Abandon : - N'est-ce pas avoir acquis une première connaissance fondamentale que celle-ci : la connaissance ne saurait être assurée d'un fondement ? Cela ne nous inciterait-il pas à abandonner la métaphore architecturale, où le mot "fondement" prend un sens indispensable, pour une métaphore musicale de construction en mouvement qui transformerait dans son mouvement même les constituants qui la forment ? Et n'est-ce pas aussi comme construction en mouvement que nous pourrions envisager la connaissance de la connaissance ? (M3-86)
- Nous avons dû abandonner un univers ordonné, parfait, éternel pour un univers en devenir dispersif, né dans le rayonnement, où jouent dialogiquement, c'est-à-dire de façon à la fois complémentaire, concurrente et antagoniste, ordre, désordre et organisation. Nous avons dû abandonner l'idée d'une substance vivante spécifique, animée d'un souffle propre, pour découvrir la complexité d'une organisation vivante émergeant de processus physico-chimiques terrestres. Nous avons dû abandonner l'idée d'un homme surnaturel relevant d'une création séparée, pour le faire émerger d'un processus où il se dégage de la nature sans toutefois s'en dissocier.
Il nous faut abandonner les deux mythes majeurs de l'Occident moderne : la conquête de la nature-objet par l'homme sujet de l'univers, le faux infini vers lequel s'élançaient la croissance industrielle, le développement , le progrès. Il nous faut abandonner les rationalités partielles et closes, les rationalisations abstraites et délirantes qui considèrent comme irrationnelle toute critique rationnelle qui les vise. Il faut nous délivrer du paradigme pseudo-rationel de l'homo sapiens faber selon lequel science et technique assument et accomplissent le développement humain. La tragédie du développement et le sous-développement du développement , la course effrénée de la techno-science, l'aveuglement que produit la pensée parcellaire et réductrice, tout cela nous a jetés dans l'aventure incontrôlée. (TP-93)
- Nous ne serons pas frères parce que nous sommes assurés qu'ainsi nous serons assurés d'un salut éternel : un chemin tout tracé. Nous le serons au contraire parce que nous savons qu'il n'est sans doute pas de salut assuré, et parce qu'il est si plausible de considérer que nous soyons tous condamnés à être abandonnés sur une toute petite planète qui dérive dans un cosmos indifférent. (TP-93)
- ...il faut abandonner toute loi de l'histoire, toute croyance providentielle au progrès, et extirper la funeste foi dans le salut terrestre. Ce qui reste et restera, ce sont les aspirations à la fois libertaires et fraternitaires, aspirations à l'épanouissement humain et à une société meilleure qui se sont exprimées sous le terme de socialisme. (PC-97)
- L'abandon de l'idée de salut est lié à la compréhension qu'il n'y a pas de lois de l'histoire, que le progrès n'est pas garanti, qu'il n'est pas automatique. Non seulement le progrès doit être conquis, mais, chaque fois qu'il est conquis, il peut régresser et il faut sans cesse le régénérer. (APS-97)
- L'historien est quelqu'un qui doit, si j'ose dire, s'auto-épistémologiser. Si, dans toute science, dans toute connaissance, il faut essayer de réfléchir sur les présupposés de son savoir, je crois que l'historien est le plus proche de cette conscience aujourd'hui. Il faut abandonner le grand déterminisme historique au profit de multiples déterminations, il doit abandonner la causalité linéaire pour une causalité inter-rétroactive, il doit abandonner la vision occidentalocentrique qui semblait évidente et rationnelle il y a cinquante ans. Il doit faire copuler Marx et Shakespeare. (RC-99)
- Dès le début d'une action , celle-ci tend à échapper à la volonté de ses auteurs ou acteurs pour entrer dans un jeu d'inter et rétroactions propres au milieu où elle intervient notamment le milieu social et à ce moment là peut non seulement dévier de son chemin mais se retourner contre son auteur. Je dirais même que la règle, c'est que l'action échappe à son auteur. (EAP-95)
- La conscience écologique, c'est-à-dire la conscience d'habiter, avec tous les êtres mortels, une même sphère vivante (biosphère) ; reconnaître notre lien consubstantiel avec la biosphère nous conduit à abandonner le rêve prométhéen de la maîtrise de l'univers pour nourrir l'aspiration à la convivialité sur terre.(SSEF-00)
Action :
- Sachons-le : rien n'est promis d'avance, rien n'est garanti, ni par Dieu ni par l'histoire. La pensée est incertaine. La connaissance de la société est très incertaine. L'action est incertaine (aléas, dérives, inversions de sens, réactions). Tout changement , toute rupture dans le tissu social comporte risques et chances au départ inconnus. C'est dire qu'il nous faut, dans la pensée, la croyance et l'action, vivre dans l'incertitude : vivre avec n'est pas seulement tolérer, mais dialoguer avec, travailler avec l'incertitude.
- Une action peut être à la fois déterminée et libre. Elle peut être plus ou moins libre. Nous sommes plus ou moins libres en fonction de nos aptitudes intérieures à organiser notre liberté, et aussi, en fonction des déterminations économiques, sociales, politiques, historiques qui nous enserrent, nous asservissent ou, au contraire, nous ouvrent des possibilités d'autonomie.
- L'action libre s'appuie sur la connaissance et l'utilisation des déterminations (les constances, structures, lois). L'action libre, simultanément, s'appuie sur les possibilités aléatoires qui se présentent dans la situation où elle intervient (stratégie). (PSVS-81)
- L'action est stratégie, l'action est pari ; le véritable homme d'action, le stratège, pas seulement militaire mais aussi politique, doit percevoir toute la complexité de la situation pour prendre sa décision ; il doit savoir qu'il prend un pari, que l'action est aléatoire. Nous devons être conscients de faire des paris et des choix aléatoires de façon à pouvoir les corriger. (APM-90)
- J'ajoute que la véritable action a toujours été un risque, nécessitant une stratégie, c'est-à-dire la mise en uvre d'un scénario qui peut être modifié en fonction des informations survenues en cours de route. L'action a toujours connu l'incertitude. Pour nos ancêtres chasseurs-ramasseurs comme pour nous-mêmes, la vie n'a pas cessé d'être une aventure. Aujourd'hui, il suffit de regarder l'aventure politique. Ceux qui avaient des certitudes se sont auto-effondrés, parfois de façon grotesque.... Tous les grands événements de notre siècle étaient absolument inattendus la veille même du jour où ils ont surgi, à commencer par la guerre de 1914. Travailler dans l'incertain et dans l'inattendu, c'est le destin de la pensée et de l'action humaines.
- Travailler dans l'incertain et dans l'inattendu, c'est le destin de la pensée et de l'action humaines. C'est ce que nomme le principe d'écologie de l'action : quand quelqu'un entreprend une action , il peut la contrôler tout au début, mais après elle échappe à sa volonté parce qu'elle entre dans un jeu d'interactions et de rétroactions propres au milieu dans lequel elle intervient. Il en va de même pour l'action politique. Le savoir, ce n'est pas se décourager, c'est avoir conscience du risque inhérent à l'action , de la nécessité de la corriger, voire de la torpiller si elle va dans le sens contraire du but initial. (LM-91)
- Je sais que la contradiction demeure et demeurera au cur de l'action , de l'éthique et de la politique. (MD-94)
- L'on peut certes envisager ou supputer les effets à court terme d'une action , mais ses effets à long terme sont imprédictibles. Ainsi les conséquences en chaîne de 1789 ont-elle été toutes inattendues. La Terreur, puis Thermidor, puis l'Empire, puis le rétablissement des Bourbons et, plus largement, les conséquences européennes et mondiales de la révolution française ont été imprévisibles jusqu'en octobre 1917 inclus, comme ont été ensuite imprévisibles les conséquences d'octobre 1917, depuis la formation jusqu'à la chute d'un empire totalitaire. Ainsi, nulle action n'est assurée d'uvrer dans le sens de son intention.
- On a parfois limpression que laction simplifie car, dans une alternative, on décide, on tranche. Or, laction est décision, choix, mais cest aussi pari. Et dans la notion de pari, il y a la conscience du risque et de lincertitude. Ici intervient la notion de lécologie de l'action . Dès quun individu entreprend une action , quelle quelle soit, celle-ci commence à échapper à ses intentions. Cette action entre dans un univers dinteractions et cest finalement lenvironnement qui sen saisit dans un sens qui peut devenir contraire à lintention initiale.(SSEF-00)
- ...l'action risque non seulement l'échec, mais aussi le détournement ou la perversion de son sens." ... Les effets de l'action dépendent non seulement des intentions de l'acteur, mais aussi des conditions propres au milieu où elle se déroule. Ainsi, en concevant le contexte de l'acte, l'écologie de l'action introduit l'incertitude et la contradiction dans l'éthique.
Puisque les conséquences d'une action juste sont incertaines, le pari éthique, loin de renoncer à l'action par peur des conséquences, assume cette incertitude, reconnaît ses risques, élabore une stratégie. (M6-04)
Adolescence : -
- Ce que nous cherchons, c'est de ne pas faire honte à l'adolescent que nous avons été. L'essentiel, pour chacun de nous, est de savoir s'il refuse de s'installer dans la vie, c'est-à-dire dans la mort, s'il a des amis plutôt que des relations, des camarades plutôt que des maîtres et des disciples, de l'amour plutôt que de la famille et s'il ne vend pas son âme dans son travail et ses activités. Je ne prétends nullement être l'homme libre que je voudrais être, je connais assez mes égoïsmes, mes chutes, mes peurs ; mais je ne suis pas devenu celui que j'aurais craint de devenir ; je fais partie de ces petits groupes semi-marginaux, un pied dans le système de la vie quotidienne quand même, l'autre qui gigote. Ce n'est pas brillant, ce n'est pas désolant. (ARG14-59)
Affectivité :
- La culture de masse unit intimement en elle les deux universels, l'universel de l'affectivité élémentaire et l'universel de la modernité. Ces deux universalités s'appuient l'une sur l'autre, et dans ce double mouvement s'accentue la force de diffusion mondiale de la culture de masse. (ET-62)
- Homo Sapiens est un être d'une affectivité intense et instable qui sourit, rit, pleure, un être anxieux et angoissé, un être
jouisseur, ivre, extatique, violent, aimant, un être envahi par l'imaginaire, un être qui sait la mort et ne peut y croire, un être qui sécrète
le mythe et la magie, un être possédé par les esprits et les dieux , un être qui se nourrit d'illusions et de chimères, un être subjectif dont les rapports avec le monde objectif sont toujours incertains, un être soumis à l'erreur, à l'errance, un être ubrique qui produit du désordre. Et comme nous appelons folie la conjonction de l'illusion, de la démesure, de l'instabilité, de l'incertitude entre réel et imaginaire, de la confusion entre subjectif et objectif, de l'erreur, du désordre, nous sommes contraints de voir qu'homo sapiens est aussi homo demens.(PP-73)
- Si on définit homo uniquement comme sapiens, on en occulte l'affectivité, et on le disjoint de la raison intelligente. Or, quand vous remontez en deçà de l'humanité, vous êtes frappé par le fait que le développement de l'intelligence chez les mammifères (capacité stratégique de connaissance et d'action) est étroitement corrélé avec le développement de l'affectivité. [
] L'affectivité comporte évidemment un aspect noir. L'aspect rose est la participation, l'amour, les échanges, toutes choses qui apparaissent déjà chez nos cousins chimpanzés. L'aspect noir apparaît aussi chez eux avec leur facilité à se mettre en colère pour des riens, comme nous dans les rues de Paris. Ils connaissent les colères, les fureurs, le stress. L'affectivité est à la fois ce qui nous aveugle et ce qui nous éclaire, mais l'affectivité humaine a inventé quelque chose qui n'existait pas : la haine, la méchanceté gratuite, la volonté de détruire pour détruire.
