Si votre écran n'affiche pas 2 cadres, cliquez sur ce lien.
Si au contraire vous souhaitez avoir ce texte dans une fenêtre sans écran (par exemple pour l'imprimer), cliquez sur ce lien.
Les images ou les liens appelés depuis le texte s'ouviront dans une
fenêtre séparée, toujours la même, mais attention
de fermer les autres analyses utilisant des cadres, car cela risquerait de
s'afficher dans l'un d'eux.
Modèle du lien qui permet d'afficher l'image de l'oeuvre analysée
dans le cadre de droite, en taille réduite :
ou en grande taille :
Sauf exceptions mentionnées, les liens soulignés en couleur ouvrent un texte ou une image dans
le cadre de droite. Notez qu'un clic droit sur la souris permet de les ouvrir
dans une fenêtre séparée, mais qui sera chaque fois différente.
Souvenez vous que vous pouvez à tout moment changer la taille relative des deux cadres en bougeant la division centrale.
Andy WARHOL Blue Marilyn
Dans une autre analyse
il a été envisagé le principe d'accumulation souvent utilisé par Warhol.
Avec ce "Shot Sage Blue Marilyn" qui date de 1964, il sera envisagé
le style graphique même de Warhol, c'est-à-dire sa façon
très habituelle de combiner des aplats de couleur sur une photographie
en noir et blanc.
Pour mieux saisir les transformations apportées par Warhol, on donne
une photographie
de Marilyn Monroe. Ce n'est pas exactement celle utilisée
par Warhol, mais elle en est très proche (source de l'image : Le Petit
Larousse - grand format - 1995).
Warhol relève de l'étape de l'histoire de l'art que j'ai numéroté conventionnellement D0-32.
Si vous souhaitez connaître les autres artistes qui relèvent de cette étape, consultez cette liste
qui s'ouvrira dans le cadre de droite.
Si vous souhaitez repérer la place de cette étape dans l'évolution
d'ensemble de l'histoire de l'art, avec l'indication systématique
des effets paradoxaux concernés, consultez le tableau récapitulatif
(il s'ouvre systématiquement dans une fenêtre qui lui est réservée).
Vous pouvez aussi consulter le texte qui résume les notions de paradoxe
de transformation et de paradoxe d'état, et celui qui résume
le fonctionnement de ces paradoxes aux étapes récentes et contemporaines
de l'histoire de l'art.
le paradoxe de transformation principal : un / multiple
On peut lire cette image comme un portait en couleur de Marilyn Monroe, ou
comme la superposition de sa photographie en noir et blanc et d'aplats de
couleur. En somme :
- soit on lit le résultat unifié de l'image
ainsi que notre perception nous y entraîne chaque fois que l'on regarde
un portrait,
- soit on la décompose entre ses deux parties ainsi
que nous y invite le contraste entre le traitement par dégradés
de la photographie et le traitement brutal des couleurs sans nuance. Les
dégradés de la photographie ne sont pas accompagnés,
en effet, par des dégradés simultanés de la couleur,
ce qui affirme l'autonomie de ces deux aspects de l'image, et aide à
les séparer visuellement.
Il s'agit de l'expression a4 du "un / multiple").
ou
Le fond bleu turquoise (bleu "sauge" selon le titre donné par Warhol)
qui entoure le portrait est parfaitement uniforme, en contraste avec le portrait
lui-même, qui est divisé en plusieurs couleurs et morcelé
par les nombreux détails de la photographie.
Le même effet se retrouve dans l'utilisation du noir, puisque à
des plages de noir en aplat continu, font contraste des zones traitées
en nombreux fins détails séparés : le déchiquetage
et les pointillés des zones grisées du visage (les tempes,
le relief du nez, le bord des pommettes et du menton), les traits multiples
qui forment les sourcils, le détail des mèches de cheveux.
Il s'agit de l'expression a10 du "un / multiple".
La couleur rose envahit presque tout le visage, y compris ce qui serait normalement
le "blanc des yeux", et ce recouvrement uniforme par une même teinte
unifie la surface occupée par ce visage.
Mais dans cette surface unifiée par la couleur, de multiples zones
restent bien distinctes les unes des autres, séparées par le
noir de la photographie : le front, le dessous des sourcils, les pommettes,
le nez, le dessous du nez, le menton, le cou.
Il s'agit de l'expression a15 du "un / multiple".
Dans le cas de la chevelure, qui forme une bande jaune continue qui encadre
le visage, la continuité uniforme de cet aplat jaune est contrariée
par les dessins noirs de la photographie des enroulements de cheveux qui
la divisent en séquences bien séparées.
Il s'agit de l'expression s15 du "un / multiple".
