune contenant le tout en tant que tout.

- La connaissance donne pouvoir. L'information contrôle l'énergie et la computation contrôle l'information . On peut donc comprendre, d'une part, que la connaissance produise un pouvoir propre dans la société et, d'autre part, que le pouvoir politique s'efforce de contrôler le pouvoir de la connaissance. Le pouvoir des anciens ou des sages, celui des sorciers ou des guérisseurs, dans les sociétés archaïques, est un pouvoir de connaissants. Ce pouvoir tend à monopoliser la connaissance, pour conserver le monopole de son pouvoir, et ainsi la connaissance devient secrète, ésotérique. Ainsi donc, Grands Prêtres, Initiés, Universitaires, Scientifiques, Experts, Spécialistes tendent à constituer des castes arrogantes, disposant de privilèges et de pouvoirs.

- "La connaissance dit Wojchievchowski, est le plus puissant producteur d'inégalités entre les hommes". Il faut certes tempérer ce jugement mais il faut aussi reconnaître que là où elle ne crée pas l'inégalité, la connaissance contribue souvent à tout ce qui crée et maintient l'inégalité. Bien entendu, elle ne se réduit pas à ce rôle, et par ailleurs contribue à détruire d'anciennes hiérarchies, à subvertir l'ordre établie et joue un rôle révolutionnaire. Le problème est alors de savoir si elle modifie la structure inégalitaire de la société, ou si elle produit de nouvelles inégalités. Au cœur donc des problèmes sociaux clés du pouvoir, de la hiérarchie, de l'inégalité, il y a le problème de la connaissance.

- … on peut se demander si le destin même de la connaissance humaine n'est pas en train de se jouer à nouveau… Nous sommes à l'aube d'un formidable développement en réseaux de la cérébralité artificielle, et, dans ce sens, nous sommes aussi à l'aube d'un nouvel âge de la connaissance. (M4-91)

- Une connaissance qui isole son objet le mutile et le trahit. L'erreur la plus grande, c'est d'isoler l'individu par rapport à la société, la croissance économique par rapport à l'environnement, un système par rapport à son écosystème. L'affirmer, ce n'est pas apporter une paralysie, c'est au contraire apporter une lucidité. Bien entendu on ne pourra pas saisir l'ensemble des interactions entre tout et tout, mais il faut en être conscient. Une telle conscience donne des moyens pour une connaissance et une action plus pertinentes. (LM-91)

- Toute connaissance suppose à la fois séparation et communication. Aussi les possibilités et les limites de la connaissance relèvent du même principe : ce qui permet notre connaissance limite notre connaissance et ce qui limite notre connaissance permet notre connaissance. La connaissance de la connaissance permet de reconnaître les sources d'incertitude de la connaissance et les limites de la logique déductive-identitaire. Le surgissement de contradictions et d'antinomies dans un développement rationnel nous signale les nappes profondes du réel.

- La connaissance est la voie nécessaire pour arriver à la docte ignorance, celle qui se connaît comme ignorance à partir de sa science, celle qui frémit aux frontières de l'indicible, de l'impensable et où l'invisible nous arrose alors de ses rayons.

- Les explications mythiques, religieuses et rationalistes nous occultent l'inexplicable qu'elles portent pourtant en elles. La science qui croit tout éclairer aveugle. Or la science véritable est celle qui arrive à la connaissance de l'ignorance.

- Plus on va vers le connu, plus on va vers l'inconnaissable. La nouvelle connaissance conduit à la nouvelle ignorance. La compréhension conduit à l'incompréhensible. (MD-94)

- Je crois qu’il nous faut réintroduire le mystère dans la connaissance, et non pas Dieu … Je pense qu’il faut réintroduire le mystère dans la connaissance et mieux dans toute connaissance, y compris la connaissance politique. Aujourd’hui, nous avons besoin en politique d’une connaissance qui sache intégrer en elle l’inconnue de l’avenir du monde, c’est à dire le fait qu’on n’a plus de prise sur lui, qu’il n’y a plus cette idée de progrès où l’on savait où on allait... Quelque chose échappe à notre esprit : même le présent n’est pas vraiment connu. En politique, cette idée est aussi très importante : rétablir le jeu avec l’inconnu. J’aime beaucoup Jean de la Croix qui dit : " Plus on sait, moins on sait ". Les deux choses sont vraies : plus on sait, plus on découvre une nouvelle ignorance. (EAP-95)

- Il n'y a de connaissance pertinente que si on est capable de contextualiser son information , de la globaliser et de la situer dans un ensemble. Or, notre système de pensée, qui imprègne l'enseignement de l'école primaire à l'université, est un système qui morcelle la réalité et rend les esprits incapables de relier les savoirs compartimentés en disciplines . Cette hyperspécialisation des connaissances, qui mène à découper dans la réalité un seul aspect, peut avoir des conséquences humaines et pratiques considérables dans le cas, par exemple, des politiques d'infrastructures, qui négligent trop souvent l'environnement social et humain. Elle contribue également à déposséder les citoyens des décisions politiques au profit des experts. (LFM-97)

- Le plus grand apport de connaissance du XX siècle a été la connaissance des limites de la connaissance.