- La folie humaine est source de haine, cruauté, barbarie, aveuglement. Mais sans les désordres de l'affectivité et les débordements de l'imaginaire, sans la folie de l'impossible, il n'y aurait pas d'élan, de création, d'invention, d'amour , de prose">poésie - Lhomme de la rationalité est aussi celui de laffectivité du
mythe et du délire (demens). Lhomme du travail est aussi
lhomme du jeu (ludens). L'homme empirique est aussi
l'homme imaginaire (imaginarius). Lhomme
de léconomie est aussi celui de la " consumation " (consumans). Lhomme prosaïque est aussi celui
de la poésie, cest-à-dire de la ferveur, de la participation, de lamour , de lextase. L'amour est poésie. Un amour naissant inonde le monde
de poésie, un amour qui dure irrigue de poésie la vie quotidienne, la fin d'un amour nous rejette dans la
prose.
- On pourrait Croire qu'on pourrait éliminer le risque d'erreur en refoulant toute affectivité . Effectivement, le sentiment, la haine, l'amour , l'amitié peuvent nous aveugler. Mais il faut dire aussi que déjà dans le monde mammifère, et surtout dans le monde humain, le développement de l'intelligence est inséparable de celui de l'affectivité , c'est-à-dire de la curiosité, de la passion, qui sont des ressorts de la recherche philosophique ou scientifique. Aussi l'affectivité peut étouffer la connaissance, mais elle peut aussi l'étoffer. Il y a une relation étroite entre lintelligence et laffectivité : la faculté de raisonner peut être diminuée, voire détruite, par un déficit d'émotion ; l'affaiblissement de la capacité à réagir émotionnellement peut être même à la source de comportements irrationnels. (SSEF-00)
- L'unité affective est aujourd'hui établie. Les études d'éthologie infantile ont montré que le nourrisson sourit de lui-même, rit de lui-même , pleure de lui-même ; elle ont montré qu'il a, de nature, le sens de l'intersubjectivité et de la communication.... Les cultures modulent diversement leur expression, peuvent induire à leur exhibition ou à leur inhibition, mais l'universalité de ce qui manifeste joie, plaisir, bonheur, amusement, chagrin, douleur, témoigne de l'unité affective du genre humain. Les grands sentiments sont effectivement universels : amour, tendresse, affection, amitié, haine, respect, mépris..... Les différences raciales, ethniques, culturelles, n'ont pas altéré l'unité affective, mais elles ont pu altérer la compréhension, d'une culture à l'autre, d'un sourire ou d'un rire. (M5-01)
Âge de fer planétaire : - De toutes façons, il nous semble que nous sommes entrés dans le développement de la crise du développement, dans un «âge de fer planétaire», dans une crise de l'humanité en tant qu'humanité, dans une redistribution des relations entre individus et sociétés. Il nous semble que tous les progrès inouïs de notre vingtième siècle comportent en même temps potentialités de progression et de régression, d'émancipation et d'asservissement, de nouvelle vie et d'anéantissement. (JL-81)
- Nous sommes encore à la préhistoire de l'esprit humain. Le problème anthropologique de l'organisation sociale et de la vie en société n'a pas trouvé sa solution fondamentale. Nous sommes dans une ère de crises, bruit et fureur, progressions/régressions. Et, en même temps, corrélativement, nous avons accédé à l'ère planétaire où, comme une nébuleuse spirale, l'humanité tend à accéder à l'être. Nous sommes dans l'âge de fer planétaire. Et cet âge de fer est en même temps l'ère ouranienne des Etats-Nations.
- Les Etats-nations sont des monstres paranoïdes, qui considèrent comme ennemi a priori leur voisin et comme suspect leur ressortissant. Ils s'affrontent comme des dinosaures et des ptérodactyles, dans une furie de sang de plus en plus démente. Ils ne reconnaissent aucune loi supérieure à leur volonté barbare. Les traités sont toujours des chiffons de papier que déchire tout nouveau rapport de forces. Ils sont incapables d'aimer et sont dépourvus de conscience. Et nous, individus, nous, humanité, dépendons totalement des ivresses, fureurs et cruautés de ces monstres ouraniens. Le sort de la planète est entre leurs mains. C'est bien des Etats-nations que vient la menace suprême qui pèse et sur les individus en tant qu'individus (l'aliénation totalitaire) et sur l'humanité en tant qu'humanité (l'anéantissement total). C'est dire que nous ne sommes qu'à l'ère secondaire de la politique. C'est dire que nous sommes encore à la préhistoire de l'organisation sociale, à la préhistoire de l'esprit humain : l'âge de fer planétaire.
- Nous ne savons pas si l'agonie où nous sommes entrés est celle de la naissance ou de la mort de l'humanité. Ainsi, tout en préparant une nouvelle Renaissance, tout en demeurant dans la préhistoire de l'esprit, ce n'est pas un vrai Moyen Age que nous vivons, ce n'est pas une vraie Renaissance que nous préparons, ce n'est pas la préhistoire que nous achevons. Nous sommes dans l'âge de fer planétaire. Mais un âge de fer est par lui-même forgeron. C'est l'humanité que forge l'âge de fer planétaire. La différence avec l'ancien âge de fer, où se forgeait la civilisation technique, est que celle-ci ne portait pas en elle la menace d'anéantissement de l'humanité, sinon en son terme actuel où l'extrême développement technique permet à la fois la genèse de l'humanité planétaire, c'est-à-dire ce nouvel âge de fer, et sa destruction apocalyptique. (PSVS-81)
- Comme toujours, la crise de l'idéologie dominante est la crise des fondements mêmes de la société. Les notions de science, technique, rationalité, qui semblaient être les notions guides, contrôleuses, régulatrices, apparaissent au contraire comme les notions aveugles, incontrôlées, fabriquant de l'irrationalité, irrationalité dont toujours la forme la plus extrême (parce que la mieux camouflée) a été la rationalisation. Nous avions cru contrôler la nature, mais notre contrôle était incontrôlé. Nous avions cru contrôler l'économie, mais la crise apparue en 1973 nous a révélé que le contrôle économique des années d'après guerre était non seulement lacunaire, mais provisoire. Nous avions cru contrôler la technique, mais nous ne sommes pas aptes à contrôler la gigantesque reconversion qu'opèrent l'informatique, la computique et l'électronique. Nous n'avons jamais pu contrôler le devenir mondial, lequel est sans discontinuer crisique, chaotique, titubant, dément, et cela est aussi heureux (car nous avons jusqu'à aujourd'hui évité le règne d'un Empire unique sur le monde) que malheureux (car nous n'arrivons pas à accéder à la nécessaire fédération mondiale). Comme je l'ai souvent répété, nous sommes dans "l'âge de fer planétaire" et la "préhistoire de l'esprit humain". (SO-84)
- L'âge de fer planétaire, c'est aussi l'âge de fer des idées. La recherche d'une relation civilisée entre l'esprit et l'idée va de pair avec la recherche d'une société civilisée. Le problème du sous-développement de l'esprit humain, y compris scientifique, est au cur de notre problème historique. Le sous-développement n'est pas seulement celui des esprits voués aux illusions mythologiques, aux croyances superstitieuses, et aux grossièretés idéologiques. C'est aussi celui de l'esprit techno-scientifique, hyper-spécialisé, unidimensionnel et abstrait, voué aux théories réductrices et obéissant aux paradigmes mutilants; l'abstraction colonise notre monde, et il est nécessaire de coloniser les abstractions qui nous colonisent. (M4-91)
- En 1945, la bombe d'Hiroshima a fait entrer l'âge de fer planétaire dans une phase damocléenne. La crainte du péril nucléaire, un temps assoupie, s'est réveillée au cours de la dernière décennie. Si les Etats-Unis et la Russie s'emploient à réduire un stock nucléaire capable de détruire plusieurs fois l'humanité, l'arme se dissémine, se miniaturise ; elle est déjà la propriété d'Etats paranoïdes et elle sera bientôt à la disposition de dictateurs fous et de groupes terroristes. La potentialité d'auto-anéantissement accompagne désormais la marche de l'humanité. une autre menace damocléenne s'est levée après l'alerte écologique de 1970-1972 ; on se rend progressivement compte, dans les années 1980, que le développement techno- industriel détermine des dégradations et pollutions multiples, et, aujourd'hui, la mort plane dans l'atmosphère, promise au réchauffement par l'effet de serre. Ainsi, une mort d'un type nouveau s'est introduite dans la sphère de vie dont fait partie l'humanité. (TP-93)
- Nous savons aujourd'hui que les possibilités cérébrales de l'être humain sont encore en très grandes parties inexploitées. Nous sommes encore dans la préhistoire de l'esprit humain. Comme les possibilités sociales sont en relation avec les possibilités cérébrales, nul ne peut assurer que nos sociétés aient épuisé leurs possibilités d'amélioration et de transformation et que nous soyons arrivés à la fin de l'histoire....
- Nous vivons une époque incertaine où sont mêlés les germes progressifs et les germes régressifs. Certes, la modernité est en crise parce que la certitude du progrès et la foi dans le futur étaient les fondements de la modernité. Mais le mot postmoderne est trop pauvre pour parler de ce que nous vivons effectivement, et qui est plus que la fin des Temps modernes. Nous vivons quelque chose d'aussi important que le fut la transition entre le paléolithique et le néolithique, qui a vu le début de la disparition des petites sociétés de quelques centaines d'individus - sans agriculture, sans Etat, sans ville, sans armée, sans classes sociales, etc. -, tandis que naissaient, encore très marginalement, les premières cités et les premiers empires. Ainsi le monde historique est né. Les civilisations historiques se sont répandues sur le globe, dévorant ou anéantissant les civilisations préhistoriques. Puis l'impérialisme européen a remis en relations, après cinquante millénaires de diaspora, ou plus, tous les représentants de l'espèce humaine. Ainsi l'ère planétaire est née et s'est développée dans la conquête, l'asservissement, la guerre. Nous sommes toujours dans l'âge de fer planétaire, et nous ne savons si nous pourrons sortir de cet âge de fer et de la préhistoire de l'esprit humain. (PC-97)
- Nous sommes dans la préhistoire de l'esprit humain, ce qui signifie que les capacités mentales humaines sont encore sous-exploitées, notamment sur le plan des relations avec autrui. Nous sommes des barbares dans nos relations avec autrui, pas seulement dans les rapports entre religions et peuples différents mais au sein même d'une famille, entre parents, où la compréhension fait défaut. (LFM-97)
- Conçu de façon seulement technico-économique, le développement est à terme insoutenable, y compris le développement durable. Il nous faut une notion plus riche et complexe du développement qui soit non seulement matériel mais aussi intellectuel, affectif, moral
Le XX siècle na pas quitté l'âge de fer planétaire ; il sy est enfoncé. (SSEF-00)
Agonie : - La planète est en détresse : la crise du progrès affecte l'humanité toute entière et entraîne partout des ruptures, fait craquer les articulations, détermine les replis particularistes; les guerres se rallument; le monde perd la vision globale et l'intérêt général. Tant de problèmes dramatiquement liés font penser que le monde n'est pas seulement en crise, il est dans cet état violent - où s'affrontent les forces de mort et les force de vie - que l'on peut appeler agonie. Bien que solidaires, nous demeurons ennemis les uns des autres, et le déferlement des haines de races, de religion, d'idéologie, entraîne toujours guerres, massacres, tortures, mépris. L'humanité n'arrive pas à accoucher de l'Humanité
Nous ne savons pas encore s'il s'agit de l'agonie d'un vieux monde, qui annonce une nouvelle naissance, ou une agonie mortelle
- La techno-science n'est pas seulement la locomotive de l'ère planétaire. Elle a envahi tous les tissus des sociétés développées, implantant de façon organisatrice la logique de la machine artificielle jusque dans la vie quotidienne, en refoulant de la compétence démocratique les citoyens au profit des experts et des spécialistes. Elle a opéré ses crackings sur la pensée en lui imposant disjonctions et réductions. La techno-science est ainsi noyau et moteur de l'agonie planétaire. (TP-93)
- Nous sommes arrivés, en cet âge de fer , à un état nouveau d'agonie planétaire : si l'on considère globalement les deux cyclones des guerres mondiales du XX siècle et le cyclone inconnu en formation - peut-être le pire de tous -, si l'on considère les menaces mortelles sur l'
humanité venues de l'humanité elle-même, si l'on considère enfin et surtout la situation actuelle de polycrises enchevêtrées et indissociables, alors la crise planétaire d'une humanité encore incapable de s'accomplir en tant qu'
humanité peut être nommé agonie, c'est-à-dire l'état tragique et incertain où les symptômes de mort et de naissance se confondent : un passé mort ne meurt pas, un avenir
naissant n'arrive pas à naître. (PC-97)
- Nous sommes dans une époque "agonique" , et nous le savons
. Le monde a des
problèmes enchevêtrés. Quelque chose meurt, mais ce qui meurt n'est pas mort, ce qui naît n'est pas né. Le mot agonie dans son sens originaire veut dire cette lutte intérieure dont on ne sait pas si c'est la naissance ou la mort qui va venir. Nous sommes dans une époque agonique. Un proverbe turc dit : "les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra.". (NCJN-00)
- L'humanité n'arrive pas à accoucher de l'Humanité. Nous ne savons pas encore s'il s'agit seulement de l'agonie d'un vieux monde, qui annonce une nouvelle naissance, ou d'une agonie mortelle. Une conscience nouvelle commence démerger : lhumanité est emportée dans une aventure inconnue.(SSEF-00)
Ami - Amitié :
- Nos amis divers sont les incarnations de nos personnes intérieures brimées et atrophiées. Nos amis c'est nous-même. C'est ce que Montaigne pressentait quand il parlait de La Boétie. Peut-être a-t-il chassé de sa plume la formulation qui lui venait et l'a-t-il remplacée par la belle valorisation de l'affectif contre l'intellectuel - "parce que c'était lui et parce que c'était moi". Il faut comprendre : parce que lui c'était moi et moi c'était lui. (VS-69)
Amour - amour et poésie : -
- L'amour est un complexe, c'est-à-dire qu'on ne saurait le réduire à une donnée pure. La sexualité, l'érotisme, les sentiments - complexes eux-mêmes - se nouent et s'y combinent. Certes, il y a les cas extrêmes de l'amour spiritualisé et de l'amour "qu'on a dans la peau", de l'amour égoïste et de l'amour altruiste, mais dans chacun de ces cas il y a latence, refoulement ou transmutation des divers éléments qui constituent "le complexe d'amour". Dans l'amour courtois il y a la sublimation ou refoulement de l'amour charnel ; dans l'amour "qu'on a dans la peau" il y a un lien passionnel qui s'ajoute à la sexualité brute. Les multiples formes de l'amour révèlent la puissance, l'aptitude aux métamorphoses d'un polymorphe Eros apte à emprunter les voies du balbutiement religieux, de la communication des âmes, de la caresse, du baiser, du coït. (ARG21-61)
- L'amour : -- Lutte contre la séparation, maintient l'union dans la séparation (parents/enfants/frères/ surs ; -- fait rencontrer ceux qui ne devaient pas se connaître (amitiés, amours de rencontre) ; -- fait communiquer et communier des étrangers ; -- unit ce qui devrait se haïr à jamais (la "leçon" de Roméo et Juliette) ; -- lie ce qui est libre et peut, ainsi lié, demeurer libres ; -- peut donner pleine combustion à nos vies sans laisser résidus, suies, fumées.