La couleur est partout traitée en aplat sans aucune nuance de teinte,
mais on ne peut lire que la couleur est en aplat (donc uniforme), sans lire
en même temps qu'il y a plusieurs couleurs, chacune traitée
de façon uniforme.
Dans cette image, la couleur est donc :
- à la fois une, par son traitement qui est toujours
le même, et qui consiste précisément à la traiter
de façon unifiée par le moyen d'un aplat uniforme,
- et multiple, par le nombre des couleurs utilisées.
Il s'agit de l'expression s7 du "un / multiple".
Après les emplois de ce paradoxe "un / multiple" dans l'allure d'ensemble
de l'oeuvre, envisageons son utilisation dans quelques-uns de ses détails.
Chaque boucle d'oreille se lit comme un bijou distinct, mais en même
temps, surtout pour celle située à droite de l'image que l'on
voit la mieux, on peut la lire comme un groupe de multiples éclats
bleus, séparés par de multiples détails noirs.
C'est aussi cet effet que l'on retrouve dans le blanc des dents, qui forme
au choix une tache blanche éclatante ou un ensemble de multiples dents
séparées par un léger filet grisé.
Il s'agit de l'expression s4 du "un / multiple".
Les lèvres forment un unique anneau rouge continu, mais on peut aussi
les lire comme deux lèvres séparées par les dents.
D'ailleurs, l'ensemble de la bouche forme aussi "un" groupe bien distinct
du reste du visage, "un" groupe que l'on peut aussi considérer comme
divisé en trois entités : les deux lèvres et la denture.
Le "bleu/vert turquoise" est "une" des couleurs utilisées, mais il
y a le bleu qui forme le fond principal contre lequel se détache la
tête, le bleu plus soutenu du foulard, et le bleu plus pâle utilisé
pour les paupières et les boucles d'oreilles. Il y a donc à
la fois un et plusieurs bleus/verts turquoises.
La paupière gauche, située à notre droite, est recouverte
par un aplat bleu qui déborde largement et qui monte presque jusqu'au
sourcil. Cet aplat bleu peut se lire comme une tache colorée unique
ou comme une tache à cheval sur deux surfaces bien distinctes séparées
par une ombre grisée : la paupière et le dessus de la paupière.
Il s'agit chaque fois de l'expression s6 du "un / multiple".
premier paradoxe de transformation secondaire : lié / indépendant
Ce portrait en couleur est le résultat de la superposition de deux traitements plastiques complètement autonomes :
- une photographie en noir et blanc qui apporte le fin détail des formes,
- et la couleur qui différencie seulement les matières
en grandes zones séparées (la peau, les cheveux, le fard à
paupière, le rouge à lèvres, l'émail des dents,
le métal des boucles d'oreille, la soie de l'écharpe).
Ces deux effets sont indépendants, puisqu'ils nous donnent des renseignements
différents, et puisque l'un est tout en nuances tandis que l'autre
est tout en aplats uniformes. Mais ils sont liés dans notre vision
pour nous donner au total, par leur juxtaposition, le portrait de Marilyn
Monroe.
Il s'agit de l'expression a15 du "lié / indépendant".
Un autre effet dérive de l'autonomie entre la photographie et les aplats de couleur.
En effet, la photographie en noir et blanc (en fait, en noir et "rien") est
le seul élément plastique qui assure la continuité de
la tête, son unité. La couleur, elle, est faite de morceaux
colorés bien distincts (rose, jaune, bleu, rouge et blanc), et si
ces morceaux colorés indépendants tiennent ensemble, c'est
seulement parce qu'ils sont tous collés sur la même photographie
globale de la tête.
Il s'agit de l'expression a13 du "lié / indépendant".
Un autre effet encore, dérive de l'autonomie entre la photographie
et les aplats de couleur, celui que l'on pourrait qualifier "les bavures
de la couleur", c'est-à-dire la façon qu'elle a de déborder
des contours proposés par la photographie, au lieu de se tenir strictement
et "soigneusement" à ces contours.
Ainsi, le rouge à lèvres déborde largement des lèvres,
le rose de la peau recouvre complètement le blanc des yeux, le bleu
d'une boucle d'oreille déborde un peu sur une joue, le fard à
paupière bleu déborde largement d'une paupière et beaucoup
plus faiblement de l'autre, le jaune des cheveux envahit exagérément
le haut du front, manque au contraire sur la tempe, déborde sur une
joue, et simplifie exagérément le contour de la coiffure sur
le haut de la chevelure.