- Derrière le défi du global et du complexe, se cache un autre défi, celui de l'expansion incontrôlée du savoir. L'accroissement ininterrompu des connaissances édifie une gigantesque tour de Babel, bruissant de langages discordants. La tour nous domine parce que nous ne pouvons pas dominer nos savoirs. T.S. Eliot disait : «Où est la connaissance que nous perdons dans l'information ?» La connaissance n'est connaissance qu'en tant qu'organisation, mise en relation et en contexte des informations. Les informations constituent des parcelles de savoir dispersées. Partout, dans les sciences comme dans les médias, nous sommes submergés par les informations. Le spécialiste de la plus étroite discipline ne peut même pas arriver à prendre connaissance des informations consacrées à son domaine. De plus en plus, la gigantesque prolifération de connaissances échappe au contrôle humain. De plus.... les connaissances morcelées ne servent qu'à des utilisations techniques. Elles n'arrivent pas à se conjuguer pour nourrir une pensée qui puisse considérer la situation humaine, au sein de la vie, sur terre, dans le monde, et qui puisse affronter les grands défis de notre temps. Nous n'arrivons pas à intégrer nos connaissances pour la conduite de nos vies. D'où le sens de la seconde partie de la phrase d'Eliot : «Où est la sagesse que nous perdons dans la connaissance ?»

- Le savoir est devenu de plus en plus ésotérique (accessible aux seuls spécialistes) et anonyme (quantitatif et formalisé). De même la connaissance technique est réservée aux experts, dont la compétence dans un domaine clos s'accompagne d'une incompétence lorsque ce domaine est parasité par des influences extérieures ou modifié par un événement nouveau. Dans de telles conditions, le citoyen perd le droit à la connaissance. Il a le droit d'acquérir un savoir spécialisé en faisant les étude ad hoc, mais il est dépossédé en tant que citoyen de tout point de vue englobant et pertinent. S'il est encore possible de discuter au café du commerce de la conduite du char de l'Etat, il n'est plus possible de comprendre ce qui déclenche le krach asiatique comme ce qui empêche ce krach de provoquer une crise économique majeure, et du reste les experts eux-mêmes sont profondément divisés sur le diagnostic et la politique économique à suivre.

- Une tête bien faite est une tête apte à organiser les connaissances et par là éviter leur accumulation stérile. Toute connaissance constitue à la fois une traduction et une reconstruction, à partir de signaux, signes, symboles, sous forme de représentations, idées, théories, discours. L'organisation des connaissances.... comporte des opérations de reliance (conjonction, inclusion, implication) et de séparation (différenciation, opposition, sélection, exclusion). Le processus est circulaire, passant de la séparation à la reliance, de la reliance à la séparation, et, au-delà, de l'analyse à la synthèse, de la synthèse à l'analyse. Autrement dit, la connaissance comporte à la fois séparation et reliance, analyse et synthèse.

- Il y a dans la connaissance trois principes d'incertitude : - le premier est cérébral : la connaissance n'est jamais un reflet du réel, mais toujours traduction et reconstruction, c'est-à-dire comportant risque d'erreur ; - le second est psychique : la connaissance des faits est toujours tributaire de l'interprétation ; - le troisième est épistémologique : il découle de la crise des fondements de certitude en philosophie (à partir de Nietzsche) puis en science (à partir de Bachelard et Popper). Connaître et penser
, ce n'est pas arriver à une vérité absolument certaine, c'est dialoguer avec l'incertitude. (TBF-99)

- Nous vivons une époque paradoxale. A l'ère de l'information, les savoirs prolifèrent, mais nous voyons que partout la connaissance se dégrade. On en sait plus dans tous les domaines. Mais plus il y a de connaissance, moins il y a de sagesse, comme si nous ne parvenions plus à tirer le sens de l'ensemble. On le voit partout, dans les sciences de la vie, les biotechnologies, etc. Pour en sortir, nous devons retrouver une manière de réintégrer la complexité dans l'approche scientifique, de relier les connaissances entre elles. (MQS-00)