- L'amour porte dans son principe, et le plein épanouissement de la subjectivité de l'aimant, et la pleine reconnaissance de l'être subjectif de l'aimé(e), et, en même temps, il constitue un dépassement trans-subjectif dans la communauté aimante. Ainsi, l'amour est à la fois moyen (de lutte contre la dispersion, d'union), et fin (puisqu'il en est l'accomplissement le plus riche) de l'hypercomplexité. C'est l'émergence, le besoin, la nécessité interne de l'hypercomplexité.
- Plus les individus, parce que de plus en plus livrés à la solitude, l'isolement, le manque, le besoin, ont besoin pour vivre de donner et recevoir l'amour. Dans ce sens, l'amour est la véritable religion - au sens originel du terme : ce qui relie - de l'hypercomplexité : il relie les individualités égocentriques dans leurs caractères les plus intimement et intensément subjectifs. En même temps, cette idée "religieuse" et apparemment irrationnelle est la rationalité de l'hypercomplexité : elle est ce qui, au sein même du processus de désintégration et de désunion, réintègre et réunit. (M2-80)
- L'amour est l'antidote, la riposte - non la réponse - à l'angoisse. C'est l'expérience fondamentalement positive de l'être humain, où la communion, l'exaltation de soi, de l'autre, sont portées à leur meilleur, lorsqu'elles ne sont pas altérées par la possessivité. Ne pourrait-on dégeler l'énorme quantité d'amour pétrifié en religions et abstractions, le vouer non plus à l'immortel, mais au mortel ? (TP-93)
- Bien que relevant d'un épanouissement culturel et social, l'amour n'obéit pas à l'ordre social : dès qu'il apparaît, il ignore ces barrières, s'y brise, ou les brise. Il est "enfant de bohème".
- Il nous faut percevoir cette bipolarité : d'un côté, un amour spirituel exalté qui justement a peur de se dégrader dans le contact charnel et, de l'autre, une "bestialité" qui pourra trouver sa propre sacralité dans cette part maudite assumée par la prostituée. La bipolarité de l'amour, si elle peut écarteler l'individu entre amour sublimé et désir infâme, peut se trouver aussi en dialogue, en communication : il y a des moments bienheureux où la plénitude du corps et la plénitude de l'âme se rencontrent.
- Comme tout ce qui est vivant et tout ce qui est humain, l'amour est soumis au deuxième principe de la thermodynamique qui est un principe de dégradation et de désintégration universel. Mais les êtres vivants vivent de leur propre désintégration en la combattant par la régénération.
- L'amour c'est la régénération permanente de l'amour naissant. Tout ce qui s'institue dans la société, tout ce qui s'installe dans la vie commence à subir des forces de désintégration ou d'affadissement. Le problème de l'attachement dans l'amour est souvent tragique, car l'attachement s'approfondit souvent au détriment du désir.
- Je dirai sur l'amour ce que je dis en général sur le mythe. Dès qu'un
mythe est reconnu comme tel, il cesse de l'être. Nous sommes arrivés à ce
point de la conscience où nous nous rendons compte que les mythes sont des
mythes. Mais nous nous apercevons en même temps que nous ne pouvons pas nous passer
de mythes. On ne peut pas vivre sans mythes et j'inclurai
parmi les "mythes" la croyance à l'amour, qui est un des plus nobles et des plus
puissants, et peut-être le seul mythe auquel nous devrions nous attacher. Et pas seulement,
alors, amour inter-individuel, mais dans un sens beaucoup plus élargi, sans évidemment scotomiser l'amour individuel.
- L'amour pose à sa façon le problème du pari de Pascal, lequel avait compris qu'il n'y a aucun moyen de prouver
logiquement l'existence de Dieu . On ne peut pas prouver empiriquement et logiquement la nécessité de l'amour. On ne
peut que parier pour et sur l'amour. adopter avec notre mythe d'amour l'attitude du pari, c'est être capable de nous donner à lui, tout en dialoguant avec lui de façon critique.
- L'authenticité de l'amour, ce n'est pas seulement de projeter notre vérité sur l'autre et finalement ne voir l'autre que selon nos yeux, c'est de nous laisser contaminer par la vérité de l'autre. il ne faut pas être comme ces croyants qui trouvent ce qu'ils cherchent parce qu'ils ont projeté la réponse qu'ils attendaient. Et c'est ça aussi, la tragédie : nous portons en nous un tel besoin d'amour que parfois une rencontre au bon moment - ou peut-être au mauvais moment - déclenche le processus du foudroiement, de la fascination. A ce moment là, nous avons projeté sur autrui ce besoin d'amour, nous l'avons fixé, durci, et nous ignorons l'autre qui est devenu notre image, notre totem. Nous l'ignorons en croyant l'adorer. C'est là, effectivement, une des tragédies de l'amour : l'incompréhension de soi et de l'autre. Mais la beauté de l'amour, c'est l'interpénétration de la vérité de l'autre en soi, de celle de soi en l'autre, c'est de trouver sa vérité à travers l'altérité. (APS-97)
- L'amour est l'expression supérieure de l'éthique.... l'amour a toujours besoin d'une conscience rationnelle en veilleuse.(M6-04)
Amour et poésie - L'amour fait partie de la poésie de la vie. La poésie fait partie de l'amour de la vie. Amour et poésie s'engendrent l'un l'autre et peuvent s'identifier l'un à l'autre. Si l'amour est l'union suprême de la sagesse et de la folie, il nous faut assumer l'amour.
- Notre aujourd'hui est en quête de sens. Mais le sens n'est pas originaire, il ne vient pas de l'extérieur de nos êtres. Il émerge de la participation, de la fraternisation, de l'amour. le sens de l'amour et le sens de la poésie, c'est le sens de la qualité suprême de la vie. Amour et poésie, quand ils sont conçus comme fins et moyens du vivre, donnent plénitude de sens au «vivre pour vivre».
- L'amour fait partie de la poésie de la vie. Nous devons donc vivre cette poésie, qui ne peut pas se répandre sur toute la vie parce que, si tout était poésie, tout ne serait que prose. De même qu'il faut de la souffrance pour connaître le bonheur, il faut de la prose pour qu'il y ait poésie. (APS-97)
- L'amour est poésie. Un amour naissant inonde le monde de poésie, un amour qui dure irrigue de poésie la vie quotidienne, la fin d'un amour nous rejette dans la prose. (SSEF-00)
Animal :
- Nous portons l'héritage et l'hérédité animale dans notre jouir, notre jouer, notre aimer, notre connaître, notre penser, notre chercher et pas seulement ni principalement dans la dominance, l'agression, la territorialité. L'hominisation ne supprime pas l'animal en l'homme, elle l'accomplit. Mais par là même s'accomplit une mutation dans l'animalité qui devient humanité, une révolution dans l'évolution qui devient psychique, sociale, culturelle, puis se transforme en devenir historique. - Pour le biologisme et l'anthropologisme, il est inconcevable qu'un animal qui consacre tant de forces à jouir et à s'enivrer, qui perd tant de temps à enterrer ses morts, accomplir des rites, danser, décorer, si mal ajusté dans son rapport avec l'environnement et avec lui-même, ai pu, non seulement survivre, mais accomplir dans l'univers hostile, dans le froid des glaciations, des progrès techniques, intellectuels et sociaux décisifs. Dès lors il faut penser - Nous sommes des enfants du monde vivant et animal, et toutes nos mythologies ont senti la parenté et le cousinage avec les autres vivants. Les humains ont souvent vénéré des dieux animaux, les enfants trouvent tout à fait naturel que les animaux des fables, des contes et des dessins animés parlent et soient doués de sentiments humains. Mais notre identité animale a été longtemps masquée par la civilisation occidentale, dont les progrès ont été payés par une terrible régression de conscience, allant jusqu'à considérer les animaux comme des machines et, pis, comme des objets manipulables à merci.... (M5-01)
Antisémitisme : - A-t-on vu le problème de l'antisémitisme sous l'angle des
mutations ? L'antisémitisme chrétien conserve le cordon ombilical entre les deux testaments, celui du Père et celui du Fils, d'où le fait
très remarquable que le judaïsme est la seule religion qui n'ait pas été radicalement éliminée de l'Occident chrétien. Mais en même temps,
le lien n'est pas seulement ombilical, il est de ressentiment et d'horreur (peuple, déicide, judas), d'où persécutions ininterrompues.
L'antisémitisme raciste est une mutation. La référence n'est plus le Christ, ni la religion du salut ; c'est la religion nationale et le
mythe de la fraternité - Et voilà qu'est né le troisième antisémitisme, se nourrissant aussi inconsciemment/consciemment des deux premiers, mais étant
différent : il se concentre sur le terme de sionisme identifié à impérialisme/capitalisme. Il arrive par derrière ; ses principes idéologiques
explicites et fondamentaux ne sont pas racistes, et il se déploie en un univers d'abord et principalement
non chrétien. C'est lui qui pourtant déjà (à Munich, à Anvers) est capable de massacrer indistinctement «du Juif». Et pendant ce temps là,
on attend l'antisémitisme sur la ligne Maginot de l'antinazisme : on tire sur les résidus et les groupuscules néo-hitlériens, comme si c'était
eux qui portaient le nouveau virus mortel. Mais ceux-là, ils portent un v irus dont la société demeure encore immune et, en frappant, il
favorisent les réactions de défense et de rejet. Alors que l'autre antisémitisme, il n'est pas encore compris, il ne se comprend pas lui-même.