Ce que la couleur manifeste ainsi, c'est son autonomie : elle s'arroge le
droit d'avoir ses propres limites, sans être complètement assujettie
aux limites exactes suggérées par la photographie. Mais elle
ne peut s'écarter trop de ces limites, car pour que le portrait reste
une représentation convaincante de Marilyn, la couleur doit rester
liée au moins approximativement aux limites réalistes que la
photographie lui assigne.
Il s'agit de l'expression s3 du "lié / indépendant".
Nota : le système de compression "jpg" utilisé pour la représentation
de cette oeuvre a tendance à "corriger" ces bavures de couleur, de
telle sorte que le contour de la couleur tend à s'adapter sur celui
du contraste en noir et blanc. Ici, cela fait disparaître l'essentiel
de "l'effet de bavure" concernant les lèvres. Pour cette raison, sous
chacune des deux reproductions il est donné un détail des lèvres
en plus grande taille dans lequel cet effet est mieux préservé.
Même dans ce détail à grande échelle, le système
de compression se croit cependant obligé de souligner la limite extérieure
de la bavure rouge par un contour plus sombre qui gâche un peu l'effet
. . . C'est le prix à payer pour la vitesse de chargement de l'image.
L'écart avec le strict réalisme que se permet la couleur, est l'occasion d'une autre expression de ce paradoxe.
Car en effet le choix de la couleur est bien lié à la réalité
(le rose pour la peau, le rouge pour les lèvres, le jaune pour les
cheveux blonds, le bleu pour le fond du ciel et pour la pupille des yeux,
le blanc pour les dents), mais le traitement en aplat uniforme n'a rien à
voir avec la réalité de ces couleurs sur la "vraie Marilyn".
Cet effet d'aplat des couleurs n'est pas réaliste, il est donc indépendant
du choix de la couleur qui, lui, est fondé sur le réalisme.
Il n'y a pas que le principe de l'aplat d'ailleurs qui ne soit pas réaliste,
car la tonalité exacte de la teinte est également quelque peu
autonome de la teinte réelle : le rose est trop carmin, et le jaune
est beaucoup trop "bouton d'or".
Il s'agit de l'expression s6 du "lié / indépendant".
Restons dans la couleur.
On a dit plus haut que tous les aplats de couleur étaient liés
à la même photographie qui les faisaient tenir ensemble.
Mais on peut aussi négliger ce support de la photographie, et considérer
que les aplats de couleur forment entre eux comme un puzzle, dont toutes
les parties indépendantes s'emboîtent exactement les unes dans
le contour des autres.
Il s'agit de l'expression a14 du "lié / indépendant".
Les yeux forment deux ensembles bien isolés par le rose qui passe entre eux.
Mais ils forment aussi deux ensembles traités de la même façon
: au centre une large tache bleu assise sur le trait noir des cils, au dessus
l'arc noir de la paupière, en bas la pupille de l'oeil marquée
par un petit point bleuté.
La similarité de ces deux ensemble de formes et de couleurs nous les
fait lire en tant que "paire d'yeux", donc bien liés entre eux malgré
l'indépendance de leurs situations, chacun d'un côté
du visage.
Dans une beaucoup moindre mesure, les boucles d'oreille nous font le même effet.
On dira qu'il n'y a rien d'extraordinaire ou de remarquable à ce que
Marilyn Monroe ait deux yeux semblables, l'un de chaque côté
de son visage. Mais ce qui importe ici, c'est que Warhol a simplifié
son visage, gommé ses nuances pour le recouvrir d'un rose uniforme,
répandu un fard bleuté criard pour focaliser l'attention sur
la similitude des yeux, et rosi le blanc des yeux pour qu'ils ne risquent
pas d'être associés visuellement avec le blanc des dents. En
quelque sorte, on peut dire que Warhol a "tranché dans la réalité"
de Marilyn, pour neutraliser certaines des relations visuelles naturellement
proposées par son visage, et pour en accuser d'autres au contraire.
Il s'agit de l'expression s11 du "lié / indépendant".
Pour finir parlons de la bouche : le blanc éclatant des dents, et
le carmin vif du rouge à lèvres s'associent pour que la bouche
se détache visuellement très fortement.
De même que Marilyn Monroe avait deux yeux séparés et
semblables, elle avait les dents blanches, et usaient de rouge à lèvres
tout aussi agressivement voyant, comme cette photographie
nous le rappelle. Mais là encore, ce qui compte ici ce n'est pas la réalité
de Marilyn Monroe, mais ce qu'a choisi de sélectionner Warhol dans
son aspect, et comment il a transformé son visage pour que ce qu'il
a sélectionné soit bien mis en valeur.
