Tout d'abord, il est utile de
bien différencier les différents types
de narration tels que :
- La narration orale (ce sont les histoires racontées au coin du feu, c'est la tradition orale)
La narration écrite et ses variantes (poésie, théâtre, roman, nouvelle, ayant chacune leur propre règle)
La narration par l'image (celle qui est spécifique à la BD)
Bien sûr nous allons nous attarder
sur cette dernière, tout d'abord tel un tableau
de peinture d'un grand maître, l'image est expressive
à elle seule et peut raconter bien des histoires,
même s'il s'agit d'une image unique, car l'auteur
aura su dissimuler différents éléments
qui pousseront son observateur à imaginer différentes
interprétations et donc différents récits
à ce même tableau. C'est d'autant plus
vrai pour les oeuvres qui s'éloignent le plus
du style réaliste pour aller vers des représentations
iconiques voire symboliques tel que l'a très
bien décrit Mc Cloud dans son ouvrage (voir
ici).
Seulement voilà, une image unique ne définit pas la bande dessinée, mais reflète le caractère d'illustration ou de peinture. La BD se définit par une juxtaposition d'une image avec une autre créant une narration par l'image et vu de façon simultanée (c'est ce qui la différencie du cinéma).
La BD a un langage propre. Mais ne nous y trompons pas, ce
n'est pas la juxtaposition d'un texte écrit
et d'images qui font la BD, mais belle et bien la
juxtaposition d'images s'enchaînant les unes
aux autres et créant un discours par l'image.
Certaines oeuvres ne font appel à aucun texte
et ce sont bel et bien des BD.
Cependant si l'auteur veut insuffler
et développer une notion de mouvement ou de
temps, la vignette unique ne suffit plus, l'auteur
doit alors enchaîner plusieurs images afin de
développer une histoire et donc une narration
par l'image, très souvent complétée
par du texte mais pas toujours.
Je citerais ici un bref passage d'une
étude de Pierre Roy ( Professeur de lettre
à l'université de Rennes) :
« Pour accéder au récit, au total,
il y a « avantage » de facilité
à la BD sur l'expression « linguistique »,
donc, pour « raconter », puisque
aussi bien l'oeil du lecteur n'a qu'à regarder
pour saisir une situation dans sa globalité
et y « participer » mentalement.
Dans cette mesure, entre parenthèses, on constate
qu'il y a peut-être quelque abus de langage
à parler de « lecture »
de BD : en effet la lecture ne suppose-t-elle
pas l'interprétation d'un signe ? Lecture
d'un texte écrit, lecture d'une partition musicale :
dans ces deux cas, il faut supposer un travail mental
de reconstitution de ce qui est à percevoir
tandis que la succession des vignettes offre du « prêt
à percevoir » à leur « spectateur »
(ce qui ne veut pas dire, évidemment, qu'il
n'y pas problème avec certains dessinateurs
qui multiplient les angles de vue insolites, focalisent
un détail qu'on ne peut resituer dans l'ensemble
qu'au prix d'un long effort, font éclater le
cadre de la vignette etc., parfois de façon
motivée, parfois au risque de l'artificialité)
Quant aux approches visuelles d'un
même micro-événement (les étapes
d'une chute, par exemple, décomposables en
plusieurs vignettes) il y a « avantage »
de diversité à la
BD sur le cinéma : elle peut changer son
cadrage, son angle de vision, quasiment à chaque
vignette et donner ainsi plus à voir, s'agissant
d'un instant bref, dans la succession des images que
le cinéma, tributaire de la capacité
de l'oeil, pris dans un défilé irréversible
(durant la projection ou ce qui en tient lieu), à
modifier de micro-instant en micro-instant son champ
de vision : à trop et trop vite solliciter
l'oeil par des changements incessants, on ferait éprouver
au spectateur de cinéma un vertige confusionniste
irrémédiable alors que le « temps »
de visionnement d'une BD, les retours en arrière
du regard, ses arrêts sur image au fil des pages,
sans rupture de l'histoire, permet toutes les audaces.. »