Il s'avance au nom du socialisme, de la fraternité Anthropo-sociologie :
- Ouvrir l'anthropo-sociologie sur la vie, c'est reconnaître la plein réalité de l'homme. C'est briser avec la vision idéaliste d'un homme sur-naturel. C'est briser avec la vision disjonctive où l'homme relève de la vie seulement par les gènes et le corps, tandis que l'esprit et la société y échappent. Ouvrir l'anthropo-sociologie sur la vie, c'est l'ouvrir aussi sur nos vies. Les sciences de l'homme ont ôté toute signification biologique à ces termes : être jeune, vieux, femme, homme, naître, exister, mourir, avoir des parents, une famille. Ces mots renvoient à des catégories socioculturelles qui varient dans le temps et dans l'espace. Les idées de jeune, vieux, homme, femme, famille, parents, naissance, mort n'ont de sens vivant, ne reprennent leur sens biologique que lorsque nous les concevons dans notre vie privée, c'est-à-dire subjectivement. Mais la science qui renvoie la vie au privé est une science privée de vie. Effectivement cette science ne sait, ne peut donner de place à la solitude, la communion, l'amitié, la haine, l'amour, la pitié, l'éclat de rire, le sanglot, le hurlement, le râle, l'extase
L'anthropologie est exsangue, parce que sur-naturelle. Il nous faut donc ouvrir l'anthropologie pour y faire entrer la vie. - Au sein de cette anthropo-sociologie , la définition de l'homme doit être à la fois une et double : l'homme est un être bio <---> culturel. Ces deux termes ne sont pas seulement associés, ils sont deux constituants d'une même boucle, se renvoyant et se co-produisant l'un et l'autre. Ils ne se partagent pas le concept d' "homo". Ils s'occupent l'un et l'autre entièrement. Cette définition signifie du coup que l'homme est un être totalement biologique et totalement culturel. (PP-73) Anxiété :
- La vigilance est, semble-t-il, moins grande chez l'homme que chez les primates et lanxiété proprement humaine est moins liée au péril immédiat qu'à l'émergence de la conscience. L'anxiété, comme la conscience, suppose une pensée qui n'est plus seulement appliquée sur le comportement immédiat et sur l'environnement immédiat, et peu dès lors envisager de façon à la fois globale et temporelle de longue séquences de phénomènes. La distanciation spatiale va dès lors pourvoir faire apparaître le monde environnant comme "étranger"; la distanciation temporelle, elle, va faire découvrir le temps comme processus irréversible et incertitude de l'avenir. La conscience angoissante de cette double distanciation coïncide avec la conscience de la mort qui la surdétermine et l'approfondit. il y a conscience de la mort lorsqu'il y a connaissance de la mort comme phénomène objectif prévisible et prise de conscience subjective de cette mort. - Toujours refoulée, jamais annihilée, lanxiété humaine va être accrue par le développement socioculturel de sapiens, lequel entraîne nécessairement des interdits et des répressions. La crainte du châtiment, l'intériorisation de la culpabilité vont s'ancrer dès l'enfance, et l'émergence du père comme répresseur-protecteur socio-familial va surdéterminer cette anxiété intérieure. - Enfin lanxiété est liée à l'hyper-complexité cérébrale elle-même. (il semble par ailleurs que l anxiété de sapiens soit liée à un excès d'acide lactique dans le cerveau, lié à une déficience génétique proprement humaine.). La permanente désorganisation-réorganisation, le jeu renouvelé des antagonismes internes, les désordres et les crises, la faible stabilité de chacun de ses états, l'extrême sensibilité à l'égard des aléas externes font qu'un tel système ne peut connaître que de façon fragile et incertaine des états optimaux. - Produit de l'hypercomplexité, lanxiété est aussi productrice. Elle va stimuler la curiosité et la recherche errante de la
vérité qui explique, de la certitude qui rassure, du bonheur qui est dû, et cette recherche va prendre une extension
inouïe. Elle va à la fois entretenir les crises et être entretenue par elles. Elle va stimuler et entretenir les
mythes, magies, religions, qui contrebalancent la trop grande séparation d'avec le monde, la trop grande incertitude du temps, la trop grande angoisse de la mort. Elle va trouver refuge dans les rationalisations dogmatiques qui maîtrisent le monde par l'esprit. (PP-73) Appareil :
- L’automate artificiel fait surgir par le biais, de façon certes déformée et insuffisante, mais concevable en termes d’être et d’organisation, le problème de ce que je vais appeler l’Appareil. Je définis le terme d’appareil comme l’agencement original qui, dans une organisation communicationnelle, lie le traitement de l’information aux actions et opérations. A ce titre, l'appareil dispose du pouvoir de transformer de l'information en programme, c’est-à-dire
en contrainte organisationnelle.
C’est surtout dans la relation cerveau-organisme que la relation cybernetique ordinateur/machine semble naturellement s’imposer. L’ordinateur ayant été assimilé a un cerveau, le cerveau a pu être assimilé a un ordinateur, et on pourrait penser que les organismes multicellulaires disposent tous nécessairement d’un appareil central ou cerveau. Or les végétaux n’ont pas de
cerveau, ainsi qu’un grand nombre d'espèces animales. Tout se passe comme si la computation de l’être végétal résultait des inter-communications entre cellules, c’est-a-dire entre proto-appareils nucléaires ; en d’autres termes, les végétaux disposent d’un appareillage polycentrique en réseaux, et non d’un appareil central. D’une façon plus générale, nous devons nous rendre compte que l’organisation vivante a multiplement et diversement exploré la voie acentrique et polycentrique, qui ne comporte pas d’appareil nerveux central. Ainsi, les échinodermes, oursins, étoiles de mer ont des réseaux nerveux, les insectes ont un système ganglionnaire polycentrique. Ce sont les poissons, et a leur suite les reptiles, les oiseaux, les mammifères qui développent un appareil nerveux central et l'appareil des appareils, le cerveau. Mais la encore, plus le cerveau se développe, chez les mammifères, primates, hominiens, plus il devient polycentrique ; plus les relations entre parties sont a la fois complémentaires et antagonistes, plus il fonctionne avec du « bruit », c’est-a-dire du désordre, a la différence de tous les ordinateurs artificiels (Morin, 1973).
L’appareil est un concept maître. Absent de nos théories cybernétiques, biologiques et, tragiquement aujourd’hui, sociales et politiques, son absence rend ces théories aveugles ou serves. Je suis persuadé que toute théorie de l’organisation communicationnelle (englobant donc l'organisation de la vie et l'organisation anthropo-sociale) doit se reconstruire en y développant une
théorie des Appareils. Une telle théorie doit dès le départ concevoir la différence radicale qui sépare l’appareil ordonnateur de l’artefact et les appareils génétiques et neuro-cérébraux des êtres vivants. Non seulement parce que ces derniers sont, de beaucoup, plus complexes dans leur organisation et leur relation avec l’être-machine, mais aussi parce qu’ils font partie d’un tout un, alors que 1'appareil de l’automate artificiel est l'instrument de commande de la société qui manipule les machines. Or nous allons entrevoir ici un troisième type de problématique, ou la relation partie/tout est brisée, aliénée, par l’hypertrophie d’appareil : celle qui se pose dans nos sociétés historiques. Pour concevoir ce type de problématique, il nous faut recourir a la relation systémique partie/tout ; ou plutôt il nous faut considérer la problématique complexe de la relation partie/tout telle qu’elle est transformée et aggravée par les problèmes fondamentaux que pose l’existence d’un appareil pour toutes organisations communicationnelles.
Apprendre :
- Ce qui est vital aujourd'hui, ce n'est pas seulement d'apprendre, pas seulement de réapprendre, pas seulement de désapprendre, mais de réorganiser notre système mental pour réapprendre a apprendre. (M1-77) .... Or il nous faut maintenant apprendre et comprendre la mauvaise nouvelle, l'anti-évangile : il n'y a pas de salut dans ce monde. [...] Pas de «bonne nouvelle», pas de recette, pas de vérité révélée, pas de vérité absolue. Vivons dans le monde de la relativité... C'est le monde de la relation : avec autrui, communiquer, aimer... (JL-81)
- La notion d'autonomie humaine est complexe puisqu'elle dépend des conditions culturelles et sociales. Pour être nous-mêmes, il nous faut apprendre un langage, une culture, un savoir, et il faut que cette culture elle-même soit assez variée pour que nous puissions nous-mêmes faire le choix dans le stock des idées existantes et réfléchir de façon autonome.(IPC-90)
- La formation est toujours quelque chose d'ininterrompu et d'inachevé : elle ne peut pas avoir de terme. Dans un autre sens, je dirais la formation, c'est avoir l'aptitude d'apprendre à apprendre, c'est-à-dire en même temps, réapprendre à apprendre ou apprendre à réapprendre. C'est toujours la possibilité de se donner un méta-point de vue réflexif sur son savoir, sur sa connaissance. C'est cela le problème de la formation. (EAP-95)
- Je voudrais partir d'une évidence en psychologie cognitive. Une connaissance n'est pertinente que dans la mesure où elles se situe dans un contexte. Le mot, polysémique par nature, prend son sens une fois inséré dans le texte. Le texte lui-même prend son sens dans son contexte. Ainsi une information n'a-.t.elle de sens que dans une conception ou une théorie. De même un événement n'est intelligible que si l'on peut le restituer dans des conditions historiques, sociologiques ou autres. On peut donc en déduire qu'il est primordial d'apprendre à contextualiser et mieux, à globaliser, par exemple à situer une connaissance dans un ensemble organisé. (MO-97)
- Nous devons apprendre que le développement lui-même crée autant de problèmes qu'il en résout, et qu'il conduit à la crise profonde de civilisation qui affecte les sociétés prospères d'Occident. Tel qu'il demeure conçu, le développement est à terme insoutenable; y compris le développement soutenable.(PC-97)
- Il faut apprendre à naviguer dans un océan dincertitudes à travers des archipels de certitude.
- Nous devons comprendre que, dans la recherche de la vérité, les activités auto-observatrices doivent être inséparables des activités observatrices, les autocritiques inséparables des critiques, les processus réflexifs inséparables des processus d'objectivation. Ainsi, nous devons apprendre que la recherche de vérité nécessite la recherche et l'élaboration de métapoints de vue permettant la réflexivité, comportant notamment l'intégration de l'observateur-concepteur dans l'observation-conception et comportant l'écologisation de l'observation-conception dans le contexte mental et culturel qui est le sien.
- La conscience de notre humanité dans cette ère planétaire devrait nous conduire à une solidarité et une commisération réciproque de chacun à chacun, de tous à tous. Léducation du futur devra apprendre une éthique de la compréhension planétaire..
- Il nous faut désormais apprendre à être, vivre, partager, communiquer, communier aussi en tant qu'humains de la Planète Terre. Non plus seulement être d'une culture, mais aussi être terriens. Nous devons nous vouer, non à maîtriser, mais à aménager, améliorer, comprendre.(SSEF-00)
- La culture est ce qui permet d'apprendre et de connaître, mais elle est aussi ce qui empêche d'apprendre et de connaître hors de ses impératifs et de ses normes, et il y a alors antagonisme entre l'esprit autonome et sa culture. L'émergence de la culture, qui se produit par la complexification de l'individu et celle de la société, les complexifie en retour. (M5-01)
ASSERVISSEMENT - ASSUJETTISSEMENT - ÉMANCIPATION Asservissement :
Les éco-asservissements
Asservissement :
de la motricité physique
Asservissement :
du végétal et de l'animal
Asservissement : État-appareil
ASTROLOGIE
- Comme la psychanalyse, l'astrologie plonge dans les profondeurs de la psyché, y apporte son code symbolique, ses modèles systémiques et structuraux. Plus encore que la psychanalyse, elle offre au sujet, pour qu'il se reconnaisse, un discours métaphorique qui parle à la fois le langage d'un savoir et son propre langage subjectif. Elle apporte au sujet une réponse à l'obscurité mystérieuse de sa propre identité. Et, continuant là où la psychanalyse s'arrête, elle lui reconnaît et lui définit sa propre singularité en l'initiant à l'information générative - son Karma, son A.D.N. astral -, qui détient les potentialités et les ferments de son destin.