- Une connaissance n'est pas un miroir des choses ou du monde extérieur. Toutes les perceptions sont à la fois des traductions et reconstructions cérébrales à partir de stimuli ou signes captés et codés par les sens. D’où, nous le savons bien, les innombrables erreurs de perception qui nous viennent pourtant de notre sens le plus fiable, celui de la vision. A l'erreur de perception s'ajoute l'erreur intellectuelle . La connaissance, sous forme de mot, d’idée, de théorie, est le fruit d’une traduction/reconstruction par les moyens du langage et de la pensée et, par là, elle connaît le risque d’erreur. Cette connaissance, à la fois en tant que traduction et en tant que reconstruction, comporte de l'interprétation, ce qui introduit le risque d'erreur à l’intérieur de la subjectivité du connaissant, de sa vision du monde, de ses principes de connaissance. D’où les innombrables erreurs de conception et d’idées qui surviennent en dépit de nos contrôles rationnels. La projection de nos désirs ou de nos craintes, les perturbations mentales qu’apportent nos émotions multiplient les risques d’erreurs.

- De même que l'oxygène tuait les êtres vivants primitifs jusqu'à ce que la vie utilise ce corrupteur comme détoxifiant, de même l'incertitude, qui tue la connaissance simpliste, est le détoxifiant de la connaissance complexe. De toute façon, la connaissance reste une aventure pour laquelle l’éducation doit fournir les viatiques indispensables. (SSEF-00)


Continue/discontinue : - Nous ne pouvons en rien adopter soit une conception continuiste, soit une conception purement discontinuiste. Et d'ailleurs, l'exemple discontinuiste fort célèbre, à savoir celui des ondes-corpuscules révélés par Niels Bohr a été présenté dans une grande généralité par son inventeur lui-même. Car, lorsque nous pensons l'individu et l'espèce, l'individu est discontinu et l'espèce est continue ; quand nous pensons l'individu et la société, l'individu est discontinu et la société est continue...Nous sommes en permanence obligés d'unir le continu et le discontinu ; là s'inscrit l'importance de la pensée dialogique . (EAP-95)


Contradiction : - Je n'ai pas modifié ma vision du monde. J'ai modifié ou plutôt déplacé mon angle de vision. Tout s'axait autour de la totalité, tout s'axe désormais autour de la relativité et de la contradiction. (VS-69)

- Le surgissement de la contradiction opère l'ouverture d'un cratère dans le discours sous la poussée des nappes profondes du réel… Elle constitue à la fois le dévoilement de l'inconnu dans le connu, l'irruption d'une dimension cachée, l'émergence d'une réalité plus riche, et elle révèle à la fois les limites de la logique et la complexité du réel.

- Aujourd'hui, tout ce que je pense peut à la fois s'exprimer de façon paradoxale ou antinomique tout en s'explicitant de façon rationnelle. Par exemple : la civilisation contient aussi la barbarie; la raison contient aussi la déraison; l'un contient aussi l'autre; le parfait est monstrueux; l'ordre contient aussi le désordre; les intellectuels critiquent les mythes et produisent les mythes; le progrès de la connaissance fait progresser le mystère etc.

- Je sais que la contradiction demeure et demeurera au cœur de l'action , de l'éthique et de la politique.

- Les contradictions sont inhérentes à ma vision, à mon sentiment et à ma conception du monde. Je retourne sans cesse aux contradictions-mères d'Héraclite : l'union de l'union et de la désunion, de l'accord et de la discorde, vivre de mort, mourir de vie. (MD-94)


Cosmogénèse : - Il y a un grand jeu cosmogénésique du désordre, de l'ordre et de l'organisation. On peut dire jeu parce qu'il y a les pièces du jeu (éléments matériels), les règles du jeu (contraintes initiales et principes d'interaction) et le hasard des distributions et des rencontres. Ce jeu au départ est limité à quelques types de particules opérationnelles, viables, singulières et à peut-être seulement quatre types d'interaction. Mais de même qu'à partir d'un très petit nombre de lettres se constitue la possibilité de combiner des mots, puis des phrases, puis des discours, de même à partir de quelques particules de "base" se constituent, via interaction/rencontres, des possibilités combinatoires et constructives qui donneront 92 sortes d'atomes, à partir desquels peuvent, par combinaison/construction, se constituer un nombre quasi illimité de molécules dont des macro-molécules qui, en se combinant, permettrons le jeu quasi illimité des possibilités de vie. Le jeu est donc de plus en plus varié, de plus en plus aléatoire, de plus en plus riche, de plus en plus complexe, de plus en plus organisateur... Là encore le jeu produit de la diversité. Ainsi se poursuit le jeu du monde ; il permet des développements locaux, insulaires d'ordre et d'organisation, inséparables des développements de la diversité. (M1-77)


Cosmos / Univers : - Ce qui constituait le squelette et l'architecture de l'univers devient archipels dérivant dans une dispersion sans structure. L'ancien univers était une horloge parfaitement réglée. Le nouvel univers est un nuage incertain. L'ancien univers contrôlait et distillait le temps. Le nouvel univers est emporté par le temps ; les galaxies sont des produits, des moments dans un devenir contradictoire. Elles se forment, titubent, se fuient, se tamponnent, se dispersent.

