Désenchentement: - Nous sommes dans le nécessaire désenchantement. Nous devons vivre dans un monde désenchanté. Mais le monde désenchanté n'est pas le monde plat et prosaïque des intérêts égoïstes : c'est le monde délivré de la niaiserie des solutions finales, de l'avenir radieux, du progrès indéfini et infini : c'est le monde étrange et pathétique, hallucinant où nous sommes, où nous pouvons et devons investir nos forces d'amour, mais ailleurs que sur les faux messies. (PSVS)
Développement - sous-développement - Méta-développement : - L'idée de développement fut l'idée clé des années d'après guerre. Il y avait un monde dit développé divisé en deux, l'un «capitaliste» et l'autre «socialiste». L'un et l'autre apportaient au tiers monde leur modèle de développement. Aujourd'hui, après les multiples échecs du développement du modèle «capitaliste» occidental, la crise du communisme d'appareil a entraîné la faillite du modèle «socialiste» de développement. Plus encore, il y a crise mondiale du développement. Le problème de développement rencontre de plein fouet le problème culturel/civilisationnel et le problème écologique. Le sens même du mot développement, tel qu'il a été admis, comporte en lui et provoque du sous-développement.
- Le développement est le maître mot, devenu onusien, sur lequel se sont rencontrées toutes les vulgates idéologiques de la seconde moitié de notre siècle. Au fondement de l'idée maîtresse de développement, il y a le grand paradigme occidental du progrès. Le développement doit assurer le progrès, lequel doit assurer le développement.
- Le développement a deux aspects. D'une part, c'est un mythe global où les sociétés devenues industrielles atteignent au bien-être, réduisent leurs inégalités extrêmes et dispensent aux individus le maximum de bonheur que peut dispenser
une société. D'autre part, c'est une conception réductrice, où la croissance économique est le moteur nécessaire et suffisant de tous les développements sociaux, psychiques et moraux. Cette conception techno-économique ignore les problèmes humains de l'identité, de la communauté, de la solidarité, de la culture. Ainsi, la notion de développement s'en trouve gravement sous-développée. La notion de sous-développement est un produit pauvre et abstrait de la notion pauvre et abstraite de développement. Liée à la foi aveugle dans la marche en avant irrésistible du progrès, la foi aveugle dans le développement a permis d'une part d'éliminer les doutes , d'autre part d'occulter les barbaries mises en uvre dans le développement du développement.
- Le mythe du développement a déterminé la croyance qu'il fallait tout sacrifier pour lui. Il a permis de justifier les dictatures impitoyables, qu'elles soient de modèle «socialiste» (parti unique) ou de modèle pro-occidental (dictature militaire). Les cruautés des révolutions du développement ont aggravé les tragédies du sous-développement.
- L'idée développementaliste a été et est aveugle aux richesses culturelles des sociétés archaïques ou traditionnelles qui n'ont été vues qu'au travers des lunettes économistes et quantitatives. Elle n'a remarqué dans leurs cultures qu'idées fausses, ignorance, superstitions, sans imaginer qu'elles contenaient des intuitions profondes, des savoirs millénairement accumulés, des sagesses de vie et des valeurs éthiques atrophiés chez nous. Fruit d'une rationalisation occidentalo-centrique, le développementalisme a été du même coup aveugle au fait que les cultures de nos sociétés développées comportent en elles, comme toutes les cultures, mais de façons différentes, à côté de vérités et de vertus profondes (dont celles de la rationalité autocritique qui permet de voir les carences et les failles de notre propre culture), des idées arbitraires, des mythes non fondés (dont le mythe providentialiste du progrès), d'énormes illusions (dont l'illusion d'être arrivés au sommet de la rationalité et d'être les dépositaires exclusifs de celle-ci), des aveuglements terrifiants (dont ceux de la pensée parcellaire, compartimentée, réductrice et mécaniste).
- Où mène le développement mondial ? Les uns marchent vers le désastre ; les autres, qui s'arrachent au sous-développement économique, vont se retrouver avec les problèmes de civilisation du monde développé. Celui-là connaît du reste en son sein un développement du sous-développement économique : 35 millions d'êtres humains sont au-dessous du seuil de pauvreté aux Etats-Unis. Il semble que nous entrons dans une société «duale», qui rejette dans ses ghettos les exclus du développement, dont 10 à 20 % de chômeurs.
- Allons-nous vers la crise mondiale du développement ? de toute façon, il faut rejeter le concept sous-développé du développement qui faisait de la croissance techno-industrielle la panacée de tout développement anthropo-social, et renoncer à l'idée mythologique d'un progrès irrésistible s'accroissant à l'infini.
- Notre civilisation, modèle du développement, n'est-elle pas elle-même malade du développement ? Le développement de notre civilisation a produit des merveilles : la domestication de l'énergie physique, les machines industrielles de plus en plus automatisées et informatisées, les machines électroménagères libérant les foyers des tâches les plus asservissantes, le bien-être, le confort, les produits extrêmement variés de consommation, l'automobile (qui, comme l'indique son nom, donne l'autonomie dans la mobilité), l'avion, qui nous fait dévorer l'espace, la télévision, fenêtre ouverte sur le monde réel et sur les mondes imaginaires Ce développement a permis l'épanouissement individuel, l'intimité dans l'amour et l'amitié, la communication du toi et du moi, la télécommunication entre chacun et tous ; mais ce même développement apporte aussi l'atomisation des individus, qui perdent les solidarités anciennes sans en acquérir de nouvelles, sinon anonymes et administratives.
- Le développement doit être conçu de façon anthropologique. Le vrai développement est le développement humain. Il faut donc sortir la notion de développement de sa gangue économistique. Il ne faut plus réduire le développement à la croissance, qui, comme l'a dit Jean-Marie Pelt, «est devenue une excroissance». La notion de développement doit devenir multidimensionnelle, dépasser ou briser les schèmes non seulement économiques, mais aussi civilisationnels et culturels occidentaux qui prétendent fixer son sens et ses normes. Elle doit rompre avec la conception du progrès comme certitude historique pour en faire une possibilité incertaine, et elle doit comprendre qu'aucun développement n'est acquis à jamais : comme toutes choses vivantes et humaines, il subit l'attaque du principe de dégradation et doit sans cesse se régénérer.