- Ainsi l'astrologie est subjectivement fascinante. Mais, Si la subjectivité peut être fascinée par l'astrologie, l'astrologie est prisonnière de la subjectivité. Car l'individu n'est pas qu'une conscience objective. L'individu est le siège d'une double conscience. La pensée archaïque était une combinaison étroite de cette double conscience. Dans les temps modernes, il y a au contraire dualité et concurrence. C'est dans cette dualité que se situe l'astrologie moderne. En effet, dans son caractère dominant, l'astrologie d'aujourd'hui est ambivalente ; les termes de demi-croyance, croyance ludique, croyance intermittente doivent être accolés pour tenter d'en rendre compte. C'est que la croyance est à la fois entretenue par la conscience subjective et minée par la conscience objective. Elle correspond à quelque chose de profond, qui, émergeant à la surface, tend à se colorer de gêne ou de honte, à se disperser.
- Ainsi l'astrologie ne peut rentrer dans la conscience moderne que par un passage en chicane entre subjectivité et objectivité. Mais c'est bien en jouant ce double jeu, en jouant à la science pour justifier sa magie, en faisant jouer sa magie pour camoufler sa "nescience" qu'elle a pu pénétrer et se répandre dans le champ social et culturel.
- Culturellement, bien qu'ayant rencontré de très fortes résistances dans la "haute culture",
l'astrologie y dispose désormais de têtes de pont (astrologie cultivée). Mais c'est dans la culture de masse qu'elle
s'est diffusée de façon extrêmement large et rapide à partir des années 1930. C'est dans la culture de
masse que s'est opérée une intégration décisive. La culture de masse, jusqu'en 1960-1965 environ, a
répandu le mythe et la promesse du bonheur individuel. Elle a rejeté le trouble, l'échec, le malheur et tous ses produits de consommation psychique ont été dotés d'un caractère euphorisant. En développant l'astrologie de masse, la culture de masse lui a inoculé l'euphorisation. L'horoscope du quotidien comme la prédiction de Mme soleil écartent toute éventualité catastrophique comme tout problème insoluble, ignorent le désastre et la mort et entretiennent de façon continue, sinon le grand espoir, du moins les petites espérances. Dans ce sens, l'astrologie de masse a été et demeure encore aujourd'hui un facteur d'intégration dans la civilisation bourgeoise. Non seulement elle tend à atomiser les problèmes collectifs et sociaux en problèmes de destin personnel, mais aussi elle entretient les espérances et les résignations dont a besoin notre civilisation.
- Mais ce serait une erreur de s'en tenir à ces aspects intégrateurs. Un certain nombre de symptômes nous indiquent que l'astrologie, sous un autre aspect et sous d'autres auspices, intervient dans la crise culturelle ou civilisationnelle qui semble devoir atteindre notre société. L'individualisme bourgeois, au-delà d'un certain seuil d'accomplissement, a commencé à ressentir l'insatisfaction, la solitude, l'angoisse [
] Le bien être, pour ceux qui l'ont acquis, n'est plus une promesse infaillible de bonheur. La science et la raison ne sont plus porteuses providentielles de libération et de progrès. [
] Toujours est-il que la culture de masse elle-même traduit la nouvelle situation. L'euphorisation recule, tandis que progresse la problématisation. A la mythologie du bonheur, succède le problème du bonheur. A l'amour-solution succède l'amour-problème. Le vieillissement n'est plus seulement masqué et fardé, il exprime son inquiétude; le sexe et la relation parents-enfants, le mariage, le couple posent leurs questions.
(PC-97)
Astrologie :
Son retour au XXe siècle
- Cette " croyance clignotante " concerne quelque chose qui est au profond et au vif du Sujet. C'est là sa force, d'où son extraordinaire diffusion dans toutes les couches de la société, dans les divers secteurs de la culture. Mais c'est aussi sa faiblesse : sa carence objective. Bien que leur empire soit ébréché, règnent sur de nombreux secteurs de la vie les vérités terre-à-terre et la conception positiviste-empiriste-rationnelle du monde ; l'esprit critique, très émoussé quand il s'agit de détecter la fable ou la magie dans la politique, est demeuré relativement vigilant sur ce créneau de bataille. De ce point de vue, l'astrologie souffre toujours d'inconsistance empirique : les justesses de ses analyses sont trop floues ou ambivalentes, ses erreurs de prédiction trop nombreuses ; elle souffre également d'absurdité logique. Pour que l'astrologie soit logiquement fondée, il faudrait supposer que l'être humain, qui dispose de deux informations génératives, l'une inscrite dans l'A.D.N., l'autre inscrite dans le système culturel de sa société, dispose d'une troisième information générative, qui serait inscrite dans le ciel zodiacal de sa naissance, et qui, dans la constitution de la personnalité individuelle, réduirait à un rôle purement superficiel la portée des deux autres informations. Cela n'est pas absolument impossible, mais cela n'est évidemment pas croyable. La croyance, une fois de plus, part de ce qui est l'énigme première et la perturbation permanente de toute science objective le sujet. Si la science actuelle ne rend pas compte du sujet, Si l'astrologie est une fausse science, alors il nous faut chercher la scienza nuova.
(RANO-71)
C'est tout d'abord parce que les grands interdits du christianisme contre les différentes formes de magie se sont affaiblis. Par ailleurs, l'astronomie s'est tardivement détachée de l'astrologie : Newton lui-même pratiquait l'astrologie. Pourquoi ce retard ? Parce que l'astrologie, comme la classique, obéit à un strict : c'est au XVIIIe et au XIXe siècle que le astrologique apparaît illusoire. Mais il garde un avantage : il prétend prédire l'avenir des individus, ce que ne peut le scientifique. L'astrologie revient en force dans le monde moderne parce qu'elle concerne ce qui est hors de portée des : la double préoccupation capitale du sujet individuel, qui est de se connaître et de connaître son avenir. C'est parce qu'il n'est pas de du sujet ni de de l'avenir que l'astrologie prospère. Et nous avons découvert qu'à côté de la basse astrologie des horoscopes populaires il y a une astrologie d'élite qui s'est diffusée dans tous les métiers à risques, ceux de la politique, du cinéma, des affaires. Nous avons même découvert une astrologie marxiste ! Elle remarque que la découverte de Vénus au XIXe siècle coïncide avec l'entrée en scène des classes populaires, et que la découverte de Pluton en 1930 annonce nazisme et stalinisme...
L'astrologie a ses croyants, mais aussi beaucoup de demi-croyants, demi-sceptiques, demi-lucides, croyants intermittents. Moi, demi-sceptique, je crois qu'un horoscope peut susciter chez un astrologue inspiré des intuitions pertinentes.
cette " nouvelle gnose " va prendre, à la fin des années 1960, la forme de la philosophie " new age ", rassemblant des thèmes panthéistes, évolutionnistes, bouddhistes, parascientistes, dans un bain de religiosité, de mystère, de mysticisme diffus. Le trait commun à cela réside dans une vieille et profonde idée : la correspondance entre le sujet humain, microcosme, et le macrocosme qu'est le cosmos. De plus, l'astrologie est au cur du messianisme " new age " qui annonce l'ère salvatrice du Verseau. (MC-08)
Anthropolitique : - Nous sommes entre deux mondes, l'un pas encore mort, l'autre pas encore né. Il nous faut discerner le périlleux parti de l'anthropolitique, dans cette gestation tourbillonnante, dans ce chaos où destruction est création, création destruction, où toutes les forces sont ambivalentes, y compris la conscience. La survie est désormais liée à une renaissance, le progrès à un dépassement, le développement à une métamorphose. (IPH-65)
- Les problèmes du vivre et du survivre, au sens littéralement biologique du terme, on fait une irruption spectaculaire et généralisée dans la politique. - La politique de la santé a succédé à l'assistance publique et elle concerne non plus les seuls malades et infirmes, mais désormais l'ensemble des populations, elle a pris en charge la lutte aussi bien contre le cancer et le sida que contre les drogues, voire le tabac. [
] Les possibilités d'intervention bio-médicales, qui désormais affectent et transforment mort, naissance et identité, posent des problèmes politiques : - l'euthanasie, le prélèvement d'organes, la transfusion du sang, le droit à l'avortement, la conservation de spermatozoïdes, la fécondation artificielle, les mères porteuses et, surtout, les manipulations génétiques, qui vont permettre de déterminer le sexe, puis les qualités physiques et peut-être psychologiques de l'enfant à naître, sont devenus des problèmes non plus seulement individuels et familiaux, mais relevant de décisions politiques. Ainsi, avec la possibilité de modifier le mode de transmission du patrimoine héréditaire et ce patrimoine lui-même, ce sont la nature humaine et la nature de la société qui entrent dans la problématique politique : le vivre, le naître et le mourir sont désormais dans le champ politique. Les perturbations qui affectent les notions de père, mère, enfant, masculin, féminin c'est-à-dire ce qu'il y avait de fondamental dans l'organisation de la famille et de la société, appellent des normes politiques. La notion d'être humain, devenue modifiable par manipulations, risque bientôt d'être normalisée par un pouvoir politique disposant du pouvoir de manipuler le pouvoir de manipulation. Confrontée à des problèmes anthropologiques fondamentaux, la politique devient, sans le vouloir et souvent sans le savoir, une politique de l'homme.
- Et, en même temps, la planète en tant que telle se politise et la politique se planétarise : la menace de l'arme thermonucléaire sur l'humanité était déjà un problème politique majeur ; depuis vingt ans, l'écologie est devenue un problème politique non seulement local (dégradation des éco-systèmes), mais aussi global (altération de la biosphère). Ainsi, la politique doit traiter la multidimensionnalité des problèmes humains. En même temps, comme le développement est devenu un objectif politique majeur et que le mot de développement signifie (certes de façon malconsciente et mutilée) la prise en charge politique du devenir humain, la politique prend en charge, également de façon malconsciente et mutilée, le devenir des hommes dans le monde. Et le devenir de l'homme dans le monde porte en lui le problème philosophique, désormais politisé, du sens de la vie, des finalités humaines, du destin humain. En fait, donc, la politique se trouve amenée à assumer le destin et le devenir de l'homme ainsi que celui de la planète.
- On se trouve à la fois : - dans le dessèchement et la sclérose d'une politique traditionnelle qui n'arrive pas à concevoir les nouveaux problèmes qui la sollicitent; - dans la pléthore d'une politique qui englobe les problèmes multidimensionnels, mais les traite de façon compartimentée, disjointe, additive; - dans la dégradation d'une politique qui se laisse dévorer par les experts, adminsitrateurs, technocrates, éconocrates etc. D'où la grande difficulté : une politique de l'homme doit assumer la multidimensionnalité et la totalité des problèmes humains, mais sans en devenir totalitaire. Elle doit intégrer l'administration, la technique, l'économique sans se laisser dissoudre, en fait dépolitiser, par l'administratif, le technique, l'économique. La politique multidimensionnelle devrait répondre à des problèmes spécifiques très divers, mais non pas de façon compartimentée et parcellarisée. Elle a besoin de technicité, de scientificité, mais ne doit pas se soumettre au système de la spécialisation qui détruit le global, le fondamental, la responsabilité. Au contraire, elle doit sans cesse susciter la vison du global - planétaire -, la conception du fondamental - le sens de la vie, les finalités humaines -, le sentiment responsable - qui ne peut venir qu'à partir de la conscience d'assumer des problèmes fondamentaux et globaux.