- C'est à partir de la crise de la physique classique, mais dans un cadre conceptuel enfin régénéré que nous pouvons régénérer un univers qui ne soit pas pour autant l'ancien univers "enchanté". C'est un univers réunifié, dont l'unité est plus profonde que l'ancienne homogénéisation de la physique classique, puisque c'est l'unité du cosmos, physis et chaos, unité de singularité, de genèse, de générativité, de phénoménalité. Cet univers demeure Un, bien qu'éclaté, multiple, polycentrique, et divers ; il produit de lui-même désordre, ordre, organisation, dispersion et diversité. L'unité de l'univers est donc l'unité complexe. Cet univers n'exclut pas le singulier par le général, n'exclut pas le général par le singulier : l'un au contraire inclut l'autre : l'univers produit ses lois générales à partir de sa propre singularité. C'est un univers enrichi : la matière n'est pas l'essence ultime de cet univers, elle est un aspect, qui prend consistance avec l'organisation. C'est un univers réanimé, en mouvement, en action , en transformation, en devenir. Il n'est rien dans l'univers qui ne soit temporel, il n'est aucun élément, depuis la particule jusqu'au composant le plus stable d'un système stable, qui ne puisse être conçu comme événement, c'est-à-dire quelque chose qui advient, se transforme, disparaît. (M1-77)

- Le cosmos semble être à la fois univers et événement. Il est univers (physique) constitué par des traits constants réguliers, répétitifs, et il est événement par son caractère singulier et phénoménal ; dans ce dernier sens, l'univers est un événement qui évolue depuis plus de dix milliards d'années. De par ce caractère, le temps apparaît, non seulement comme indissolublement lié à l'espace, comme l'avait démontré la théorie einsténienne, mais comme lié indissolublement à l'avènement-événement du Monde. De plus l'origine de l'univers, à partir d'un état préalable (rayonnement ? unité originaire ?), ne peut être conçue à nos yeux, autrement que comme l'événement à l'état pur parce que ni logiquement concevable ni statistiquement pensable. Il est remarquable que le caractère événementiel du monde n'empêche nullement qu'il obéisse à des relations nécessaires, mais ces relations nécessaires n'excluent nullement accidents et événements, comme les explosions d'étoiles ou les tamponnements de galaxies. (SC-90)

- L'homme est intégralement l'enfant du Cosmos; les particules qui constituent ses atomes se sont formées dans les premières secondes de l'Univers, ses atomes se sont forgés dans les entrailles furieuses de soleils antérieurs au nôtre, ses molécules se sont assemblées dans les convulsions de notre planète en gestation, et enfin ses macromolécules se sont associées dans les tourbillons d'une "soupe primitive" pour former le premier être cellulaire. L'homme, comme tous les autres vivants, est enfant et héritier de ce premier être, lequel, multiplié et transformé, continue à vivre en lui. D'autre part, ce Cosmos mystérieux dont nous sommes intégralement les enfants n'est plus une mécanique implacable animée par un mouvement perpétuel, ce n'est plus seulement un espace/temps anonyme, c'est un monde singulier, issu d'une source génésique inconcevable, où l'auto-organisation et la complexification, si minoritaires soient-elles, sont à l'œuvre, et où sont liées de façon complémentaire et antagoniste création et destruction. (EP-93)

- Notre univers est catastrophique dès le départ. Depuis la déflagration formidable qui l'a fait naître, il est dominé par les forces de dislocations, de désintégrations, de collisions, d'explosions, de destruction. Il s'est constitué dans et par le génocide de l'anti-matière par la matière, et son aventure terrifiante se poursuit dans des dévastations, carnages et dilapidations inouïes. L'issu est impitoyable. Tout mourra. Dans ce désastre effroyable, sont apparues de faibles forces d'association et d'agrégation qui ont profité des rencontres innombrables au cours du tohu-bohu pour lier les particules en noyaux, puis atomes et astres. Mais les milliards de galaxies ne constituent que des minorités isolées et perdues dans un désordre et un vide incommensurables. (MD-94)