- On a pu Croire que soit le socialisme, soit le capitalisme étaient les agents véritables du développement, et chacun, pour ses adeptes, fut doté d'un génie providentiel. L'un et l'autre apportaient une formule d'organisation économique (le marché et l'économie privée ici, le plan et l'économie d'Etat là) et prétendirent assurer le développement social et humain. La formule prétendument socialiste, en fait totalitaire, a montré, outre sa barbarie, qu'elle aggravait tous les problèmes qu'elle déclarait vouloir résoudre (comme les inimitiés nationalistes, ethniques et religieuses) et que sa prétendue démocratie rendait difficile toute instauration démocratique. Le capitalisme, qui effectivement, comme l'avait vu Marx, assura le développement des forces productives par des procédés barbares, ne peut être considéré de façon isolée ou démiurgique comme la clé du développement humain. De même, c'est une erreur écomonistique réductrice de croie que le marché porte en lui toutes les solutions au problème de civilisation. Les progrès sociaux du siècle ne furent accomplis que dans une dialogique antagoniste/complémentaire entre entrepreneurs et partis/syndicats ouvriers et dans un contexte démocratique. En fait, les sociétés occidentales ne peuvent être définies seulement par le terme de capitalistes : elles sont à la fois nationales, polyculturelles, démocratiques, pluralistes et capitalistes.
- Le développement, dans le sens que nous lui avons donné, suppose l'épanouissement des autonomies individuelles en même temps que l'accroissement des participations comunautaires, depuis les participations proxémiques jusqu'aux participations planétaires. Plus de liberté et plus de communauté. Plus d'ego et moins d'égoïsme. Cette idée de développement nous fait alors prendre conscience d'un phénomène clé de l'ère planétaire : le sous-développement des développés s'accroît précisément avec leur développement techno-économique. Le sous-développement des développés est un sous-développement moral, psychique et intellectuel . Il y a certes une disette affective et psychique plus ou moins grande en toutes civilisations, et il y a partout des graves sous-développements de l'esprit humain; mais il faut voir la misère mentale des sociétés riches, la disette d'amour des sociétés repues, la méchanceté et l'agressivité misérables des intellectuels et universitaires, la prolifération des idées générales creuses et des visions mutilées, la perte du global, du fondamental, de la responsabilité. Il y a une misère qui ne décroît pas avec la décrue de la misère physiologique et matérielle, mais qui s'accroît avec l'abondance et le loisir. Il y a un développement spécifique du sous-développement mental sous le primat de la rationalisation, de la spécialisation, de la quantification, de l'abstraction, de l'irresponsabilisation, et tout cela suscite le développement du sous-développement éthique. Il n'y a certes pas que ces aspects dans notre monde développé, et la pensée complexe, sensible aux ambivalences, nous permet de prendre aussi en compte les développements modernes des autonomies individuelles, des libertés, des communications, l'ouverture au monde par le voyage et la télévision, les sécurités et solidarités sociales qui, bien que pratiquées de façon bureaucratique, compensent des inégalités et remédient à des souffrances ; il ne faut pas oublier que les pensées audacieuses, hérétiques, déviantes qui sont anéanties in ovo dans les sociétés traditionnelles trouvent dans notre monde des possibilités d'expression. Il nous faut voir tous les aspects de notre réalité et échapper à l'alternative entre euphorie et lamentations. (TP-93)
- Le développement, notion apparemment universaliste, constitue un mythe typique du sociocentrisme occidental, un moteur d'occidentalisation forcenée, un instrument de colonisation des " sous- développés " (le Sud) par le Nord. Comme le dit justement Serge Latouche, " ces valeurs occidentales (du développement) sont précisément celles qu'il faut remettre en question pour trouver solution aux problèmes du monde contemporain". Le développement ignore ce qui n'est ni calculable ni mesurable, c'est-à-dire la vie, la souffrance, la joie, l'amour , et sa seule mesure de satisfaction est dans la croissance (de la production, de la productivité, du revenu monétaire ). Conçu uniquement en termes quantitatifs, il ignore les qualités de l'existence, les qualités de solidarité, les qualités du milieu, la qualité de la vie, les richesses humaines non calculables et non monnayables ; il ignore le don, la magnanimité, l'honneur, la conscience Sa démarche balaie les trésors culturels et les connaissances des civilisations archaïques et traditionnelles ; le concept aveugle et grossier de sous-développement désintègre les arts de vie et sagesses de cultures millénaires. Sa rationalité quantifiante en est irrationnelle lorsque le PIB (produit intérieur brut) comptabilise comme positives toutes activités génératrices de flux monétaires, y compris les catastrophes comme le naufrage de l'Erika ou la tempête de 1999, et lorsqu'il méconnaît les activités bénéfiques gratuites. (TSC-99)
- L'idée de développement a toujours comporté une base technique-économique, mesurable par les indicateurs de croissance et ceux du revenu. Elle suppose de façon implicite que le développement techno-économique est la locomotive qui entraîne naturellement à sa suite un «développement humain» dont le modèle accompli et réussi est celui des pays réputés développés, autrement dit occidentaux. Cette vision suppose que l'état actuel des sociétés occidentales constitue le but et la finalité de l'histoire humaine.