À nouveau la couleur rose passée sur le blanc des yeux a son
importance, car les dents se retrouvent ainsi la seule surface du tableau
exempte de couleur ou de noir. Comme ce blanc subsistant est en outre entouré
de la couleur la plus criarde, le rouge carmin des lèvres, la bouche
dans son ensemble tranche fortement avec le reste du visage, dont la teinte
est plus terne, et les contrastes plus amollis.
Puisque ce blanc éclatant et ce rouge agressivement criard tranchent
avec le reste du tableau, ils acquièrent une certaine autonomie :
on a du mal à les fondre dans notre vision avec le reste du visage.
Mais comme ils sont en même temps à leur place, d'autant qu'ils
évoquent bien l'une des caractéristiques réelles de
l'apparence usuelle de la star, ils restent en même temps fermement
liés au visage représenté.
Il s'agit de l'expression s14 du "lié / indépendant".
deuxième paradoxe de transformation secondaire : même / différent
L'expression la plus évidente de ce paradoxe est la grande ressemblance
de ce tableau avec ce que serait une photographie en couleur de Marilyn Monroe,
simultanée avec quantité d'aspects qui nous signalent qu'il
ne s'agit pas de cela, mais d'une photographie en noir et blanc sur laquelle
ont été passés de vastes aplats colorés.
Bref, c'est la même chose qu'une photographie en couleur, mais c'est
simultanément différent, la même chose qu'une image réaliste
de la star, et en même temps différent, car déformé,
presque caricaturé.
Il s'agit de l'expression s15-1 du "même / différent".
Tout comme les précédents, ce paradoxe exploite le dialogue
entre la photographie en noir et blanc et les aplats de couleur qui sont
passés dessus : ces deux moyens très différents (les
nuances de la photographie monochrome qui renseignent sur le volume, et les
aplats de couleur qui renseignent sur la matière) participent au même
portrait, ils le produisent ensemble, grâce à la conjonction
de leurs apports complémentaires.
Il s'agit de l'expression a14 du "même / différent".
Le même jaune se poursuit en continu sur toute la chevelure, mais
dans les mèches de gauche il est fortement morcelé par de
larges aplats noirs, sur le front il est alternativement hachuré
d'ombres noires et grisâtres qui le laissent largement dominant,
tandis que dans les mèches de droites il est davantage
"tressé" avec le noir dans une texture où les
tracés jaunes et les tracés noirs s'imbriquent à
égalité mutuelle. Bref, la même couleur jaune se
trouve en des zones qui sont localement différenciées par
la façon dont les dessins noirs la découpent, la marquent
ou se tissent avec elle.
Le rose du visage, tout en étant le même rose répandu sur tout le visage, nous semble plus ou moins pur
ou plus ou moins grisâtre selon sa position sur la photographie : plus pur et plus lumineux, par exemple, sur le front, ou plus grisé, par exemple sur la tempe ou sur les narines. Et
aussi, n'est-il pas plus blanc dans le blanc des yeux, simplement parce
que nous nous attendons à le voir blanc à cet endroit là
? C'est donc à la fois toujours le même rose, et un rose qui
est différent selon les endroits.
La même chose pour le rouge du rouge à lèvres, qui nous
apparaît bien plus vif dans les endroits où il déborde
sur le visage que sur les lèvres elles-mêmes où il est
atténué par le gris de la photographie.
La même chose aussi pour le bleu du fard à paupières,
plus lumineux sur les paupières elles-mêmes qu'au-dessus des
paupières où l'ombre le terni légèrement.
Il s'agit de l'expression a6-1 du "même / différent".
Le même rose se répand sur le cou et sur presque tout le visage, donnant le même coloris à toute cette surface.
Mais, dans cette même surface coloriée de rose, on peut nettement distinguer différents lieux qui
ont chaque fois des formes bien différentes les unes des autres et que, pour cette raison, nous ne pouvons pas confondre
: le front, le dessous des sourcils, le nez, les pommettes, le dessous du nez, l'arc du menton, et le cou.
Il s'agit de l'expression a5 du "même / différent".
Restons dans le rose : dans le centre de toutes les zones qui viennent d'être
énumérées, il forme des surfaces d'un rose parfaitement
uniforme. À ces centres où règne l'uniforme, s'opposent
leurs bordures dont la forme est très variée et qui se grisent
ou se noircissent de façons très différentes les unes
des autres. Au centre donc, c'est l'uniformité rose (du même),
et tout autour, c'est la variété (des différences).
Si l'on revient au jaune de la chevelure, on y trouvera le même contraste
entre de grandes surfaces en aplats jaunes uniformes (du même), et
des endroits aux formes et aux dessins très variés (de grandes
différences d'aspect).
Il s'agit dans les deux cas de l'expression s13 du "même / différent".