- Sans cesse j'essaie d'imaginer l'inimaginable, de concevoir l'inconcevable : la naissance de l'univers…. Comme tout ce qui est auto-production est auto-éco-production, le monde n'a pu s'auto-produire et s'auto-organiser qu'en se nourrissant du néant, ou vide hors temps et hors espace, et qu'en intégrant en lui, de façon contradictoire et nécessaire, un aspect, une dimension, une part de ce vide ou néant. D'où dans les philosophies hindouistes et bouddhistes, la faible réalité de notre réalité qu'elles nommeront maya ou samsara, et très souvent, chez chacun de nous, le sentiment du vide dans ce qui pourtant est seul capable de nous donner la plénitude, l'existence. Comme le monde s'est crée à partir du néant (qui est en même temps plénitude) il porte en lui à la fois néant et plénitude. Soudain on voit le vide, le Rien l'Etre, et soudain aussi l'on ressent la plénitude infinie de vivre. (PARC-96)

- Je crois que toutes les civilisations, toutes les communautés ont eu une conception du monde et le souci de situer, d'inscrire les humains dans le cosmos. Or, nous avons affaire, depuis une quarantaine d'années, à un monde singulièrement nouveau. Et nous devons nous situer dans ce monde, duquel nous ne sommes évidemment qu'une minuscule partie. Mais le paradoxe est que si cette partie se trouve dans un tout gigantesque, le tout se trouve en même temps à l'intérieur de ces infimes parties que nous sommes, car ce qui nous est le plus extérieur, c'est-à-dire les particules, qui se sont constituées au début de l'univers, ces atomes qui se sont forgés dans des étoiles, ces molécules qui se sont constituées sur la Terre ou ailleurs... tout cela est aussi à l'intérieur de nous. De la provient cette situation paradoxale que nous devons de plus en plus assumer. Nous sommes des enfants du cosmos et en même temps, comme le disait Jacques Monod, nous y sommes des «tsiganes». Nous en sommes distants et distincts par notre culture, par notre esprit, par notre pensée, par notre conscience, et c'est cette distanciation qui nous permet d'essayer de le connaître et de l'interroger. Je pense que cette double relation qui nous inscrit dans le monde et qui nous distingue du monde doit demeurer présente à notre esprit. (RC-99)

- Nous sommes des enfants du cosmos, mais, du fait de notre humanité même, de notre culture, de notre esprit, de notre conscience, de notre âme, nous sommes devenus étrangers à ce cosmos dont nous sommes issus et qui nous demeure pourtant secrètement intime. Notre pensée, notre conscience qui nous font connaître ce monde physique nous en éloignent d'autant. Le fait même de considérer de façon objective l'univers nous en sépare. Et peut-être que, pour connaître l'univers, il fallait qu'un monstre cérébral et mental, nommé homo, s'en soit suffisamment distancié sans toutefois s'en détacher. (M5-01)

- Le cosmos est à la fois ordre et fureur, et son ordre s'établit au sein de sa fureur.(M6-04)


Courants/contre-courants : - Le XX siècle a légué en héritage, sur le tard, des contre-courants régénérateurs. Souvent dans l'histoire, des contre-courants, suscités en réaction aux courants dominants, peuvent se développer et détourner le cours des événements. Il nous faut noter : Le contre-courant écologique que l'accroissement des dégradations et le surgissement de catastrophes techniques/ industrielles ne peuvent qu'accroître ; le contre-courant qualitatif qui, en réaction à l'invasion du quantitatif et de l'uniformisation généralisée, s'attache à la qualité en tous domaines, à commencer par la qualité de la vie ; le contre-courant de résistance à la vie prosaïque purement utilitaire, qui se manifeste par la recherche d'une vie poétique, vouée à l'amour , l'émerveillement, la passion, la fête ; le contre-courant de résistance au primat de la consommation standardisée qui se manifeste de deux façons opposées : l'une par la recherche d'une intensité vécue (" consumation "), l'autre par la recherche d'une frugalité et d'une tempérance ; le contre-courant, encore timide, d'émancipation à l'égard de la tyrannie omniprésente de l'argent, que l'on cherche à contrebalancer par des relations humaines et solidaires faisant reculer le règne du profit ; le contre-courant, lui aussi timide qui, en réaction aux déchaînements de la violence, nourrit des éthiques de la pacification des âmes et des esprits.
- On peut également penser
que toutes les aspirations qui ont nourri les grandes espérances révolutionnaires du XX siècle, mais qui ont été trompées, pourront renaître sous la forme d'une nouvelle recherche de solidarité et de responsabilité.
- On pourrait espérer également que les besoins de ressourcement, qui animent aujourd'hui les fragments dispersés de l'humanité et qui provoquent la volonté d'assumer les identités ethniques ou nationales, puissent s'approfondir et s'élargir, sans se nier eux-mêmes, dans le ressourcement au sein de l'identité humaine de citoyens de la Terre-Patrie.
- On peut espérer en une politique au service de l'être humain, inséparable d'une politique de civilisation, qui ouvrirait la voie pour civiliser la Terre comme maison et jardin communs de l'humanité.
- Tous ces courants sont voués à s’intensifier et à s’amplifier au cours du XXI siècle et à constituer de multiples débuts de transformation ; mais la vraie transformation ne pourrait s'accomplir que lorsqu’ils s'entre-transformeraient les uns les autres, opérant ainsi une transformation globale, laquelle rétroagirait sur les transformations de chacun. (SSEF-00)