- Le développement apporte certes des progrès scientifiques, techniques, médicaux, sociaux, mais il apporte aussi des destructions dans la biosphère, des destructions culturelles, de nouvelles inégalités, de nouvelles servitudes se substituant aux anciens asservissements. Le développement déchaîné de la science et de la technique apporte en lui-même une menace d'anéantissement (nucléaire, écologique) et des redoutables pouvoirs de manipulation. Le terme de développement durable ou soutenable peut ralentir ou atténuer, mais non modifier ce cours destructeur. Il s'agit dès lors, non tant de ralentir ou d'atténuer, mais de concevoir un nouveau départ. (LIB.02)
- Le développement technique et matériel a produit un sous-développement psychique et moral, le bien-être a produit du mal-être, sans pour autant supprimer les zones d'anomie et de misère. Tout individu porte en lui à la fois une propension égocentrique et une propension communautaire. Notre civilisation favorise non seulement l'individualisme, ce qui est une de ses vertus, mais aussi ses excès dans l'égocentrisme et l'hédonisme et elle désintègre les communautés concrètes. (LF.02)
- Le développement industriel apporte l'élévation des niveaux de vie en produisant en masse, et à des prix de plus en plus accessibles, ses produits d'usage et de consommation. Mais ce développement, qui semblait providentiel à la fin du siècle passé, fait désormais peser deux menaces sur les sociétés et les êtres humains : l'une extérieure, vient de la dégradation écologique des milieux de la vie ; l'autre, intérieure, vient de la dégradation des qualités de vie.
- Le développement capitaliste a entraîné le développement des productions, des échanges, des communications, mais il a entraîné la marchandisation généralisée, y compris là où régnaient les entraides, les solidarités, les biens communs non monétaires, détruisant ainsi de nombreux tissus de convivialité. Le marché privilégie en toutes occasions le calcul d'intérêt et désolidarise d'autant. L'envers de la monétarisation, c'est la nécessité de sommes croissantes d'argent pour seulement survivre, et le rétrécissement de la part du service gratuit, du don, c'est-à-dire de l'amitié et de la fraternité
.- Les développements économiques et étatiques ont suscité et favorisé la formation d'énormes machineries technobureaucratiques qui, d'une part, dominent et écrasent tout ce qui est individuel, singulier, concret, et d'autre part produisent de l'irresponsabilité.
- Le développement urbain n'a pas apporté seulement épanouissements individuels, libertés et loisirs, mais aussi la perte des anciennes solidarités et la servitude de contraintes organisationnelles pesant sur la vie quotidienne (métro-boulot-dodo). La cité, unité organique pour les citoyens, devient la ville, milieu de vie pour citadins, et la ville devient l'agglomération, ensemble informe pour populations. Le tissu urbain se disloque, et la ville subit de plus en plus les dommages de l'anonymisation. Les immenses villes-bureaux, les banlieues-dortoirs s'étendent, au détriment des quartiers. Aux lieux de rencontre entre citoyens (bistrots, petits commerces, squares), succèdent les non-lieux de passage des usagers. Après la disparition des fontaines, des lavoirs, des chevaux, il y eut le dépérissement des quartiers, la compartimentation dans les grands ensembles, la hâte, le stress. [ ] Le surgelé et les grandes surfaces, plus le télé-achat, diminuent les occasions d'échanges dans les rues commerçantes et détruisent les relations de confiance entre fournisseurs et clients, ainsi que les menus propos et petits potins de quartier.
- Le progrès admirable des connaissances s'accompagne d'une régression de la connaissance par la domination de la pensée parcellaire et compartimentée au détriment de toute vision d'ensemble. ainsi les développements de notre civilisation conduisent-ils à un nouveau sous-développement intellectuel , à un nouveau sous-développement affectif - les êtres n'arrivent pas à trouver la réponse à leur besoin de communication humaine, d'amour , de communauté - et à un nouveau sous-développement moral dans la dégradation de la responsabilité et de la solidarité. (PPC-02)
- Si le monde n'est pas une marchandise, il doit être une patrie commune. Or, la globalisation a créé les infrastructures d'une "société-monde" mais n'a pas encore inventé le logiciel qui permettrait de la rendre vivable pour tous. Cela passe à mes yeux par un préalable : la reconnaissance des dégâts du "développement". Il faut renoncer à cette notion sacro-sainte qui nous aveugle. D'abord parce qu'elle présume que la croissance économique est la locomotive du développement humain. Comment ne pas voir que cette conception détruit les structures sociales, favorise l'hyper-individualisme et la corruption généralisée ?Qu'elle comptabilise comme positives toutes les activités génératrices de flux monétaires, y compris les catastrophes comme le naufrage du Prestige ? Et ignore les richesses non monnayables comme la joie, l'amour, l'honneur, le don, la conscience ? Nous devons emprunter une autre voie, changer notre mode de consommation, investir massivement dans les énergies renouvelables et renoncer à la domination du calcul, de la technique et du profit sur tous les aspects de la vie. Aussi utopiques qu'elles puissent paraître, un certain nombre d'expériences me paraissent aller dans ce sens. C'est la taxe Tobin sur les flux financiers. C'est l'idée d'économie plurielle, avec les coopératives, les réseaux d'échange de savoir ou les monnaies alternatives qui cherchent à réduire l'espace du marché. Ce sont aussi les associations pour un commerce équitable, nées de la volonté d'une poignée d'hommes et de femmes décidés à lutter contre le pouvoir de ces intermédiaires rapaces que l'on surnommait les coyotes et les effets des fluctuations des cours sur les petits producteurs de café du Sud. Même si sa portée reste limitée, le commerce équitable connaît un véritable essor depuis quelques années. Son histoire nous rappelle qu'il faut toujours quelques illuminés pour commencer à changer le monde. (AI-03)