Il convient de bien distinguer cette dernière expression s13 et celle
a6-1 envisagée plus haut : dans l'expression a6-1 on considérait, par exemple,
que le rose, tout en étant partout le même rose, connaissait des endroits plus lumineux et des endroits plus grisés.
Dans cette expression s13, on considère maintenant la différence
entre zones "où rien ne se passe" sauf l'uniformité de la couleur,
et des zones où des effets variés de volume s'ajoutent à
la couleur rose. On peut dire qu'il s'agit alors d'opposer les zones "toutes
plates" et les zones "à relief".
Dans l'expression a6-1 la même couleur se différencie selon les
endroits, et dans l'expression s13 on oppose les zones où "c'est du
même" aux zones où "c'est du différencié".
Passons au bleu.
C'est partout le même bleu turquoise qui est utilisé (bleu "sauge"
on le répète, selon le titre donné par Warhol), mais
le bleu du fond est de tonalité moyenne, celui du fard à paupière
est plus clair, celui des boucles d'oreille encore plus clair, et celui du
foulard est plus soutenu que tous les autres.
Il s'agit de l'expression s5 du "même / différent".
Pour en finir avec le "même / différent", jetons un coup d'oeil
d'ensemble au tableau : il est partout traité de la même façon,
c'est-à-dire au moyen de différents aplats de couleur.
Il s'agit de l'expression s9 du "même / différent".
troisième et dernier paradoxe de transformation : l'intérieur / extérieur
Ce paradoxe utilise comme les précédents l'effet de contraste
entre la photographie en noir et blanc et les aplats de couleur qui sont
passés dessus.
C'est effectivement ce que l'on voit : une représentation en noir
et blanc qui rend compte de l'apparence extérieure du visage de Marilyn
Monroe, sur laquelle sont passés (barbouillés même pourrait-on
dire) des taches de couleurs qui ne suivent pas les nuances de son modelé.
Il est possible que, dans la réalité technique de la réalisation
matérielle de cette image, Warhol ait d'abord passé les plages
de couleurs sur lesquelles il a ensuite sur-imprimé le noir de l'image
photographique, mais l'impression que nous avons quand nous regardons le
résultat, c'est plutôt celle du coloriage d'une photographie,
c'est-à-dire l'impression que des couleurs ont été passées
par-dessus une photographie.
Puisque nous ressentons que la photographie est sous la couleur, et comme
cette photographie matérialise l'apparence extérieure d'un
visage, alors l'extérieur de ce visage est donc sous la couleur, complètement
recouverte par elle, en situation intérieure par conséquent.
Il s'agit de l'expression a6-1 du "intérieur / extérieur".
L'expression précédente utilisait l'aspect de la couleur qu'on
a qualifié de "barbouillage", c'est-à-dire qu'elle utilisait
le fait que, par son utilisation en aplats, le traitement de la couleur était
plus "fruste" que celui de la photographie, "négligeant" les nuances
et "abîmant" le réalisme de la photographie. C'est ce contraste
de qualité des traitements qui donnait l'impression que la couleur
était nécessairement passée par-dessus une photographie
déjà là et qu'elle dégradait.
La seconde expression de l'intérieur /extérieur utilise elle
aussi le contraste entre la photographie et la couleur en aplats, mais cette
fois elle utilise un réflexe de notre perception qui tient à
la façon dons nous lisons ces deux aspects.
Pour la photographie, il n'y a pas de surprise : nous voyons l'extérieur
d'un visage qui est en face de nous. Puisque Marilyn et nous, sommes ainsi
face à face, nous sommes tout entier extérieurs l'un de l'autre
: elle, est sur le tableau, et nous, sommes devant le tableau à la
regarder.
Pour les aplats de couleur, c'est une autre chose, et nous devons nous souvenir
que la tête représentée fait en réalité
1 m de haut, c'est-à-dire que nous sommes devant une très grande
surface colorée que nous devons lire "d'un coup", notamment quand
nous voulons percevoir la grande surface rose qui se répand sur l'ensemble
du visage et que nous devons percevoir en entier pour lire le visage en entier.
Pour "voir le rose", notre perception prend note de la teinte, voit qu'elle
se répand sur une grande surface, et recherche jusqu'où ce
rose se répand sur le tableau. Ce faisant, notre perception cherche
donc le contour externe de l'aplat rose, c'est-à-dire qu'elle nous
installe implicitement au centre du rose pour en saisir l'étendue.
Nous sommes donc doublement "dans" le rose, "à l'intérieur
du rose" : d'une part nous nous laissons envahir par "l'impression de rose",
par "la notion que c'est rose", et d'autre part notre perception nous projette
imaginairement à l'intérieur de la surface que nous avons en
face de nous pour saisir le contour creux qui limite l'étendue de
la couleur.