- Après l'effondrement de la promesse poétique de «changer la vie», la politique s'est hyperprosaïsée (technicisée, bureaucratisée, éconocratisée). Mais nous devons savoir que l'homme habite à la fois poétiquement et prosaïquement la Terre et que la prose">poésie - La politique, qui doit pénétrer les multiples dimensions humaines, ne doit pas en être pour autant souveraine. La réduction de toutes ces dimensions à la dimension politique ne peut être qu'une réduction mutilante et pré-totalitaire. Rien n'échappe à la politique, mais tout ce qui est politisé demeure par quelque côté hors politique. La politique qui embrasse tout doit être elle-même embrassée par le tout qu'elle embrasse. Il s'agit de dialectiser la politique et ces dimensions humaines. L'entrée de toutes choses humaines dans la politique doit lui donner un caractère anthropologique. L'idée de politique de l'homme ou anthropolitique ne devra donc pas réduire à elle toutes les dimensions qu'elle embrasse : elle devra y développer la conscience politique, la perspective politique, tout en reconnaissant et respectant ce qui, en elles, échappe à la politique.
- Le caractère multidimensionnel, planétaire et anthropologique de la politique est la conséquence de cette prise de conscience fondamentale : ce qui était aux confins de la politique (les problèmes du sens de la vie humaine, le développement, la vie et la mort des individus, la vie et la mort de l'espèce) tend à passer au noyau. Il nous faut donc concevoir une politique de l'homme dans le monde, politique de la responsabilité planétaire, politique multidimensionnelle mais non totalitaire. Le développement des êtres humains, de leurs relations mutuelles, de l'être sociétal, constitue le propos même de la politique de l'homme dans le monde, qui appelle la poursuite de l'hominisation.
- La stratégie de l'anthropolitique planétaire est condamnée à se développer dans une incertitude extrême. Les prévisions futurologiques qui faisaient illusion il y a vingt cinq ans se sont effondrées. Il y a tant de processus heurtés, conflictuels, interdépendants, aléatoires, d'interactions et rétroactions en chaîne qu'on ne peut miser sur un avenir assuré. On ne peut que parier pour un avenir souhaitable, possible mais incertain, en élaborant la stratégie justement adaptée à l'incertitude planétaire. (TP-93)
- L'anthropolitique doit donc s'édifier sur la refondation anthropologique et sur une pensée planétaire, laquelle doit partir d'un diagnostic tétralogique : nous sommes à la fois : Autonomie :
- Plus un système vivant est autonome, plus il est dépendant à l'égard de l'écosystème; en effet, l'autonomie suppose la complexité, laquelle suppose une très grade richesse de relation de toutes sortes avec l'environnement, c'est-à-dire dépend d'interrelations, lesquelles constituent très exactement les dépendances qui sont les conditions de la relative indépendance. Ainsi, la société humaine qui est ce qu'il y a de plus émancipé par rapport à la nature, nourrit son autonomie de multi-dépendances. (PP-73)
- Alors que la sociologie traditionnelle dissout l'individu de même l'individualisme traditionnel dissout la société. Or les choses sont fondamentalement liés. Ma maxime est : "les interactions entre individus produisent la société laquelle produit les individus". Il n'y a pas de société sans individus interagissants et ces interactions ont toutes un caractère aussi bien cognitif et organisateur. La société elle-même rétroagit en apportant son langage, sa culture, son système d'éducation etc. Je définis donc l'autonomie non pas par l'exclusion des dépendances mais au contraire par une dialectique avec elles. Plus on est autonome, plus on dépend de mille choses. Ainsi l'autonomie que j'ai avec mon ordinateur, dépend de l'électricité, qui sert à le nourrir, dépend des disquettes dont j'ai besoin, lesquelles dépendent à leur tour etc. etc. (SH-90)
- La notion d'autonomie humaine est complexe puisqu'elle dépend des conditions culturelles et sociales. Pour être nous-mêmes, il nous faut apprendre un langage, une culture, un savoir, et il faut que cette culture elle-même soit assez variée pour que nous puissions nous-mêmes faire le choix dans le stock des idées existantes et réfléchir de façon autonome. Donc cette autonomie se nourrit de dépendance ; nous dépendons d'une éducation, d'un langage, d'une culture, d'une société, nous dépendons bien entendu d'un cerveau, lui-même produit d'un programme génétique, et nous dépendons aussi de nos gènes. Nous dépendons de nos gènes et, d'une certaine façon, nous sommes possédés par nos gènes, puisque ceux-ci ne cessent de dicter à notre organisme le moyen de continuer à vivre. Réciproquement, nous possédons les gènes qui nous possèdent, c'est-à-dire que nous sommes capables, grâce à ces gènes, d'avoir un cerveau, d'avoir un esprit, de pouvoir dans une culture prendre les éléments qui nous intéressent et développer nos propres idées. (IPC-90)
- La compréhension de l'autonomie nous pose un problème de complexité. L'autonomie n'était pas concevable dans le monde physique et biologique tant que la science ne connaissait que des déterminismes extérieurs aux êtres. Le concept d'autonomie ne peut se concevoir qu'à partir d'une théorie des systèmes à la fois ouverts et clos ; un système qui travaille a besoin d'énergie fraîche pour survivre et doit donc puiser cette énergie dans son environnement. Dès lors, l'autonomie se fonde sur la dépendance à l'égard de l'environnement et le concept d'autonomie devient un concept complémentaire à celui de dépendance bien qu'il lui soit aussi antagoniste. Par ailleurs, un système autonome ouvert doit être en même temps clos, afin de préserver son individualité et son originalité. Ici encore, nous avons un problème conceptuel de complexité. Dans l'univers des choses simples il faut «qu'une porte soit ouverte ou fermée» mais dans l'univers complexe, il faut qu'un système autonome soit à la fois ouvert et clos. Il faut être dépendant pou être autonome. (SC-90)
Autodestruction :
- Marcuse avait bien vu que notre civilisation industrielle nourrissait en elle sa propre autodestruction.
- Il n'est pas absolument certain, il n'est que probable, que notre civilisation aille vers l'autodestruction, et, s'il y a autodestruction, le rôle de la politique, de la science, de la technologie et de l'idéologie sera capital, alors que la politique, la science, la technologie, l'idéologie, s'il y avait prise de conscience, pourraient nous sauver du désastre et transformer les conditions du problème.(PSVS-81)
- Alors que lespèce humaine continue son aventure sous la menace de lautodestruction, limpératif est devenu : sauver l'Humanité en la réalisant. (SSEF-00)
Auto : analyse, examen, critique, observation, réflexion : - L'auto-analyse peut évidemment s'auto-mystifier ou simplement se muer en pose auto-photographique
Mais celui qui cherche la "saine-pensée" doit chercher à : - détecter son point aveugle ; tout regard suppose un point aveugle dans la rétine ; tout système porte sa zone de cécité, contrepartie nécessaire de la zone qu'il élucide
. - détecter sa carence ; la carence, c'est ce que l'on calfeutre par le maître-mot, l'aphorisme exorciseur, la formule évidente. Nos attitudes polémiques nous renseignent assez bien sur les points fragiles ou malades de notre intellect : l'idée adverse qui nous met hors de nous est précisément celle que nous n'arrivons pas vraiment à expulser hors de nous. Quand on a l'obsession de réfuter une idée, c'est contre soi qu'on veut la réfuter. (VS-69) - Il est une révolution copernicienne, inhérente à la réforme des structures de pensée, et que chacun peut effectuer : c'est d'inclure dans toute observation l'auto-observation, dans tout examen l'auto-examen, d'introduire dans toute connaissance la volonté d'autoconnaissance du connaissant. - Nous disposons d'outils modernes qui nous permettent de mieux nous situer individuellement, psychologiquement (psychanalyse), culturellement, sociologiquement, historiquement. Mais nous les avons disjoints de tout auto-examen autonome propre. La psychanalyse est un compromis où l'auto-examen est en fait guidé par le gourou analyste. Sans doute avons-nous besoin de gourous qui nous aident à nous connaître nous-mêmes, comme nous avons besoin de méthode qui nous aide surtout à nous passer de gourou, à nous gouroutiser nous-mêmes pour nous-mêmes (capacité à mieux nous connaître et mieux nous guider, voire à pouvoir quelque peu gouroutiser aussi autrui dans le besoin). - L'auto-examen nous convie non pas à nous refermer narcissiquement et à nous délecter de nous-mêmes, mais à dialoguer avec nous-mêmes. Je dis "dialogue" car tout auto-examen reconnaît la dualité dans l'unité du "moi je". En chaque "je", il y a un autre, en chaque "moi", il y a deux, plusieurs autres. Non seulement chacun est double, c'est-à-dire porte en lui deux personnalités souvent antithétiques, ce qu'exprime si bien le docteur Jekyll/mister Hyde, mais chacun comporte plusieurs personnalités potentielles, certaines dominant de façon durable, d'autres n'arrivant à s'actualiser que fugitivement, embryonnairement. Ce n'est pas seulement notre "personnalité" dominante qui doit s'efforcer de dialoguer avec les sous-personnalités inhibées ou refoulées, avec la bouche d'ombre qui s'ouvre sous les ténèbres de notre inconscient, avec la part obscure de nous-mêmes où notre personne s'évanouit dans une impersonnalité profonde : il nous faut dialoguer avec cette personnalité dominante, ce personnage avantageux, prétentieux, pompeux, qui se joue la comédie à lui-même parfois plus qu'aux autres. - Il faut être capable d'accepter l'altérité, de travaille avec elle, c'est cela dialoguer, et le dialogue commence par soi-même. Pour discuter avec les autres, il faut être capable de discuter avec soi-même. Pour discuter avec soi-même, il faut être capable de discuter avec les autres. - La logique de l'auto-examen empêche l'auto-examen de se refermer sur lui-même : en effet, elle appelle l'examen de l'auto-examen, c'est-à-dire le recours au dialogue et à la discussion avec des examinateurs extérieurs. Une pensée qui essaie de se comprendre a besoin de se décentrer et se distancer par rapport à elle-même, et a donc besoin du regard d'autrui et de la pensée d'autrui. l'auto-examen est donc nécessairement auto-exo-examen. C'est dire que la logique de la pensée complexe nécessite un "milieu" de confrontation, opposition voire discorde : elle ne saurait jamais concevoir une pensée autosuffisante. Ici encore, nous voyons réapparaître les idées d'ouverture et de fermeture. La pensée close du dogmatique refuse à la fois l'examen par autrui et l'auto-examen. La pensée complexe a besoin de l'un et de l'autre. (PSVS-81) - Pour moi, l'auto-critique ne peut être qu'auto-hétéro-critique, car comme pour l'auto-éco-organisation, l'auto-organisation nexiste pas sans le milieu extérieur. Il est évident qu'il ne peut pas y avoir dautocritique sans le fait d'admettre la critique extérieure, c'est à dire le jeu entre la vision critique extérieure et la vision critique close. Bien entendu, il y a une possibilité douverture de l'esprit humain. Là, je reprends Montaigne, l'esprit anthropologiquement ouvert a en premier lieu cette capacité de s'auto-examiner , de s'auto réfléchir, de se regarder soi même, de penser - La nécessité d'une auto-analyse est devenu un point central dans mes idées, dans mon épistémologie, dans ma méthodologie : tout observateur doit s'observer lui-même dans son observation des choses. Toutes connaissances devrait exposer ses conditions de production et ne peut échapper à sa part de subjectivité. (SH-96)
plutôt que le déferlement de l'imaginaire, que les dérivations mythologiques et magiques, que les confusions de la subjectivité, que la multiplication des erreurs et la prolifération du désordre, loin d'avoir handicapé homo sapiens, sont au contraire liés à ses prodigieux développements. (PP-73)
L'appareil est donc computant (traitant l’information) et ordinant (donnant des ordres, organisant de l'ordre). L'appareil capitalise (et l'irruption ici de ce terme est, j’allais dire capitale, je veux dire de première importance, car capitaliser c'est capitaliser des signes), monopolise (s'il est unique) et programmatise l'information. Concentrant en lui des compétences organisationnelles majeures, il assure le rôle clé d'organisateur de la praxis. Plus il sera développé, plus il sera capable d’assurer des fonctions qui jusque-la semblaient le privilège d’un cerveau : percevoir (pattern recognition), apprendre (learning), résoudre des problèmes (solving problems), plus il multipliera les compétences, les contrôles, les commandes, etc., plus il développera une praxis, non pas seulement interne mais aussi externe, dans l'environnement.