- A mon avis la politique planétaire nous oblige à rompre avec la notion de développement, y compris celui qui est durable ou humain (forme amadouée du développement). Le mot "développement" signifie que la croissance technique et économique est la locomotive d'un développement social et humain, lequel va s'effectuer selon le modèle occidental. Or il ne faut pas oublier que, dans les sociétés occidentales développées, il y a aussi du sous-développement psychologique, moral, des carences de plus en plus évidentes. L'idée de développement suppose que l'état actuel des sociétés occidentales est la finalité pour toutes les autres sociétés et, par extension, la finalité de l'histoire humaine : il y a une sorte de "fukuyamisme" (Francis Fukuyama "La fin de l'histoire et le dernier homme") généralisé implicite dans l'idée de développement. (VM-03)
- Le développement, dont le modèle est occidental, ignore que celui-ci comporte des inconvénients. Son bien-être génère du mal-être, son individualisme comporte de l'égocentrisme et de la solitude, ses épanouissements urbains du stress et des nuisances, et ses forces déchaînées conduisent à la mort nucléaire. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il ne faut plus continuer sur cette route et ne plus indiquer le chemin que nous avons suivi : il faut changer de voie. Toute nouvelle évolution suppose une transformation, et toute transformation suppose une involution, c'est-à-dire un retour à des forces créatrices [...] ... la capacité de créer du nouveau existe de façon latente dans l'humanité : elle a elle-même des potentialités génériques - j'emprunte à dessein ce terme au jeune Marx qui parlait de l'homme générique. En ce sens je peux affirmer que l'humanité dispose de qualités virtuelles qui sont dégradées, figées, réifiées dans les civilisations. (VM-03)
Méta-développement :
Théorie - doctrine - dogme :
- J'ai souvent le sentiment que les grandes théories nous ouvrent des portes essentielles. Mais dès qu'elles se présentent sous la forme de doctrines , elles sécrètent quelque chose de réducteur, je dirais même de crétinisant. Une doctrine simplifie, tend à simplifier ce qui à l'origine était complexe. (AEM-80)
- Un même système d'idées peut se constituer en théorie ou en doctrine. En tant que théorie, c'est un système ouvert qui mène recherches/débats/ dialogues avec les données des autres systèmes, qui peut intégrer en lui bien des nouveautés ou compléments, à condition de ne pas altérer son noyau. A l'autre opposé, le système devenu doctrine est autosuffisant, froid, non falsifiable, non biodégradable. Certes, il n'est pas "immortel" : tôt ou tard, il se dégradera ou éclatera. Il n'est pas totalement pétrifié, c'est-à-dire totalement non vivant. En lui se poursuivent des activités de glose, commentaire, exégèse, des recherches sélectives qui puisent dans le réel ce qui confirme la doctrine.
- Lakatos nous a fait remarquer que toute théorie, (et toute doctrine) s'organise à partir et en fonction d'un noyau dur et dispose autour de ce noyau une ceinture de sécurité, laquelle permet d'empêcher ou retarder la mise en cause du "noyau dur". Une théorie ouverte peut tolérer la contestation de la ceinture, mais devient de plus en plus résistante lorsque l'on approche du noyau. Une doctrine fermée donne à ses arguments de sécurité le caractère sacré et intangible du noyau, de façon à mieux protéger celui-ci. Mais, en créant une solidarité de fait entre ses fondements et des arguments défensifs annexes, elle risque que la contestation d'un des arguments de ceinture entraîne la désintégration en chaîne de tout le reste.
- Une idéologie est sous-tendue par une théorie. La théorie est un système d'idées structurant, hiérarchisant, vérifiant le savoir, de façon à rendre compte de l'ordre et de l'organisation des phénomènes qu'elle envisage. La théorie est dans son principe ouverte sur l'univers dont elle rend compte : elle y puise confirmation, et si des données la contredisant surgissent, elle procède à des vérifications (sur les données), des révisions (sur son propre fonctionnement) et des modifications (sur elle-même). Une théorie, par là, est à la fois vivante (elle échange) et mortelle (le réel peut lui infliger un démenti fatal).
- Une théorie qui se ferme au réel devient doctrine. La doctrine est la théorie qui affirme que sa vérité est définitivement prouvée, et réfute tous les démentis du réel. La doctrine-citadelle blinde ses axiomes qui deviennent alors dogmes. Une doctrine est, en principe inexpugnable. Mais les forteresses imprenables finissent, sans doutetrop tard, par succomber, sinon sous l'assaut du réel, du moins, sous l'usure du temps. Le problème que pose la théorie n'est pas un problème plus "profond" que celui de "savoir voir" : de fait, c'est le même : autrement dit, c'est "savoir voir" qui pose un problème profond, parce que non seulement toute théorie dépend d'une observation, mais aussi parce que toute observation dépend d'une théorie.
- Une théorie comporte son ou ses noyaux organisateurs principaux, dont dépendent l'insertion et le classement des données, la hiérarchie des idées au sein de la théorie.
- Considérons le noyau dur des théories, doctrines, idéologies. Il est constitué par l'interdépendance intime :
a) des évidences de fait sur lesquelles s'appuie empiriquement la doctrine ;
b) des principes de distinction-liaison-opposition opérant sur les concepts fondamentaux (paradigmes) ;
c) de la logique déductive qui, à partir des données et des principes, apporte dans toute la théorie le caractère d'évidence des prémisses.
Le noyau dur des doctrines est évidence-cohérence.
Une doctrine part d'une évidence, soit révélée, soit prétendue vérifiée une fois pour toutes. Le noyau d'évidences n'est pas mis en question. Les paradigmes organisateurs du discours théorique, eux, y sont visibles, et, par là même, évidents. Spiritualisme et matérialisme ont été, et demeurent, deux doctrines se fondant l'une et l'autre sur un noyau de cohérence-évidence. Ce qui les oppose est le paradigme qui, ici, donne réalité primordiale à l'Esprit, là donne réalité primordiale à la Matière. Le noyau dur d'une doctrine, dans son évidence-cohérence, se présente comme rationalité absolue : les données sont fournies par l'expérience, et, à partir de ces données, les conclusions sont syllogistiques (les paradigmes, je le répète, sont invisibles et semblent faire partie ou découler des données d'expérience). Mais, en fait, cette rationalité est rationalisation.