Ce qui vaut de la même façon pour le jaune, que nous ne lisons
pas seulement comme une bande étroite, mais aussi comme une vaste
coiffe en creux de presque 1 m de largeur.
La photographie nous fait saisir la forme extérieure du visage, parce
qu'elle nous donne effectivement une information sur le relief extérieur
de cette forme, et que notre perception est entraînée depuis
la toute petite enfance à imaginer le visage d'une personne d'après
la seule information donnée par le regroupement des yeux, du nez et
de la bouche.
La couleur ici ne donne aucune information sur le relief du visage, donc
sur sa forme, sauf pour ce qui concerne la forme de son contour, c'est-à-dire
son étendue. À la différence de la photographie que
nous lisons comme un relief en face de nous, nous lisons par conséquent
la couleur pour ce qu'elle nous donne, c'est-à-dire pour sa seule
étendue, pour son contour que nous lisons depuis son intérieur.
En résumé : nous sommes en face de l'extérieur d'un
visage photographié, et à l'intérieur des aplats de
couleurs qui sont superposés à cette photographie. Nous sommes
à l'extérieur de l'oeuvre quand nous lisons la photographie
du visage, et à l'intérieur de l'oeuvre quand nous lisons les
surfaces colorées.
Il s'agit de l'expression a9 du "intérieur / extérieur".
Ces explications peuvent sembler alambiquées, tordues, et par conséquent
laborieuses, mais c'est la nature de ce paradoxe "intérieur / extérieur"
que de générer des effets qui se tordent en alambic sur eux-mêmes,
et il faut donc en passer par là.
Souvenez-vous que la figure emblématique
de ce paradoxe est le ruban de Mobius qui se tord sur lui-même.
Détendons nous toutefois un moment avec une expression plus immédiatement
lisible de ce paradoxe : le visage recouvert de rose est à l'intérieur
du casque jaune que forme la coiffure, mais au niveau du menton, et plus
encore du cou toujours rose qui le prolonge, le rose sort à l'extérieur
de cette enceinte jaune qui le cerne.
Il s'agit de l'expression s9 du "intérieur / extérieur".
Revenons à une expression un peu plus compliquée, du moins
à démêler dans nos sensations, car l'explication elle,
en est simple : la tête est tout entière à l'intérieur
du fond bleu qui la cerne de toutes parts, mais ce bleu de l'extérieur
est en même temps à son intérieur, sous la forme des
deux taches bleus qui recouvrent les yeux.
Quand on saisit visuellement "le bleu", on saisit donc simultanément
l'extérieur de la tête et son intérieur.
Ce que l'on peut dire autrement : le rose du visage cerne le bleu des yeux
qui est tout entier à son intérieur, et ce rose, extérieur
donc au bleu, est en même temps lui-même tout entier à
l'intérieur du bleu. En résumé : le rose est simultanément
à l'extérieur et à l'intérieur du bleu.
Il s'agit de l'expression a1 du "intérieur / extérieur".
Changeons de couleur, et passons au rouge à lèvres.
On a déjà eu l'occasion, avec d'autres paradoxes, de signaler
comment ce rouge "bave" à l'extérieur des lèvres. Eh
bien précisément, quand il bave ainsi, il est à l'extérieur
de la limite où il devrait se tenir, et comme il est également
à l'intérieur de sa limite, il est donc simultanément
à l'extérieur et à l'intérieur des lèvres.
Il s'agit de l'expression s3 du "intérieur / extérieur".
On a déjà dit aussi que la conjonction de l'éclat blanc
des dents et du rouge vif agressif des lèvres, faisaient de la bouche
une partie qui s'intègre mal aux couleurs plus pastel et plus fondues
du reste du visage.
Si la bouche "ressort" donc sur le fond du visage auquel elle s'intègre
mal, c'est que d'une certaine façon elle en est sortie, alors pourtant
qu'il reste clair qu'elle est à l'intérieur de lui.
Il s'agit de l'expression a2 du "intérieur / extérieur".
Dernière expression de ce paradoxe, et qui nous introduira au suivant : "le continu / coupé".
Car il faut bien l'admettre, même si nous avons perdu la naïveté
utile pour se laisser encore surprendre par cet effet, la tête que
nous avons devant nous est une tête "coupée". Et si nous n'imaginons
pas pour autant que Marilyn Monroe soit décapitée sur
cette image, c'est parce que nous la lisons fondamentalement comme une Marilyn
Monroe entière dont l'on ne voit qu'une partie, une partie seulement
isolée par le cadrage de l'image.