Crise : - Le propre de la crise est de déclencher la recherche de solutions nouvelles, et celles-ci peuvent être, soit imaginaires, mythologiques ou magiques, soit au contraire pratiques et créatrices. Ainsi la crise est potentiellement génératrice d'illusions et/ou d'activités inventives. Plus largement, elle peut être source de progrès (solution nouvelle accroissant la complexité du système) ou/et source de régression. L'homme, "tissu de contradictions", est donc bien un animal crisique : ce tissu de contradictions est la source à la fois de ses échecs, de ses réussites, de ses inventions, et aussi, de sa névrose fondamentale. (PP-73)

- Une crise se manifeste, au sein d'un système donné, par les traits suivants : régression de ses déterminismes et accroissement des incertitudes, passage de la stabilité à l'instabilité, transformation de complémentarités en oppositions et en antagonismes, irruption de déviances qui se transforment rapidement en tendances, recherche de solutions nouvelles, c'est-à-dire globalement processus de désintégration et de désorganisation au sein du système établi et mouvements vers de nouvelles (ou anciennes) formes d'intégration et d'organisation. (ET-76)

- …aujourd'hui, ne sommes nous pas confrontés à des crises s'enchaînant, se combinant, se heurtant, parfois se neutralisant les unes les autres ? Ici, il nous faut tenter d'éclairer ce terme de crise, devenu creux à force d'usage. Mais disons d'abord que l'emploi multiplié du mot "crise" (crise du progrès, crise de civilisation, crise de l'adolescence, crise du couple, etc.) vient de la multiplication même des symptômes crisiques… Essayons de définir le terme. A un premier regard, la crise se manifeste non seulement comme fracture dans un continuum, perturbation dans un système jusqu'alors apparemment stable, mais aussi comme accroissement des aléas donc des incertitudes. Elle se manifeste par la transformation des complémentarités en antagonismes, le développement rapide des déviances en tendances, l'accélération de processus destructurant/désintégrant (feed-back positif), la rupture des régulations, le déferlement donc de processus incontrôlés tendant à s'auto-amplifier d'eux-mêmes ou à se heurter violemment à d'autres processus antagonistes eux-mêmes incontrôlés.

- Nous sommes dans un devenir où la crise nous apparaît, non comme un accident dans nos sociétés, mais comme leur mode d'être ; comme je l'avais indiqué dans mon étude sur la notion de crise - et je le dis ici sous une formulation qui n'est pas mienne, mais d'Antonio Negri : «La crise n'est pas le contraire du développement , mais sa forme même». Les deux idées, l'une que la crise est devenue le mode d'être de nos sociétés, l'autre que le développement comporte en lui-même un caractère crisique, doivent être associées : c'est dans son mouvement transformateur accéléré que le développement des nations comporte en lui destructions/désorganisations économiques, sociales, culturelles : le développement ne s'effectue pas sur un socle culturel, civilisationnel, sociétal : le développement est inséparable de la destruction/transformation de ce socle, et c'est ce processus désorganisateur-réorganisateur qui est de caractère crisique. Ainsi, en ce qui concerne les sociétés occidentales, la crise de civilisation, la crise culturelle, la crise des valeurs, la crise de la famille, la crise de l'Etat, la crise de la vie urbaine, la crise de la vie rurale etc., sont autant d'aspects de l'être, désormais crisique, de nos sociétés, lesquelles sont certes menacées par cette crise, mais vivent aussi de cette crise.