- Une théorie permet au théoricien de reconnaître hors théorie la réalité qu'elle ne peut concevoir. Une doctrine empêche l'endoctriné de voir la réalité qu'elle aveugle. De toute façon, l'évidence d'un fait que l'on accepte, mais que l'on ne peut inscrire dans son idéologie, perd rapidement sa force. Son existence même finit par se dissoudre au bout d'un temps, faute d'ancrage idéologique. Ainsi, tout ce que l'idéologie ne peut concevoir ou rationaliser se flétrit, tombe en miettes, passe à la vidange... C'est pourquoi l'idéologie nous rend si insensibles, aveugles, sourds, oublieux, imbéciles... (PSVS-81)
- Tout système d'idées est à la fois clos et ouvert. Il est clos dans le sens où il se protège et se défend contre les dégradations ou agressions extérieurs. Il est ouvert dans le sens où il se nourrit de confirmations et vérifications venant du monde extérieur. Toutefois, bien qu'il n'y ait pas de frontière nette et stable entre les uns et les autres, on peut distinguer et opposer deux types idéaux : les systèmes comportant préséance de l'ouverture sur la fermeture, que nous nommons ici théories, et les systèmes comportant préséance de la fermeture, que nous nommons ici doctrines.
- Le propre de la théorie est d'admettre la critique extérieure, selon des règles acceptées par la communauté qui entretient, suscite, critique les théories (communauté philosophique ou scientifique). Le champ d'existence des théories est récent, fragile. Il s'est constitué pour la première fois il y a 25 siècles à Athènes, où l'instauration de la philosophie a ouvert une sphère de libre débat d'idées sans sanction, exclusion, ni liquidation de ceux qui étaient admis au débat. Puis la science européenne a créé son propre champ, où toute théorie doit obéir à des règles empiriques/logiques contraignantes et accepter les vérifications/réfutations qui pourraient l'infirmer.
- Un système d'idées demeure théorie tant qu'il accepte la règle du jeu compétitif et critique, tant qu'il manifeste de la souplesse interne, c'est-à-dire la capacité d'adaptation et modification dans l'articulation entre ses sous-systèmes, comme la possibilité d'abandonner un sous-système et de le remplacer. En d'autres termes, une théorie est capable de modifier ses variables (qui se définissent dans les termes de son système) mais non ses paramètres (les termes mêmes qui définissent le système). Ainsi, les caractères "fermés" d'une théorie sont contrebalancés par la recherche de l'accord entre sa cohérence interne et les données empiriques dont elle rend compte : c'est cela qui constitue sa rationalité.
- La théorie est ouverte parce qu'elle est éco-dépendante. Elle dépend du monde empirique où elle s'applique. La théorie vie de ses échanges avec le monde : elle métabolise du réel pour vivre.
Ainsi la théorie accepte la critique dans le cadre philosophique, mais c'est dans le cadre scientifique qu'elle doit admettre le principe de sa bio-dégradabilité : une théorie ouverte est une théorie qui accepte l'idée de sa propre mort.
- La doctrine, elle refuse la contestation comme elle refuse toute vérification empirico/logique qui lui serait imposée par une instance extérieure. Elle est intrinsèquement irréfutable. Elle n'est pas pour autant totalement close sur le monde extérieur; elle a besoin de se nourrir de vérifications et confirmations, mais elle ne sélectionne que les seuls éléments ou événements qui la confirment; elle les filtre soigneusement et les soumet à un cracking qui n'en retient que l'assimilable.
- Dire que l'ouverture théorique nécessite des conditions extérieurs favorables, c'est dire que tout système d'idées tend à se refermer de lui-même. Le dogmatisme et l'orthodoxie sont ses tendances naturelles, et celles-ci sont contrebattues seulement par des conditions extérieures.
- Alors que la théorie reconnaît que ses axiomes ou postulats sont indémontrables, la doctrine les tient pour des principes d'évidence, véridiques à jamais, qui assurent la vertu inaltérable de son système. Alors que la théorie entretient sa rationalité dans l'échange incertain avec le monde extérieur, la doctrine refuse ce qui est rebelle à sa logique rationalisatrice.
- Ainsi, à la différence de la théorie, la doctrine est blindée contre les agressions extérieures. Chacun de ses concepts est protégé autant que le noyau. Ses articulations internes sont rigides. La doctrine est dogmatique par nature : le dogmatisme, c'est justement l'union de la rigidité, du blindage, de l'arrogance doctrinaires. La doctrine possède seule la vérité, elle s'arroge tous les droits, elle est toujours orthodoxe. Ce qui lui est étranger est ipso facto soupçonné d'être ennemi et est rejeté. Les arguments contraires sont transformés en arguments contre les contradicteurs. La doctrine est en état de mobilisation permanente et enflamme sans discontinuer l'enthousiasme de ses fidèles. Violemment offensive, elle attaque sans trêve les théories et les autres doctrines qu'elle anathémise. Elle est cruelle et peut exiger non seulement la condamnation, mais la mort de ses détracteurs.