Comme on le pressent, puisque je viens d’évoquer l’appareil neuro-cérébral, la problématique véritablement riche et ambiguë de l’appareil ne
s'épanouit qu’au niveau des êtres vivants, et surtout des êtres anthropo-sociaux. Mais l’artefact nous permet déjà de dégager les deux idées liées de façon complexe (complémentaire, concurrente, antagoniste) a la notion d'apparei1 organisateur : l’idée d’émancipation et l’idée d’asservissement.
L’idée d’appareil, dans le sens que j’ai indiqué, signifie immédiatement émancipation de l'être dans son ensemble a l’égard des aléas et contraintes
extérieures : désormais l’appareil peut « penser » la situation ; il peut trouver des solutions; il peut élaborer des stratégies adaptées aux circonstances; il peut concevoir des possibilités de choix et prendre des décisions en fonction d'alternatives ; il peut, enfin, déclencher l’action et la réaction. L’appareil ouvre donc la première porte de la liberté qui est : choisir (la seconde étant : choisir ses choix).
Ajoutons que c’est une pure illusion que de considérer l’appareil neuro-cérébral comme le seul appareil informationnel des vertébrés. D’une part ces vertébrés disposent d’un appareil reproducteur sexué. D’autre part, les cellules qui constituent l'organisme disposent d’une large autonomie, et une grande part de la vie de cet organisme est constituée par les interactions entre leurs proto-appareils. L'appareil neuro-cérébral est un épi-appareil par rapport a l’appareil reproducteur ; l’un et l’autre sont en relation d’autonomie relative et de mutuelle dépendance, et ils s’inscrivent dans une relation
récursive globale. De même, entre l’appareil neuro-cérébral et le réseau relationnel des proto- appareils cellulaires, il y a relative autonomie (ce qui signifie du même coup que la commande du « cerveau » sur les cellules est partielle et relativement impérative), dépendance mutuelle, et l’un et l’autre s’inscrivent dans la relation récursive globale du tout. Aussi la conception d’un organisme commandé par un appareil central souverain, a la manière de l’ordinateur commandant la machine artificielle, doit être dépassée pour une conception beaucoup plus riche et complexe, a la fois bipolarisée (appareil neuro-cérébral/appareil reproducteur), démultipliée (dans les connexions entre les milliards de proto-appareils cellulaires), récursive, et enfin intégrée dans une totalité active qui est l'individu.
En effet, le cerveau dépend de l’organisme autant que l’organisme dépend de lui, et il est dans une relation asservissante/asservie a l’égard de l’organisme qui l’irrigue et le nourrit. L’appareil cérébral appartient au tout, et au niveau du tout le cerveau est indistinct, non pas de l'organisme lui-même, mais de l’individu qui est le « tout » de la relation cerveau/organisme.
Déjà j’ai indiqué que la relation tout/partie est ambiguë et peut prendre des formes très diverses, puisqu’il y a en principe conjointement dans le tout une tendance a exploiter les parties et une tendance à les servir, protéger, voire développer. L’appareil apporte une ambiguïté nouvelle. C'est
toujours une partie du tout, mais qui développe sa complexité. Ses compétences. ses pouvoirs - et par la même ses libertés - qui seront d'autant plus grandes a l'égard des autres parties que celles-ci de façon complémentaire se trouveront contraintes a se spécialiser et à se subordonner, c‘est-à-dire a restreindre leur compétence et leur autonomie. L'appareil est donc une partie qui peut apparaître, simultanément ou alternativement :
— comme le serviteur du tout par rapport aux dangers qui le menacent,
— comme l’exécuteur du tout a l'égard des parties,
- comme la partie qui contrôle le tout, et du coup tend à parasiter, exploiter, asservir a la fois les parties et le tout.
L‘histoire humaine déploie ces potentialités de façon complémentaires, concurrentes ou antagonistes, dans et par l’action de l'appareil anthropo-social a double visage, celui de l’État surhumain (bien qu'i1 soit constitué de par les interactions entre êtres humains, c’est-a-dire appareils neuro-cérébraux) et celui du Prince lui-même a multiples visages (souverain absolu,
déifié, sacralisé, président laïcisé, clan, caste dominante...). Le complexe Etat-Prince, potentiellement ou réellement, alternativement ou simultanement, est le pilote preneur de décisions, l'organisateur des stratégies et de la praxis du Tout social, le défenseur du Tout contre les périls extérieurs et intérieurs, l’asservisseur des parties par le Tout, l’asservisseur du Tout pour ses fins particulières, l’exploiteur des autres parties et du Tout.
Une telle ambiguïté doit être considérée aussi du point de vue évolutif. La constitution d'une partie en appareil central est, en même temps, l'émancipation de cette partie qui peut développer des potentialités créatrices et organisatrices supérieures, notamment dans l’élaboration de stratégies et corrélativement l’aptitude a utiliser le désordre et l’aléa. Ce développement permet a l’appareil d’apporter le bénéfice de ses compétences au tout, qui, en tant que tout, devient doté des qualités de l’appareil. Ces bénéfices peuvent rétroagir sur les parties, qui peuvent des lors épanouir des qualités émergentes. Mais inversement, lorsque le développement des compétences générales de l‘appareil s'effectue au prix d'une spécialisation irrémédiable et de la subordination étroite des parties, alors il y a non seulement aggravation de leur asservissement, mais dualité et scission profonde dans l'unité du tout. Ces problèmes, abstraits et formels en eux-mêmes, deviennent existentiels et virulents pour nous, car ce sont nos problèmes anthropo-sociaux clés. (M1-77)
- … ce qui porte l'émancipation porte aussi l'asservissement. Pour saisir l'idée d'asservissement, il faut partir de l'idée de servo-mécanisme. Le servo-mécanisme est un dispositif qui corrige la correction et re-régle la régulation en fonction des perturbations qui contraignent a modifier l’action (c’est-à-dire modification de la situation, variations affectant le but visé, etc.). Ainsi, en même temps qu'il permet à la machine d’ajuster efficacement son action, en même temps qu'il l'émancipe des contraintes, le servo-mécanisme l’asservit tout entière a l'exécution de l’action, ce qui veut dire à la commande de l'appareil. I1 ne peut y avoir aucune autonomie des éléments constitutifs. D'où l'idée vigoureusement dégagée par Albert Ducrocq :
« Asservir un système, c’est le commander sans subir sa réaction » (Ducrocq, 1963, p. ll0). Formule qu’il faut bien comprendre: ce n’est pas annuler sa réaction, c’est au contraire l‘utiliser et l'intégrer pour corriger. Mais la réaction ne doit pas modifier l’exécution de l’ordre donné, ni remettre en question la compétence de l'asservisseur et l'organisation du système. Les communications fonctionnent entre l’asservi et l’asservisseur, mais l’asservisseur impose ses fins, dans et par cette communication.
L'asservissement au niveau de la machine artificielle semble simplement s'effectuer a deux degrés :
1. L‘appareil (l’ordinateur et son dispositif d’action) asservit le système producteur ou machine qu’il commande ; il reçoit toutes informations, en retour, des parties sans en subir la moindre réaction antagoniste. Il manipule mais n’est pas manipulé.
2. Le comportement d"une machine asservie asservit sa zone d'action ; cette machine impose sa domination (ordonnatrice et/ou destructrice) a ce qui était, dans son environnement, soit amorphe, soit aléatoire, soit obéissant a un autre ordre organisationnel. On le voit déjà ici, il y a un lien entre les deux asservissements: la maîtrise totale par l'appareil de l'organisation machinale dont il dispose permet a celle-ci d’asservir l’environnement. (Dans ce sens, l’organisation asservie est celle qui asservit. Nous le voyons bien au niveau de l’histoire humaine.)
N’oublions pas maintenant deux autres degrés d’asservissement :
3. L’appareil de l’artefact est lui-même complètement asservi aux et par les êtres anthropo-sociaux qui l’ont conçu, lui ont fourni programme et buts, le contrôlent et le commandent.
4. L’asservissement qu’effectue l’artefact sur son environnement (milieu social et éco-système naturel) rétroagit sur les producteurs humains de cet artefact ; une telle rétroaction est au prime abord émancipatrice : les énormes énergies cybernétiquement contrôlées qui se consacrent aux activités productives délivrent le travailleur humain de la part la plus pénible et fastidieuse de
son travail, d'où « progrès social », « dignité humaine » et, par série de conséquences bien connues, « élévation du niveau de vie ». Mais ce point de vue ne saurait occulter les contraintes asservissantes qu’impose la « civilisation machiniste » sur la vie quotidienne et les dégradations de qualité de la vie aujourd’hui dénoncées. D'oł le thème, nullement illusoire, de « l’homme asservi par la machine », a condition de le situer dans la complexité et l'ambiguïté potentielles de l'émancipation/asservissement et dans une dialectique qui peut conjuguer l'émancipation énergétique a l'asservissement informationnel.
- Considérons maintenant le problème de l'asservissement de l'environnement. Tout être vivant tend a asservir la zone ou il se nourrit; dans le règne végétal, des plantes contrôlent leur espace nutriciel en secrétant une substance qui inhibe la croissance d‘autres plantes dans leur voisinage; c'est
évidemment surtout dans le règne animal que se déploie l'asservissement. Et précisément dans les espèces qui ont développé corrélativement un appareil nerveux central, une riche stratégie de comportements habiles, précis, rapides, intelligents. Il y a des asservissements dans les écosystèmes, mais les éco-systèmes ne sont pas asservisseurs par eux-mêmes : ils n'ont pas
d'appareil central, ils s'organisent à travers les inter-rétroactions des êtres vivants qui le constituent ; entre ces vivants, il y a, a la fois. parasitismes en chaîne, interdépendances. asservissements mutuels, et tout cela avec coopérations, luttes, compétitions, soumissions.
Ainsi, la relation commande/communication commande <------> communication
y est toujours complexe, présentant des caractères complémentaires, concurrents, antagonistes, incertains, rotatifs, aléatoires...
- L’histoire de l’humanité inaugure un nouveau type d’asservissement dans et sur la nature. Tout commence par un apprivoisement, une domestication et un premier asservissement : l'hominien apprend a entretenir, c’est-à-dire réguler le feu, puis à le faire naître. Le feu sert a protéger, éclairer. griller, cuire. Puis forger : il est asservi. Mais le grand asservissement ne se produira que plus
tard, quand le feu sera emprisonné, corseté, exploité comme moteur de l’ère industrielle.
Entre les asservissements premiers du feu et son esclavagisation généralisée dans les soutes de la machine anthropo-sociale occidentale du XIXe siècle, il y a la production et l’asservissement des remous et tourbillons (moulins à eau et à vent) aux finalités anthropo-sociales. Ces moteurs sauvages sont désormais encagés, canalisés, déclenchés, inhibés par l’homme. Puis c’est, comme je viens de le dire, le moteur a feu. Puis la machine anthropo-sociale crée des moteurs à partir d’énergies de plus en plus turbulentes, asservit l’explosion, libère, dans un flamboiement de commencement et fin du monde, l'énergie de l’atome, puis commence a l’asservir dans le moteur nucléaire. Ainsi, au terme d’une genèse à l'envers, l’homme brise le noyau de l'atome, c'est-à-dire de la première réalité physique organisée. du premier être physique. Et ressuscite la fusion thermonucléaire qui fait naître et entretient les soleils. Ainsi l’histoire de la production de l’homme par l'homme est inséparable d'une recréation et redécouverte des potentialités génésiques de la physis pour et par leur asservissement.
- La transformation des flux et turbulences naturelles en motricité asservie n'est qu'un aspect de l'asservissement de la nature. Au-delà du parasitage (asservissement partiel et localisé) et de la symbiose (asservissement mutuel devenant coopération et co-organisation) commence un asservissement multidimensionnel de l"univers vivant qui va de l’exploitation pure et simple
des énergies corporelles jusqu’à l’assujettissement. L'asservissement de la vie s’effectue principalement par l'asservissement non seulement des processus de reproduction, mais des appareils de reproduction (manipulation et sélection des graines, sélections et castrations dans les élevages animaux). Autrement dit, le fondement de toute vie, la reproduction, est à la fois
contrôlé, transformé, manipulé de l’extérieur, totalement asservi aux fins humaines dans toutes les espèces domestiques.