- La nébuleuse spirale d'humanité se défait au moment même où elle essaie d'accéder à l'être. La crise planétaire dès lors, c'est la crise de la planétarisation. La planétarisation qui s'effectue dans et par la technique, dans et par la communauté de destin, ne s'effectue pas au niveau de l'humanité divisée et déchirée en nations, empires, races. Là où cette planétarisation progresse par l'hégémonie et par l'homogénéisation, alors, de par cela même, elle régresse. Ainsi, nous voyons que la crise de la planétarisation, c'est la crise de l'humanité qui n'arrive pas à se constituer en humanité, et du coup, la crise du monde encore incapable de devenir monde, la crise de l'homme encore impuissant à s'accomplir homme… (PSVS-81)

- On pourrait considérer l'état chaotique et conflictuel de l'ère planétaire comme son état «normal», ses désordres comme les ingrédients inévitables de sa complexité, et éviter d'user du terme aujourd'hui banalisé et passe-partout de crise. Mais peut-être alors faut-il rappeler ce que nous entendons par «crise»… Une crise se manifeste par l'accroissement, voire la généralisation des incertitudes, par des ruptures de régulations ou feed-back négatifs (lesquels annulent les déviances ), par des développements de feed-back positifs (croissances incontrôlées), par l'accroissement des périls et des chances (périls de régression ou de mort, chances de trouver solution ou salut). Quand nous considérons l'état de la planète, nous constatons : - l'accroissement des incertitudes dans tous les domaines, l'impossibilité de toute futurologie assurée, l'extrême diversité des scénarios d'avenir possibles ; - des ruptures de régulations (y compris, récemment, la rupture de «l'équilibre de la terreur»), le développement de croissances en feed-back positifs, comme la croissance démographique, les développements incontrôlés de la croissance industrielle et ceux de la techno-science; - des périls mortels pour l'ensemble de l'humanité (arme nucléaire, menace sur la biosphère), et, en même temps, des chances de sauver l'humanité du péril, à partir de la conscience même du péril.

- La gravité ou la profondeur de la crise peut se mesurer à l'importance des feed-back positifs et à l'importance des périls mortels. Certes, tout le devenir techno-économique de l'Occident depuis la fin du XVIII siècle peut être vu comme un gigantesque feed-back positif, c'est-à-dire comme un processus non contrôlé s'auto-alimentant, s'auto-amplifiant, et s'auto-accélérant, déstructurant les sociétés traditionnelles, leurs modes de vie, leurs cultures. Ce processus de destruction a été en même temps processus de création (d'une civilisation, de nouvelles formes culturelles, d'œuvres admirables de littérature, prose">poésie, musique..). La question aujourd'hui est de savoir si les forces de régression et de destruction l'emporteront sur celles de progression et de création et si nous n'avons pas franchi une limite critique dans l'accélération/amplification, qui pourrait nous mener désormais au runaway explosif. […] Les feed-back positifs qui mènent au runaway peuvent éventuellement produire une mutation. Mais il faudrait que les forces de contrôle et de régulation prennent le dessus. Il s'agit donc de freiner le déferlement technique sur les cultures, la civilisation, la nature, qui menace et les cultures et la civilisation et la nature. Il s'agit de ralentir pour éviter soit une explosion, soit une implosion. Il s'agit de décélérer pour pouvoir réguler, contrôler et préparer la mutation. La survie exige de révolutionner le devenir. Il nous faut venir à un autre avenir. C'est cela qui doit être la prise de conscience décisive du nouveau millénaire. (TP-93)

- La crise du futur naît de la crise du présent, et cette crise qui fait disparaître le progrès promis fait progresser les régressions au passé.

- La planète est en détresse : la crise du progrès affecte l'humanité entière, entraîne partout des ruptures, fait craquer les articulations, détermine les replis particularistes ; les guerres se rallument ; le monde perd la vision globale et le sens de l'intérêt général. En même temps, nous sommes dans l'ère damoclésienne des menaces mortelles, avec des possibilités de destruction et d'autodestruction qui, après le court répit des années 1989-1990, se sont aggravées de nouvelle manière. (PC-97)

- Les crises favorisent les interrogations, stimulent les prises de conscience, les recherches de solutions nouvelles, et dans ce sens aident les forces génératives (créatrices) et régénératrices sommeillant dans l'être individuel comme dans l'être social. Mais en même temps les crises favorisent les solutions névrotiques ou pathologiques, c'est à dire la désignation, la persécution, voire l'immolation d'un bouc émissaire (individu, groupe, classe, ethnie, race), la recherche de solutions imaginaires ou chimériques. (M6-04)

…une crise ouvre des incertitudess et des possibilités. Elle libère des forces inhibées qui peuvent se développer de façon accélérée, et elle permet à des potentialités de s'actualiser. La crise est certes ambivalente : elle peut favoriser des forces régressives ou létales ; elle peut aussi favoriser l'imagination créatrice de solutions qui permettent de la surmonter en modifiant le système. Or, nous vivons une crise gigantesque faite de multiples crises conjointes et enchevêtrées : la crise des civilisations traditionnelles sous les effets de l'occidentalisation et la crise de la civilisation occidentale elle-même, les crises économique, sociale, démographique, culturelle, politique, morale, religieuse, éducationnelle. Toutes ces crises, liées en un gigantesque nœud gordien, constituent à mon sens la crise de l'humanité qui n'arrive pas à accéder à l'humanité.