- Les échanges entre la doctrine et le monde empirique sont raréfiés. Mais la doctrine n'est pas pour autant totalement close. Elle assure des échanges minimaux en sélectionnant uniquement ce qui lui apporte confirmation. Elle va surtout puiser dans les esprits/cerveaux des humains de puissantes énergies régénératrices. (M4-91)
-
je tiens à la dualité entre dogme et théorie. Je pars de lidée quun dogme comme une théorie ont quelque chose de commun. Ce sont des systèmes didées organisées, mais lun est entièrement fermé, à savoir le dogme et il se justifie toujours par la référence aux textes sacrés de sa fondation et, bien entendu, réfute toute réfutation alors que la théorie, elle, est potentiellement ouverte sur des arguments contradictoires qui lui permettent éventuellement de se modifier et même elle est ouverte sur des arguments qui la contestent radicalement, cest à dire elle accepte le principe de sa propre bio-dégradabilité. (
) Une théorie elle aussi, est relativement fermée avec son système de protection immunologique, elle a la volonté de maintenir ses composants les uns avec les autres, mais elle accepte ce jeu de confrontations avec le monde extérieur. Cest pourquoi une théorie est simultanément fermée en un certain sens mais ouverte en un autre, alors que le dogme, par sa nature, ne peut être que fermé et il ne peut quexploser ou bien, à la rigueur, dans certains cas, sattendrir et devenir système philosophique. Il y a des " marxistes fermés " qui sont devenus des " marxistes ouverts " !... (EAP-95)
Domination / soumission :
- Les relations de domination/soumission règlent les relations hiérarchiques entre les « classes » et aussi entre individus. Le principe de la domination est complexe; ce nest ni la puissance sexuelle, comme on la cru longtemps, ni la pure force physique, ni lintelligence seules qui poussent au pouvoir et lobtiennent. Étant donné que la puissance sociale donne pleins pouvoirs, sexuels et « politiques », et permet le libre épanouissement personnel, on peut supposer que ce qui pousse en avant est un mélange obscur et variable, bien difficile à analyser, comme chez les humains. Lexercice du pouvoir lui-même, on la dit, oscille entre les deux pôles de lagressivité et de lexhibitionnisme. Dans le premier sens, le caïd maintient son autorité par lintimidation, la mimique de menace (threat behavior); dans le second sens, par le rappel historique de sa présence et de son importance.
Double : -
L'individu est le siège d'une double conscience. La pensée archaïque était une combinaison étroite de cette double conscience. Dans les temps modernes, il y a au contraire dualité et concurrence. C'est dans cette dualité que se situe l'astrologie moderne. En effet, dans son caractère dominant, l'astrologie d'aujourd'hui est ambivalente ; les termes de demi-croyance, croyance ludique, croyance intermittente doivent être accolés pour tenter d'en rendre compte. C'est que la croyance est à la fois entretenue par la conscience subjective et minée par la conscience objective. Elle correspond à quelque chose de profond, qui, émergeant à la surface, tend à se colorer de gêne ou de honte, à se disperser. (RANO-71)
- Non seulement chacun est double, c'est-à-dire porte en lui deux personnalités souvent antithétiques, ce qu'exprime si bien le docteur Jekyll/mister Hyde, mais chacun comporte plusieurs personnalités potentielles, certaines dominant de façon durable, d'autres n'arrivant à s'actualiser que fugitivement, embryonnairement. Ce n'est pas seulement notre "personnalité" dominante qui doit s'efforcer de dialoguer avec les sous-personnalités inhibées ou refoulées, avec la bouche d'ombre qui s'ouvre sous les ténèbres de notre inconscient, avec la part obscure de nous-mêmes où notre personne s'évanouit dans une impersonnalité profonde : il nous faut dialoguer avec cette personnalité dominante, ce personnage avantageux, prétentieux, pompeux, qui se joue la comédie à lui-même parfois plus qu'aux autres. (PSVS-81)
- Je constate en moi, et chez beaucoup d'autres, la présence d'un double secteur mental : dans le premier secteur nous adhérons au monde, aux choses, aux passions, aux croyances, nous vivons sur le monde densifié où tout prend une consistance. Dans le second secteur, nous sentons le néant du monde, des choses, des passions, des croyances, tout se vide. Nous sautons de l'un à l'autre, ou nous pensons confusément à la fois dans l'un et l'autre secteur. A vrai dire, la conscience moderne doit tenter cette double saisie : saisir la relativité du nihilisme par rapport à ce qu'il nie, et à la relativité de tout ce qui est par rapport au nihilisme. Alors nous entrons dans le royaume de la relativité généralisée ; elle ne peut résoudre par quelque tour de passe-passe "dialectique" la contradiction qui tisse notre vie mentale ; elle doit donc l'affronter.(ARG14-59)
Doute / scepticisme :
- Comme l'avait admirablement vu Hegel dans son roman-feuilleton philosophique, le doute, le scepticisme constituent un des moments fondamentaux de la conscience, et ils constituent un moment capital dans tout passage d'un système cognitif à un méta-système. (PP-73)
- La nouvelle difficulté de penser - L'humanité a toujours connu l'interrogation et le doute, mais elle a toujours vécu avec des certitudes et avec une idée non biodégradable de la vérité.
- On ne peut s'empêcher de croire. On ne peut s'empêcher de douter. Mais nous ne devons Croire désormais qu'en des croyances comportant le doute dans leur principe même. (PSVS-81)
- L'être est devenu silence ou béance. La logique apparaît crevassée. La raison s'interroge, s'inquiète. L'incertain fondamental est tapi derrière toutes les certitudes locales. Pas de socle de certitude. Pas de Vérité fondatrice. L'idée de fondement doit sombrer avec l'idée de dernière analyse, de cause ultime, d'explication première. A la place du fondement perdu, il n'y a pas le vide, mais une "vase" (Popper), sur laquelle s'élèvent les pilotis du savoir scientifique, une "mer de boue sémantique" (Mugur-Schachter) à partir de quoi émerge le concevable. Ni le doute ni la relativité ne sont désormais éliminables. Voilà donc notre point d'arrivée historique, qui est en même temps notre point de départ.