Donc, nous savons que le corps est sous la tête, et nous la voyons
ainsi, même si nous ne voyons pas vraiment le corps : le corps de Marilyn
est dans notre perception puisque nous en tenons compte, et il est en même
temps hors de notre perception puisque nous ne le voyons pas.
Il s'agit de l'expression s7-1 du "intérieur / extérieur".
le paradoxe d'état dominant : continu / coupé
Comme on vient de le signaler à l'occasion du paradoxe précédent,
il s'agit en effet d'une tête coupée, et cette découpe
était nécessaire pour que la tête occupe en continu la
surface du tableau et pour qu'elle soit bordée en continu par le cadre
du tableau.
Il s'agit de l'expression s10 du "continu / coupé".
La photographie propose une vue continue de la tête de Marilyn Monroe,
c'est-à-dire une vue dans laquelle la surface de cette tête
est continue dans toutes les directions.
Les aplats de couleur qui se superposent à la photographie, cette
fois la découpe en surfaces aux frontières bien marquées.
Si par exemple le volume suggéré par la photographie passe
en douceur du front aux cheveux, la couleur rose par contre s'interrompt
brusquement, et au-delà de sa découpe c'est le jaune qui commence.
L'effet de "bavure" des couleurs joue un rôle dans l'affirmation de
cet effet, en décalant le changement de couleur pour qu'il ne coïncide
pas avec le changement de matière, et pour qu'il soit ainsi plus "tranché".
Ainsi, le passage du rose au jaune sur le front "coupe" littéralement
la peau du front au lieu de seulement séparer la peau des cheveux,
et de la même façon le passage du rose au rouge à lèvres
coupe la peau du visage entourant la bouche, au lieu de seulement marquer
la limite des lèvres.
Étonnamment, dans la chevelure le même effet se retrouve, mais
en inversant les rôles respectifs de la photographie et de la couleur
: cette fois c'est en effet le jaune qui propose une bande continue tout
autour de la tête, et c'est la photographie qui coupe cette bande de
façon répétée au moyen des ombres noires que
dessinent les boucles de cheveux.
Le même effet se retrouve dans le bleu du fard des paupières,
dont la surface est coupée en deux parties par l'ombre légère
qui marque le dessus des paupières.
De façon un peu différente, c'est cette fois la teinte un peu
plus foncée du bleu/vert de l'écharpe qui la coupe du bleu/vert
continu qui cerne l'ensemble du rose et du jaune du portrait.
Il s'agit toujours et chaque fois de l'expression a13 du "continu / coupé".
Une relation plus subtile mérite d'être relevée entre
les plages de couleur et les reliefs qui sont suggérés par
la photographie à l'intérieur de ces aplats colorés.
Comme il s'agit de percevoir la continuité de la tête d'une
personne, nous savons que sa surface se continue lorsque la couleur "passe"
sur les zones noires de la photographie. À l'intérieur d'une
même couleur (le rose du visage ou le jaune de la chevelure), l'uniformité
du coloris "qui se continue" nous incite d'ailleurs fortement à lire
la continuité du visage ou de la chevelure en dessous, mais notre
regard qui "glisse" sur la couleur est fortement interrompu, "coupé
dans sa lecture", chaque fois qu'il rencontre une ombre en noir dessinant
un relief.
Il est interrompu par la coupure de la couleur qui momentanément s'interrompt
pour laisser place au noir, mais plus que cette coupure physique de la couleur,
c'est le changement forcé du mode de perception qui nous interrompt
: notre regard glissait sur la couleur, car c'est ainsi que nous lisons une
surface en deux dimensions, mais tout à coup les indications en noir
nous amènent à lire un volume en relief, ce qui nous oblige
à quitter la surface que nous suivions par l'imagination, et à
brusquement prendre du recul pour regarder ce volume face à face.
Plus que la couleur coupée par le noir, c'est donc notre mode de lecture
qui est interrompu, c'est la glissade de notre regard sur la surface qui
est coupée par la nécessité de tout à coup lire
un volume.
Il s'agit de l'expression s4 du "continu / coupé".
La coupure de la couleur par le noir, c'est cependant l'effet qui domine
lorsqu'un bout de couleur se retrouve complètement isolé :
ainsi, le rose du visage continue sur le cou, mais la large bande noire de
l'ombre du menton coupe complètement les deux triangles roses du cou,
du rose qui se répand sur le visage.
Il s'agit de l'expression a10 du "continu / coupé".
Revenons à l'uniformité continue de la surface de l'aplat rose
: on peut effectivement la suivre en continu depuis le front en passant entre
les yeux, en évitant le nez, en passant entre le nez et la bouche,
puis entre la bouche et le menton.
Mais si on ne contourne pas ces obstacles, le parcours de notre regard est coupé par le noir.