Nous sommes de plus en plus profondément dans la crise de l'humanité. Mais la profondeur même de la crise indique l'improbable espoir. Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, soit il se désintègre, soit il suscite en lui un méta-système plus riche, capable de traiter ses problèmes, c'est-à-dire de se métamorphoser. Or, le système Terre ne peut traiter ses problèmes fondamentaux, ceux de la faim, de la misère, des migrations, de la dégradation écologique, de la diffusion et multiplication des armes de destruction massive, des déferlements de haines idéologico-religieuses. Il est condamné à se désintégrer ou à se métamorphoser. (MC-08)


croire - Croyance : - Le plus fanatique des croyants doute aussi. Quelqu'un en lui porte la plus horrible angoisse de mort, pendant qu'un autre chante le salut triomphal. (VS-69)

- On ne peut s'empêcher de croire. On ne peut s'empêcher de douter. Mais nous ne devons croire désormais qu'en des croyances comportant le doute dans leur principe même. (PSVS-81)


Croissance : - La croissance exponentielle ne signifie pas tellement que les réserves diminuent en fonction même de l'accélération de la croissance ; elle signifie surtout que la croissance est un phénomène incontrôlé. D'ou la nécessité de renverser la vision des choses où la croissance industrielle était considérée comme le fondement de l'ordre et de la régulation de la société moderne. La croissance doit apparaître comme, au contraire, une manifestation de désordre, un déchaînement de forces non seulement créatrices mais aussi destructrices. (ET-76)

- Nous devons prendre conscience du caractère absolument incontrôlé de la croissance. Nous la croyions contrôlée par la technique, mais celle-ci ne faisait qu'aménager à court terme et au contraire participait de façon majeure au déchaînement incontrôlé. On pouvait la croire contrôlée par la science. Mais la science est devenue elle-même un processus incontrôlé. On pouvait la croire guidée par le progrès, mais c'est le progrès linéaire qui apparaît comme la course à l'abîme. On pouvait la croire guidée par la rationalité, mais en fait c'était une rationalisation délirante qui, comme dans la névrose, prenait le masque de la rationalité. (SO-84)


Culpabilité : - La culpabilité est une des données premières de la conscience individuelle : elle est le sentiment même du Moi, angoissé par la différence qui sépare le Soi du Sur-moi. A ce titre on ne peut séparer la culpabilité du complexe d'Œdipe, c'est-à-dire des drames originaires de la conscience infantile, qui sont déterminés par les rapports avec les parents. Mais la culpabilité œdipienne évolue avec l'évolution de la famille. Et d'autre part, la culpabilité n'a pas pour fondement unique la culpabilité œdipienne. Au sein de la société, dès l'âge adolescent, les drames où s'affrontent les puissances du Sur-moi, du Soi, et du Moi sont à leur tour générateurs de culpabilité. Plus le Sur-moi sera intériorisé, c'est-à-dire plus l'éthique sera l'affaire de la conscience individuelle, plus la crainte de la répression objective se transformera en angoisse de culpabilité, en remords, en mauvaise conscience. La culpabilité diffuse, s'accroissant sans cesse, accompagne le progrès de la civilisation. La conscience de la mort entretient de son côté cette culpabilité diffuse : dans la conscience archaïque... la mort est ressentie comme un maléfice, voir même une vengeance ou un châtiment. La mort des parents est obscurément ressentie comme l'aboutissement des souhaits de mort du fils survivant....

- C'est parce que les sources de la culpabilité sont multiples, diffuses, que celle-ci rôde, indéterminée, insaisissable, dans le monde méditerranéen antique. Et il semble bien que les progrès de l'angoisse de culpabilité, ceux du salut et ceux du capitalisme soient liés. Non pas mécaniquement certes, parce que sur autre plan le capitalisme apporte aussi l'échange, l'entreprise libre, l'aventure, le mépris socratique de la mort.... L'irruption du christianisme va "précipiter", fixer cette culpabilité latente et en faire le noyau de la mort, en intégrant et universalisant la culpabilité juive. (HM-45)

- La culpabilisation d'autrui n'est autre que l'expulsion hors de soi d'une culpabilité, constamment, bien que non consciemment, ressentie, vécue, renouvelée : c'est le complexe de Phèdre, qui accuse Hippolyte du désir incestueux dont elle se sent coupable à son égard. (VS-69)