- Il y a des évidences diverses selon les idiosyncrasies et les obsessions cognitives. Il faut "évidemment" distinguer l'évidence qu'impose la preuve logique ou la vérification empirique, des évidences qui n'ont pas d'autre preuve que le sentiment de leur évidence, comme par exemple l'évidence de la Présence Divine, qui saisit soudain l'incroyant, et anéantit son doute par la certitude et la Vérité. (M3-86)
- Jamais je n'ai pu m'enfermer dans une foi. Ma foi a toujours gardé le doute en elle. Jamais je n'ai pu Croire comme la plupart croient, même quand j'étais dans l'élan messsianique de ma résistance de guerre. Mais jamais je n'ai pu m'enfermer dans le doute , et mon doute a toujours gardé la foi en lui
Ainsi, plus que jamais et pleinement, je vis, subis et me nourris de la dialogique permanente entre foi et scepticisme, mysticisme et rationalité. Le travail des contradictions continue. Et voici la conséquence existentielle : vivre dans le duel des contraires, c'est-à-dire ni dans la duplicité sans conscience ni dans le "juste milieu", mais dans la mesure et la démesure; non dans la morne résignation, mais dans l'espoir et le désespoir, non dans un vague ennui ou un vague intérêt devant la vie, mais dans l'horreur et l'émerveillement. (MD-94)
- Le développement de l'intelligence générale requiert de lier son exercice au doute, levain de toute activité critique, qui, comme l'indique Juan de Mairena, permet de «repenser - Se préparer à notre monde incertain est le contraire de se résigner en un scepticisme généralisé. C'est s'efforcer à bien penser Reliance - Relier/Distinguer :
- Connaître, c'est être capable de distinguer, puis de relier ce qui a été distingué. Toute activité de pensée comporte distinction (notamment entres objets et environnement), objectivation (caractérisation de l'objet par des traits invariants ou stable), analyse (décomposition de l'objet en ses unités constitutives et possibilité d'isoler tel aspect ou telle partie de l'objet), sélection (des caractères jugés essentiels ou pertinents de l'objet considéré). La simplification commence lorsque la distinction élimine la relation entre l'objet et son environnement, lorsque l'objectivation élimine le problème de l'activité constructive du sujet dans la formation de l'objet, lorsque l'explication se limite et s'arrête à l'analyse. La simplification , en somme, commence là où la distinction devient disjonction séparant et isolant les entités sans les faire communiquer, lorsque l'objectivation devient objectivisme (illusion de Croire que notre esprit reflète, et non traduit, la réalité extérieure), lorsque l'analyse devient réduction du complexe au simple, du molaire à l'élémentaire, lorsque la désambiguïsation du réel devient vision unilatérale, lorsque l'élimination de certains caractères ou aspects de l'objet ou du phénomène devient unidimensionnalisation, c'est-à-dire réduction à un seul caractères ou aspect. Une telle simplification conduit du reste à l'idéalisme, c'est-à-dire une vision où l'on croit que l'idée qu'on a de l'objet ou du phénomène correspond à sa réalité même, et où donc l'idée se prend pour le réel.
- Nous voyons dès lors la difficulté de penser - Le problème de la reliance est un problème de réapprentissage de la pensée qui implique l'entrée en action de trois principes : Le premier principe est celui de la boucle récursive ou autoproductive qui rompt avec la causalité linéaire. Cette boucle implique un processus où les effets et les produits sont nécessaires à leur production et à leur propre causation. [
] La causalité représente désormais une spirale, elle n'est plus linéaire. Le deuxième principe est celui de la dialogique qui est un peu différente de la dialectique. Il faut, dans certains cas, mettre ensemble des principes, des idées et des notions qui semblent s'opposer les uns aux autres. [
] J'ai appelé hologramique le troisième principe, en référence au point de l'holograrnme qui contient presque la totalité de l'information de la figure représentée. Non seulement la partie est dans le tout mais le tout est dans la partie. De même, la totalité de notre patrimoine génétique est contenue à l'intérieur de chaque cellule du corps. La société, en tant que tout, est présente aussi à l'intérieur de nousmêmes car nous avons son langage et sa culture. (RP-96)
- La disjonction historique entre les deux cultures, la culture des humanités, qui comportait la littérature, la philosophie, mais surtout une possibilité de réflexion et d'assimilation des savoirs, et la nouvelle culture scientifique, fondée sur la spécialisation et la compartimentation, aggrave les difficultés que nous pouvons avoir à réfléchir sur les savoirs et, là encore, à les intégrer. Ainsi, vivons-nous sous l'empire de ce qu'on pourrait appeler un paradigme de disjonction . Or il est évident que la réforme de pensée ne vise pas à nous faire annuler nos capacités analytiques ou séparatrices mais à y adjoindre une pensée qui relie. Certes, il ne suffit pas de dire " Il faut relier " pour relier : relier nécessite des concepts, des conceptions, et ce que j'appelle des opérateurs de reliance. (MO-97)
- Les esprits incapables de concevoir l'unité du multiple et la multiplicité de l'un ne peuvent que promouvoir l'unité qui homogénéise, ou promouvoir les multiplicités qui se referment en elles-mêmes. Or le double impératif complexe nous commande de sauvegarder la diversité des cultures et de développer l'unité culturelle de l'humanité. Les rencontres-métissages d'idées, de cultures, de races sont créateurs de diversité et d'innovation. L'unité, le métissage et la diversité doivent se développer contre l'homogénéisation et la refermeture. La reliance doit se substituer à la disjonction et appeler à la «symbiosophie» - sagesse de vivre ensemble.
- Le métissage n'est pas seulement une création nouvelle de diversité à partir de la rencontre, il devient, dans le processus planétaire, produit et producteur de reliance et d'unité. Il introduit la complexité au cur de l'identité métisse (culturelle ou raciale). Certes, chacun peut et doit, en l'ère planétaire, cultiver sa poly-identité, qui permet d'intégrer en elle l'identité familiale, l'identité régionale, l'identité ethnique, l'identité nationale, l'identité religieuse ou philosophique, l'identité continentale et l'identité terrienne. Mais le métis, lui, peut trouver aux racines de sa poly-identité une bipolarité familiale, une bipolarité ethnique, nationale, voir continentale, lui permettant de constituer en lui une identité complexe pleinement humaine.