Il s'agit de l'expression a2 du "continu / coupé".
La surface du front propose une étendue rose spécialement continue.
Elle voisine la bande jaune de la chevelure qui, elle, est plusieurs fois
coupée par le dessin noir des mèches de cheveux.
Il s'agit de l'expression a7 du "continu / coupé".
La technique de l'aplat de couleur consiste à proposer une surface
colorée continue dont le contour forme un "bord tranchant", une découpe
nette et d'ailleurs elle-même continue.
Cet effet de "continu / coupé" produit par cette "découpe continue",
on le trouve à chaque fois que le changement de couleur suit une nette
découpe : entre le jaune des cheveux et le bleu du fond, entre le
rose du front et les cheveux, entre le bleu du fard à paupière
et le rose du visage, et entre le rouge des lèvres et le rose du visage.
Il est à remarquer que la compression "jpg" de l'image malmène
également cet effet, puisque le bord net et tranchant qui sépare
le jaune des cheveux du bleu du fond et du rose du front, se trouve atténué
par le léger flou que le logiciel de compression réalise pour
mieux fondre les couleurs entre elles à leur bord.
Il s'agit de l'expression s12 du "continu / coupé".
Les aplats de couleurs s'enchâssent comme un puzzle les uns dans les
autres et recouvrent toute la surface du tableau. Le traitement par aplat
de couleur est donc un traitement continu, tandis que le changement de couleur
utilisé marque des étapes bien tranchées dans cette
continuité.
Il s'agit de l'expression s11 du "continu / coupé".
À l'aplat bleu/vert véritablement uniforme (continuellement
de la même teinte) qui forme le fond du tableau, s'opposent les aplats
du visage et de la chevelure qui, eux, sont fréquemment interrompus
par les indications de relief en noir de la photographie.
Il s'agit de l'expression a6-a du "continu / coupé".
Pour finir, revenons sur la bouche dont le contraste violent entre le rouge
vif des lèvres et le blanc éclatant des dents tranche avec
le reste du tableau traité de façon plus pastel.
Il "tranche" précisément, c'est-à-dire qu'il se coupe
visuellement du reste du tableau du fait de l'excès de ses couleurs.
De son côté, la photographie assure une parfaite continuité
de logique visuelle entre la bouche et le reste du visage.
Il s'agit de l'expression s15 du "continu / coupé".
les paradoxes d'état dominés par le continu / coupé
Le "lié / indépendant" et le "même / différent
" ont déjà été envisagés sous leur aspect
de paradoxe de transformation secondaire. Il n'est pas utile d'y revenir
tant il est clair que leurs effets se retrouvent dans ceux du "continu /
coupé".
Le 3ème paradoxe d'état dominé par le "continu / coupé"
est le "synchronisé / incommensurable".
On peut signaler trois expressions qui lui correspondent.
le synchronisé / incommensurable en position dominée
La photographie qui se lit par le volume en trois dimensions qu'elle suggère,
et les aplats de couleur qui se lisent comme des surfaces colorées
en deux dimensions, sont synchronisés pour nous faire percevoir un
seul visage grâce à leur superposition.
Mais il s'agit de perceptions qui sont incommensurables l'une de l'autre puisque :
- d'une part nous ne percevons pas l'étendue des
surfaces avec les mêmes mécanismes automatiques de perception
que ceux que nous utilisons pour percevoir les volumes en trois dimensions,
- et d'autre part la "perception visuelle" des volumes
relève d'une notion tout à fait étrangère à
la notion de "sensation" des couleurs. C'est ainsi que d'une couleur on peut
dire par exemple qu'elle est "chaude" ou "froide", ce qui n'arrive jamais
dans le cas d'un volume.
Il s'agit de l'expression s14 du "synchronisé / incommensurable".
=
Une deuxième expression "synchronisé / incommensurable" est
très voisine mais utilise cette fois l'incommensurabilité entre
la lecture de "la sensation de couleur" apportée par les aplats colorés,
et la lecture de l'effet linéaire, c'est-à-dire "de trait",
généré par les bords de ces aplats, par leurs limites.
Car, pas plus que de volume "chaud ou froid", on ne parle de ligne "chaude
ou froide".
Il s'agit de l'expression a14-b du "synchronisé / incommensurable".
La troisième expression "synchronisé / incommensurable" a trait
à la taille de ce portrait : cette tête fait presque 1 m de
haut, ce qui déstabilise notre perception usuelle "en matière
de tête". Et pourtant, nous sommes capables de synchroniser la perception
de cette forme de taille énorme avec celle d'une tête humaine.
Il s'agit de l'expression a15 du "synchronisé / incommensurable".