L’assujettissement, c'est l'asservissement de l’être-animal par contrôle/-commande de son autos, c’est-a-dire son autonomie cérébrale. Dès lors, l'appareil neuro-cérébral humain asservit d’autres appareils neuro-cérébraux, qui gardent leur compétence et leur autonomie organisationnelle, mais dont toutes les activités sont désormais asservies aux finalités de leur asservisseur. Ici le terme fumeux philosophiquement d’aliénation prend un sens concret : l’autos de l'assujetti se trouve aliéné dans l'autos du maître. Ce rapport maître/assujetti est beaucoup plus fondamental, complexe et dramatique que le rapport maître/esclave de Hegel. L’autos demeure doué de subjectivité, mais celle-ci devient satellite d’un autre sujet assujettisseur ; l’intelligence et les aptitudes de l’assujetti peuvent et doivent trouver plein-emploi, mais dans le sens des finalités du maître. L'obéissance peut être imposée par la contrainte (esclavagisation), mais elle peut aussi s’engrammer et prendre valeur de loi, programme, ordre « naturel » chez l’assujetti, ainsi totalement aliéné au service de la loi, du programme, de l’ordre maître.
Du même coup, la formule de l'asservissement social est prête. Elle sera une juxtaposition et/ou combinaison d'assujettissement et d'esclavagisation, d’aliénation et d’exploitation. L'esclavage est lui-même une combinaison d’assujettissement absolu (l’esclave devenant la propriété du maître) et d'un asservissement énergétique (l’exploitation sous contrainte de la force de travail - L'entreprise capitaliste de l’ère industrielle, en n'asservissant que la force de travail et ne se souciant plus de s'approprier l’être du travailleur. crée le prolétaire. Mais nombre de pouvoirs modernes d'appareil découvrent des formules néo-esclavagistes). Du reste, l'asservissement massif des plantes (agriculture) et des animaux (élevage), l'asservissement des masses énormes d'humanité, et le surgissement de la méga-machine sociale avec son appareil central, l’État, sont concomitants et corrélatifs.
C’est dès l'origine que l'asservissement de la nature rétroagit de façon complexe sur le devenir de l'humanité. La domestication du feu a domestiqué l’homme, en lui créant un foyer, elle l’a barbarisé en l’invitant a détruire par le feu. L'asservissement des turbulences et explosions a permis de civiliser d’énormes forces motrices sauvages, elle a accru la turbulence explosive de l’histoire humaine et créé les conditions d’une auto-destruction généralisée. La culture des plantes a culturisé l’homme en créant la vie rurale et urbaine, elle lui a fait perdre la riche culture archaïque des chasseurs-ramasseurs nomades. L’asservissement du monde animal a créé les modèles de
l'asservissement de l'homme par l'homme.
Et aujourd’hui, l'asservissement des artefacts cybernétiques prélude peut-être à un nouveau type d’asservissement informationnel de l’homme par l’homme.
- La méga-machine anthropo-sociale s’est formée et développée dans et par l'asservissement généralisé des êtres humains. L'asservissement des hommes surgit à ce moment crucial. L’entrée de l’humanité dans l’histoire, c’est l'entrée de l’État asservisseur dans le cœur des sociétés, en même temps que l’entrée de la turbulence et du désordre dans le cours des sociétés. La guerre et la conquête produisent l’asservissement et l’Empire : les ennemis vaincus fournissent les énormes contingents de l’esclavage antique : les ethnies subjuguées deviennent les peuples asservis.
Le formidable asservissement des vivants et des humains est inséparable de la formation d’un appareil d’État, computeur, ordonnateur, décisionnel qui asservit la société et l’organise en méga-machine.
L’État est l'appareil des appareils, qui concentre en lui l’appareil administratif, l'appareil militaire, l'appareil religieux, puis l'appareil policier. L'appareil administratif impose a toute la société l’organisation « machinale » dans le sens ou ce terme signifie règle uniformisée, inflexible « mécanique » ; la religion et l’armée imposent chacune leur machinalité propre, faite dans les deux cas de rituel (prépondérant dans la religion) et de discipline (prépondérant dans l’armée).
L'apparition de l'appareil d’État constitue une formidable métamorphose organisationnelle par rapport a toutes autres sociétés animales, hominiennes, et humaines archaïques. I1 existe déjà des mégamachines sociales chez les termites, fourmis, abeilles, mais c’étaient des sociétés sans État ni gouvernement : leur praxis organisationnelle s’effectue a partir des interactions entre les appareils nerveux des individus, et c’est cet ensemble neuro-actif qui constitue comme un gigantesque cerveau doué de mobilité et de mandibules. Par contre, dans l’espèce humaine, la mégamachine sociale n’a pu se constituer qu'avec l”État.
L'appareil d’État a la fois émancipe et asservit. Ce n’est pas seulement l'émancipation de l'homme, mais aussi l'asservissement de l’homme qui s’effectue dans et par la « maîtrise de la nature ». C’est l’asservissement d’une société qui permet l'asservissement de son environnement (les sociétés voisines, le milieu naturel), mais qui développe, dans et par cette barbarie prédatrice, les foyers de civilisation dans l’élite des dominateurs. Dans les sociétés antiques et les « despotismes orientaux », il y a une hiérarchie pyramidale d’asservissement du sommet a la base. Au sommet, le Souverain,
Sujet dans le sens égocentrique du terme, règne sur des sujets, dans le sens soumis du terme. Aux niveaux supérieurs de la pyramide, les sujets jouissent d’une certaine reconnaissance subjective et disposent d‘assujettis, les asservis ont des serviteurs. A la base règnent l'assujettissement et l'asservissement généralisés. Dans quelques micro-sociétés appelées cités, apparaissent des asservisseurs d’un type nouveau : les hommes libres. Leur assujettissement est lui-même d’un type nouveau : il est dans la relation filiale aux lois et dieux de la cité. La liberté du citoyen est garantie par l'appareil-Cité dans une aliénation réciproque ou la Cité dépend du citoyen électeur/acteur qui
dépend de sa Cité. C’est sur le travail servile que s’est fondée la première émancipation de ces « hommes libres ». C’est ce modèle de liberté qui va animer le mouvement des asservis pour leur émancipation.
Enfin, les grandes sociétés historiques, de l'Antiquité a notre temps, fonctionnent toujours entre deux pôles d’organisation, un pôle d’ordre rigide qui émane de l'appareil d’État et plus largement de tout ce qui est pouvoir, un pôle d’anarchie infra-structurelle, c’est-à-dire d’interactions spontanées et spontanément organisatrices. Même (et surtout) la ou règne le despotisme d'appareil le plus total et le plus ramifié, il y a l'anarchie souterraine, quasi clandestine quand la société est étouffée par l’appareil, mais qui fait fonctionner la société, et par la nourrit, tout en lui échappant, l’appareil qui l’asservit. Même la ou règnent les libéralismes les plus avancés, règne une sphère d’ordre rigide et coercitif. Chaque polarité porte son ambivalence (l'ordre peut être plus ou moins oppresseur ou/et protecteur, il peut garantir des libertés ou/et les interdire, il peut imposer de l’inégalité ou de l’égalité ; le désordre peut être liberté ou/et délinquance, communauté ou/et concurrence impitoyable, spontanéité ou/et brutalité).
Ainsi nous entrevoyons en termes de mégamachine et d'appareils, et bien que de façon encore à la fois schématique et confuse, les conditions complexes, ambiguës, incertaines et dramatiques de la dialectique d'asservissement/émancipation, assujettissement/libération qui caractérise l'histoire humaine. Il ne s’agit pas ici de réduire nos problèmes les plus urgents et virulents en termes d’organisation, machine et appareils. Il s’agit au contraire d’éclairer ces problèmes en introduisant précisément ce qui était absent : l'appareil. Je veux dire que ces problèmes, pour être affrontés, ont, pas seulement certes, mais nécessairement besoin d’une théorie de l’organisation communicationnelle qui conçoive le problème de l’appareil. Dès lors, un tel enracinement théorique, loin d'éloigner de notre histoire concrète y conduit.
Si l'appareil est invisible a ceux qui le subissent, c’est aussi parce qu'une théorie de l'organisation communicationnelle n’a pas encore émergé dans les sciences, ni physiques, ni biologiques, ni anthropo-sociologiques. C’est que la cybernétique, qui pouvait annoncer cette théorie, l’a escamotée. C’est que la théorie de l’appareil requiert une totale réforme de l'entendement sur la base de la complexité organisationniste.
Que le lecteur me comprenne : l’idée d'appareil prend ici son départ, il ne s’agit pas de la brandir en massue, de la manipuler en passe-partout. La notion d'appareil nous demande de commencer a réfléchir un peu autrement, comme je commence à réfléchir moi-même, pour mieux comprendre la
dialectique asservissement/émancipation, plutôt que de la subir dans la résignation, l’ignorer dans l'arrogance, la nier dans la niaiserie, ou, une fois de plus, croire servir l'émancipation en servant ce qui asservit.
(M1-77)
- Si vous prenez l'astrologie et l'astronomie, l'astrologie représente une rationalisation fantastique. L'astrologie nous dit que notre destin à nous, individus, est déterminé. Le chef d'uvre de la vision déterministe de l'humanité, c'est l'astrologie, puisque, à la lecture de notre ciel astral, nous pouvons dire qui nous sommes et qui nous serons. C'est une rationalisation. Pourquoi ? Parce que les sciences nous laissent incertains sur nous-mêmes : "qui suis-je ?" Ainsi chacun a grand plaisir à lire son horoscope, même s'il n'y croit pas... Nous sommes si divers, si multiples.
(SCC-84)
- Le vrai terrain de l'astrologie moderne, c'est le sujet. Rappelons : la science donne des moyens d'action au sujet, elle ne peut concevoir le sujet lui-même. Le sujet n'est autre que le résidu irrationnel de l'objectivité scientifique. De fait, partout où elle intervient la subjectivité apporte l'irrationalité, l'aléa, l'incertitude. Or l'astrologie moderne se pose précisément en science du sujet et de la relation intersubjective : c'est ce qui a été nommé, dans cette étude, psycho-astrologie et astrologie relationnelle, dont les développements sont si remarquables, à la fois dans l'astrologie de masse et dans l'astrologie cultivée.
- Ainsi, le développement de l'astrologie, depuis le milieu de ce siècle (XXe) et jusqu'à aujourd'hui, est favorisé et par la modernité et par la crise de la modernité. Dans la modernité s'intègre son développement individualiste, qui lui-même joue un rôle culturellement intégrateur, en colmatant les brèches anxiogènes. Dans la crise de la modernité s'insère son aspect jusqu'alors immergé, qui e st le plus archaïque et le plus fondamental : l'anthropo-cosmologie, qui raccorde le sujet atomisé à un cosmos vivant.
- dans l'aventure inconnue ;
- dans la préhistoire de l'esprit humain ;
- dans l'âge de fer planétaire ;
- dans l'agonie planétaire.
En situation d'incertitude et de complexité le pari doit se substituer à l'évidence, et la stratégie - détermination en vue de la finalité d'une conduite qui peut se modifier selon les aléas rencontrés et les informations acquises - doit se substituer au programme - séquences d'actes fixées a priori et non modifiables. (PC-97)
la pensée, de réfléchir notre réflexion, de voir notre regard... Notre esprit a simplement cette aptitude, aptitude à l'auto-regard, aptitude qui peut être éduquée. Evidemment, Montaigne s'est auto-éduqué à lintrospection au moment où il pratiquait une vie méditative, vie relativement close, et cette aptitude est potentiellement présente en chacun de nous mais de manière très inhibée car, aujourdhui, depuis la psychologie objectiviste, il y a un total mépris pour ce qu'on appelle l'introspection. Or, l'introspection est justement cette aptitude là : se regarder soi-même avec tous les risques d'erreur que l'on peut faire parce que là aussi il existe plusieurs recoins, réouvertures, compartiments... Lorsque lon reconnaît l'idée de la self déception (mensonge à soi même), on comprend quelle vaut pour chacun, y compris pour ceux qui sont les plus lucides... On se trompe soi même et d'ailleurs on réussit bien mieux à se mentir à soi même qu'à mentir à autrui. (EAP-95)