- ... la reliance entre humains et la reliance à la Terre prennent d'elles-mêmes un sens religieux, car elles constituent une religion de la reliance. Mais ce sens religieux, s'il trouve sa généalogie dans les grandes religions universelles (et ne prétend pas les combattre), s'en écarte par une absence de dieux et de salut qui laïcise profondément. (PC-97)
- Notre civilisation et, par conséquent, notre enseignement ont privilégié la séparation au détriment de la reliance, l'analyse au détriment de la synthèse. reliance et synthèse y demeurent sous-développées. C'est pourquoi, et la séparation, et l'accumulation sans lien des connaissances, sont privilégiées au détriment de l'organisation qui relie les connaissances. (TBF-99)
- Le monde confédéré doit être polycentrique et acentrique non seulement politiquement mais aussi culturellement. L'Occident qui se provincialise ressent en lui un besoin d'Orient, tandis que l'Orient tient à demeurer lui-même en s'occidentalisant. Le Nord a développé le calcul et la technique, mais il a perdu la qualité de la vie, tandis que le Sud, techniquement arriéré, cultive encore les qualités de la vie. Une dialogique doit désormais complémentariser Orient et Occident, Nord et Sud. La reliance doit se substituer à la disjonction et appeler à la " symbiosophie ", la sagesse de vivre ensemble. (SSEF-00)
- Tout regard sur l'éthique doit percevoir que l'acte moral est un acte individuel de reliance : reliance avec autrui, reliance avec une communauté, reliance avec une société, et à la limite reliance avec l'espèce humaine.
- L'éthique est pour les individus autonomes et responsables, l'expression de l'impératif de reliance. Tout acte éthique, répétons le, est en fait un acte de reliance, reliance avec autrui, reliance avec les siens, reliance avec la communauté, reliance avec l'humanité et, en dernière instance, insertion dans la reliance cosmique.
- Pourrons-nous un jour comprendre le mystère de la reliance cachée ? le mystère de la deliance invisible ?"(M6-04)
- Le développement est une finalité, mais il doit cesser d'être une finalité myope ou une finalité-terminus. La finalité du développement est elle-même soumise à d'autres finalités. Lesquelles ? Vire vraiment. Mieux vivre. Vraiment et mieux, qu'est-ce à dire ? vivre avec compréhension, solidarité, compassion. vivre sans être exploité, insulté, méprisé. C'est dire que les finalités du développement relèvent d'impératifs éthiques. L'économique doit être contrôlé et finalisé par des normes anthropo-éthiques. C'est donc la poursuite de l'hominisation qui demande une éthique du développement, d'autant plus qu'il n'y a plus de promesse ni de certitude absolue d'une loi du progrès. [
] Il y a dans les finalités que nous avons indiquées, vivre vraiment, mieux vivre, la recherche de quelque chose qui excède le développement. Le sens du développement va au-delà du développement : développer l'amour de la musique, par exemple, ne signifie pas par exemple que l'histoire de la musique soit un développement progressif, et que Beethoven soit meilleur que Bach, ou Richard Strauss que Beethoven. Il faut considérer l'insuffisance de la conception, même hominisante, de développement, qui, le mot l'indique, déploie, déroule, étend. Il faut la dialectiser avec l'idée d'enveloppement et d'involution, qui nous apporte retournement sur l'origine ou l'avant-monde, plongée dans les profondeurs de l'être, replongée dans l'ancien, réitération, oubli de soi, introjection quasi ftale dans un bain amniotique béatifiant, immersion dans la nature, re-entrée dans les mythes, recherche sans but, paix sans paroles. Ah certes ! Shelley, Novalis, Hölderlin, Pouchkine, Rimbaud, Bach, Mozart, Schubert, Beethoven, Moussorgski, Berg sont les fruits historiques d'un développement civilisationnel ; mais leur uvre transcende ce développement, elle exprime notre être-au-monde, elle nous parle de l'indicible, elle nous amène au bord de l'extase, là où s'allège l'emprise irrémédiable du temps et de l'espace. Tout ce qui surgit d'essentiel dans la pensée troue l'histoire, rétroagit sur le passé jusqu'aux origines, plonge dans nos abysses, se projette au-delà du futur. Pouvons-nous proposer alors la notion de méta-développement, c'est-à-dire d'un au-delà du développement auquel le développement (peut-être ?) permettrait d'accéder, et que de toute façon il devrait permettre ? (TP-93)
La subordination est plus complexe encore que la domination, car il sagit pour le subordonné de subir son sort avec le moins de dommages possible. Elle se manifeste par la conduite dévitement, ou lon sefforce de ne pas se trouver sur le chemin du caïd, par des conduites de soumission, de complaisance, de servilité, de serviabilité
. A chaque rang correspond un statut, cest-à-dire un ensemble de droits et de devoirs : à chaque rang et statut correspond un rôle, cest-à-dire un style de conduite qui nest pas lié immuablement à un individu, mais dépend de la situation occupée dans le rang et la « classe » sociale. (PP-73)
, c'est que très vite, aussitôt après démarrage, nous arrivons au mur de l'inconcevable, du contradictoire, de l'absurde, de l'incertain, du relatif
Alors que dans les siècles précédents il fallait un gigantesque effort ou cheminement pour arriver au premier doute. La pensée moderne ouvre partout les brèches, mais les brèches sur le vide
Toutes les pensées rôdent autour de l'inconcevable. Aux frontières de l'inconcevable
L'esprit pourra-t-il jamais franchir ce mur du son ? (M1-77)
le pensé» mais aussi comporte «le doute de son propre doute».
, c'est nous rendre apte à élaborer et pratiquer des stratégies, c'est enfin effectuer en toute conscience nos paris. (TBF-99)
un phénomène. Il nous faut savoir distinguer et relier, mais éviter de disjoindre et confondre. Il nous faut éviter le Charybde de la disjonction /réduction et le Scylla de la confusion, c'est-à-dire qu'il nous faut à la fois distinguer, analyser, associer, synthétiser. Il nous faut essayer de reconnaître la multidimensionnalité des phénomènes, reconnaître la présence de l'observateur/concepteur dans l'observation-conception, c'est-à-dire la présence du sujet dans l'objet. La complexité est condamnée à naviguer entre simplification et confusion. (PSVS-81)